Section 2 : Les conséquences tenant à
l'action civile en réparation
25. Le processus d'extension jurisprudentiel des
règles de procédure pénale particulières de la loi
de 1881 aux actions civiles en réparation paraît incontestablement
constituer un obstacle à leur aboutissement (Paragraphe 1). Par
ailleurs, ce mouvement s'avère révélateur de
défaillances dont il conviendra d'examiner les causes et manifestations.
Toutefois, il semblerait que la Haute juridiction prenne conscience des
difficultés engendrées par la voie d'une identité des
procès civil et pénal de presse. En effet, sans pour autant
procéder à une totale remise en question de l'édifice,
celle-ci paraît depuis peu vouloir atténuer sa jurisprudence sur
un certain nombre d'exigences qui semblaient jusqu'alors être acquises
(Paragraphe 2).
57 Civ. 2e, 26 oct. 2000 : Bull.
civ.II, n°147.
58 Civ. 2e, 12 mai 1999 : Bull.
civ.II, n°90.
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Paragraphe 1 : Un alignement procédural malvenu pour
les victimes
26. La transposition du carcan procédural
instauré par la loi du 29 juillet 1881 au procès civil de presse
devait inévitablement causer des difficultés
supplémentaires pour le bon acheminement des actions civiles en
responsabilité (A). À ce titre, les conceptions doctrinales eu
égard au bien fondé de ce mouvement d'unification sont tout
à fait divergentes (B).
A. L'issue périlleuse des actions en
responsabilité
27. L'époque où les victimes d'infractions de
presse avaient la possibilité d'exercer leur action devant la
juridiction civile en vue de se soustraire aux contraintes procédurales
de la loi du 29 juillet 1881 est révolue.
Les dispositions plus libérales régissant
classiquement le procès civil - et tout particulièrement celles
des articles 56-2 du Code de procédure civile exigeant de manière
floue, un exposé « en fait et en droit », avec un
pouvoir pour le juge de requalification des faits prévu par l'article 12
de ce même code - ont désormais laissé la place à la
rigueur du formalisme imposé par le texte
spécial59.
En effet, parmi les points les plus importants, notons que
l'assignation doit qualifier avec précision le fait incriminé,
mais aussi faire explicitement référence au texte de la loi de
1881 dont l'application est requise60. La jurisprudence constante en
déduit qu'il est dès lors impossible de procéder à
des qualifications alternatives, cumulatives ou encore subsidiaires.
L'assujettissement au formalisme de l'article 53 du texte spécial a donc
pour effet de contraindre le juge à respecter les qualifications
opérées - à tort ou à raison - par le demandeur.
Une erreur de qualification s'avèrerait ainsi fatale pour ce dernier.
À titre d'exemple, a été approuvé - et le cas est
d'école ! - l'arrêt rendu par une Cour d'appel dont l'attendu
précisait que « l'assignation ayant fixée
définitivement la nature et l'étendue de la poursuite quant aux
faits et à leur qualification d'injures publiques au sens des articles
29 alinéa 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881 (É) la
juridiction de jugement ne pouvant prononcer aucun changement de qualification
par rapport à la loi sur la presse, l'action de l'association est
prescrite »61. Le « couperet » de la
prescription trimestrielle,
59 C. Bigot, « Les
spécificités de la loi de 1881 concernant tant le régime
de responsabilité en cascade que celui des règle
dérogatoires de procédure et de prescription »,
Légicom n35, 2006, p. 22.
60 V. Supra n23.
61 Civ. 2e, 15 avr. 1999 : Bull. civ.
II, n73.
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dont l'application devant le prétoire civil n'a
fondamentalement jamais été remise en cause, retrouve alors toute
sa vigueur en cas de qualification erronée.
28. Néanmoins, si un certain nombre d'auteurs ne
cessent de dénoncer le régime procédural spécial
mis en place par la loi sur la liberté de la presse - «
aboutissant bien souvent à empêcher la poursuite et la sanction
des infractions de presse»62 - d'autres, à
l'instar du magistrat Nicolas Bonnal, persistent à croire en la justesse
des équilibres instaurés par la loi du 29 juillet 1881.
Celui-ci fait tout d'abord valoir que si le texte
spécial met effectivement en place un certains nombre de règles
de procédure particulièrement exigeantes pour la partie
demanderesse, la loi sur la liberté de la presse compense sa situation
en instituant un mécanisme de responsabilité automatique du
directeur de publication ou encore un système de renversement de la
charge de la preuve en matière de diffamation. Cela participe selon lui
à la création d'un ensemble globalement
équilibré.
Ensuite concernant le respect des exigences découlant
des articles 50 et 53 du texte spécial - là aussi constamment
décriées comme abusivement complexes pour qui veut intenter une
action contre un organe de presse - ce dernier ne manque pas de rappeler la
chose suivante : « trois règles à respecter, avec pour
l'essentiel une exigence de clarté et de précision dans la
rédaction, est-ce vraiment si périlleux que cela ?
»63. Une telle remarque a le mérite de retenir
notre attention. Il n'apparaît en effet pas si laborieux que de
satisfaire à ces quelques exigences dont la noble finalité
consiste de surcroît - et il n'est pas vain de le rappeler - à
mettre aussitôt le prévenu « en mesure de préparer
tous les éléments de sa défense »64
.
Enfin - et c'est là probablement le point le plus
convaincant de son analyse car s'appuyant sur la base de données
chiffrées - l'auteur démontre la chose suivante : sur les 237
décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris durant
l'année 2010 en matière de presse, un quart des débats
ayant précédé celles-ci portaient sur des questions de
procédure et non de fond (type exception d'incompétence,
nullité de forme de l'assignation, prescription des faits et autres). On
ne peut donc négliger que le débat de procédure est
relativement bien présent dans le contentieux de la presse. Mais - et
c'est là tout l'intérêt de l'étude statistique
entreprise par l'auteur - sur ce quart de débats durant
62 E. Derieux, « Faut-il abroger la loi de
1881 ? », Légipresse n°154-II, sept. 1998, p. 93.
63 N. Bonnal, « Les chausses trappes
procédurales de la loi de 1881 : mythe ou réalité ? Essai
d'étude statistique », Légipresse n°289,
Déc. 2011, p. 670.
64 Circulaire du 9 novembre 1881 aux procureurs
généraux : D. 1881, III, 106, n°58.
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lesquels des moyens de procédure ont été
soulevés, il apparaît que seulement 8% d'entre eux aient permis de
faire échec aux poursuites entreprises par les victimes. Ce chiffre est
donc très révélateur. Selon ce dernier, il «
prive de réelle substance la dénonciation des chausses trappes
procédurales de la loi »65.
Ce développement appelle inéluctablement
à s'interroger quant au réalisme ou à la supercherie de
ces fameuses « chausses trappes » procédurales si souvent
dénoncées par les spécialistes du contentieux de la
presse. Si certains auteurs semblent en effet convaincus par l'effet ravageur
du respect de telles exigences sur l'aboutissement des actions en
responsabilité, d'autres, paraissent soutenir la thèse du
fantasme. La question tenant à la légitimité de la
transposition de ces exigences aux actions civiles en réparation ne fait
d'ailleurs qu'accroître les ardeurs contradictoires de ces derniers.
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