B. Une uniformisation divisant la doctrine
29. L'édifice jurisprudentiel ayant permis en une
dizaine d'années seulement, de transposer l'ensemble des règles
de procédure pénale instaurées par le texte de 1881 dans
le cadre du procès civil de presse, continue aujourd'hui à faire
l'objet de vifs débats doctrinaux. En effet, deux types de conceptions
s'opposent. D'un coté, nous trouvons les partisans d'une conception
unitaire du procès de presse. De l'autre, les adhérents d'une
conception plus dualiste66.
30. L'argument unitaire tout d'abord, trouve son essence dans
le principe même de liberté de la presse consacré au sein
de l'article 1 de la loi du 29 juillet 188167. En effet, les tenants
de l'unité du procès de presse partent du postulat selon lequel
à partir du moment où les dispositions procédurales du
texte de 1881 jouent un rôle prépondérant dans la
protection de la liberté de la presse, celles-ci doivent
nécessairement trouver à s'appliquer, que l'action soit
portée devant les juridictions pénales comme civiles. La
liberté d'information doit ainsi pouvoir jouir des mêmes garanties
procédurales, dans l'un comme dans l'autre des contentieux.
31. L'argument dualiste en revanche, puise principalement sa
force dans l'incompatibilité du mouvement d'harmonisation avec les
finalités respectives du procès civil et pénal de presse.
L'un de ses principaux défenseurs, Emmanuel Dreyer, considère en
effet que la
65 N. Bonnal, « Les chausses trappes
procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai
d'étude statistique », Légipresse n289, Déc.
2011, p. 667.
66 A. Lepage, « Vers une remise en cause de
l'unicité du procès de presse », Légicom n46,
2011, p. 11.
67 Loi 1881-07-29 Bulletin Lois n 637 p. 125.
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mise en oeuvre de ces garanties devant le juge de
l'indemnisation constitue une « hérésie
»68 en matière civile, car contribuant à
éluder les fonctions propres de chacun des contentieux, l'un ayant pour
but de punir l'auteur de l'infraction, l'autre ayant pour unique
finalité d'indemniser la victime. Ce dernier va même
jusqu'à dénoncer l'incompatibilité en matière
civile, des règles de procédure instaurées par le texte de
1881 avec les exigences de l'article 6§1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme69. L'autre
argument avancé par les défenseurs de la thèse dualiste
tient compte du contexte historique dans lequel est intervenue
l'élaboration de la loi du 29 juillet 1881. L'idée avancée
est que les menaces pesant sur la liberté d'expression, qui
étaient bien réelles à la fin du XIXème
siècle et justifiaient donc pleinement l'extrême complexité
des règles de procédure pénale pour affermir cette fragile
liberté, ne sont plus les mêmes que celles d'aujourd'hui. Ils
avancent donc que les règles ne sont plus appropriées au
procès pénal de presse et le sont d'autant moins devant le juge
civil70.
Toujours est-il que l'harmonisation jurisprudentielle du
procès de presse semble avoir eu raison de la thèse de la
dualité. Nous allons voir que la pratique ainsi que les arrêts les
plus récents attestent cependant de l'ambition quelque peu
chimérique d'un tel mouvement.
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