B. La contamination du procès civil de
presse
23. La doctrine s'accorde à dire que c'est un
arrêt de la Cour de cassation du 5 février 199254 qui
posa la première pierre de l'édifice jurisprudentiel que
constitue l'extension des règles de procédure pénale du
texte spécial au procès civil de presse. En effet, il semblerait
que ce soit en matière de référé - diffamation que
la Haute juridiction a imposé pour la première fois le respect de
l'authentique article 55 du texte de 1881 - consacrant l'obligation d'accorder
un délai de dix jours d'offre de preuve de la vérité
diffamatoire pour le défendeur au procès - devant le juge civil.
Cette jurisprudence a été confirmée de façon plus
générale pour l'ensemble des actions portées devant les
tribunaux civils le 22 juin 1994, au motif qu'aucune disposition
législative n'évince l' « application dudit article 55
dans le cas d'une action exercée séparément de l'action
publique devant une juridiction civile »55.
Quelques années plus tard, c'est le formalisme de
l'article 53 de la loi de 1881 qui a fini par contaminer l'acte introductif
d'instance56. L'assignation du dès lors préciser et
51 Par exemple, Cass. req. 30 mai 1911 :
DP 1912, 1, p. 295, estimant qu' « en droit, il n'y a pas lieu
d'emprunter à la loi du 29 juillet 1881 sur la presse les dispositions
spéciales prescrites par les articles 50 et 60, qui règlent la
forme des citations devant les tribunaux de répression, pour les
appliquer aux instances introduites devant la juridiction civile, quand ces
instances sont nées d'un délit prévu par ladite loi ; Que
le texte aussi bien que l'esprit de la loi de 1881 ne permettent pas cette
extension ».
52 G. Barbier, Code expliqué de la
presse, Marchal et Godde, 2e éd., 1911, p. 394,
n°870 ; en effet, il a toujours été admis que l'action
civile en réparation du dommage subi, lorsqu'elle est jointe à
l'action pénale, obéit aux règles de procédure
pénale - et en l'espèce a fortiori à celles
prévues par le texte spécial de 1881 - et dans le cas inverse,
l'action civile autonome obéira aux règles de procédure
civile.
53 E. Dreyer, « L'accès au juge civil
en matière de presse », Légipresse n°291,
Fév. 2012, p. 84.
54 Civ. 2e, 5 février 1992 :
Bull. civ.II, n°44.
55 Civ. 2e, 22 juin 1994 : Bull.
civ.II, n°164.
56 Civ. 2e, 19 fév. 1997 : Bull.
civ.II, n°44.
21
qualifier le fait invoqué, mais aussi indiquer le texte
de loi applicable aux prétentions. Concernant l'indication du texte
applicable, la Cour de cassation est d'ailleurs venue préciser un point
important. En effet, par un arrêt du 26 octobre 2000, celle-ci a fait
valoir que même devant le juge civil, « le texte de loi
applicable à la demande est celui qui édicte la peine applicable
aux faits entrant dans la définition d'une infraction de presse, tels
qu'ils sont qualifiés È57. En outre, la
Cour de cassation a imposé au demandeur d'élire
expressément domicile dans la ville où siège la
juridiction saisie, et ce conformément aux exigences de l'article 53
alinéa 2 du texte de 188158.
24. C'est donc un véritable processus d'unification du
procès civil et pénal de presse qui s'est développé
depuis le début des années 1990. Dès lors que les faits
dont la victime demande réparation sont susceptibles d'être
identifiés à une infraction de presse prévue et
réprimée par le texte de 1881, les poursuites, que celles-ci
soient déclenchées devant le juge répressif ou civil, se
verront appliquer les mêmes règles en matière de
prescription de l'action, d'offre de preuve ou encore, de formalisme relatif
à l'acte introductif d'instance.
On l'aura compris, cette « synchronisation
procédurale », souhaitée par certains, décriée
par d'autres, menace bien des actions civiles en responsabilité. Mais
quel est le véritable impact des exigences procédurales de la loi
de 1881 sur les actions portées devant les tribunaux civils ? Quelles
sont les difficultés rencontrées par le juge de l'indemnisation
face à cette transposition de règles de nature pénale dans
le procès civil de presse ?
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