Chapitre 2 : Les règles de fond de mise en
oeuvre de la responsabilité
35. La loi du 29 juillet 1881 met en place toute une
série de comportements susceptibles d'engager la responsabilité
de leur auteur. En effet, les délits de presse figurant au sein du
Chapitre 4 du texte spécial - intitulé « Des crimes et
délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de
publication »84 - ont vocation à appréhender
les abus de la liberté d'expression les plus graves commis par les
médias. Dès lors, à partir du moment où les faits
litigieux sont constitutifs d'une infraction de presse au sens du texte de
1881, il devient possible d'engager la responsabilité pénale des
organes de presse (Section 1).
82 Allant dans ce sens : Civ.
2ème, 14 mars 2002 (3 arrêts), n° 00-13.917,
00-13. 918 et n° 00-13. 919, D. 2002. 1180 ; Civ.
2ème, 25 nov. 2004, n° 02-12. 829, D. 2005.
113.
83 Civ. 1ère, 22 sept. 2011, n°
10-15. 445, D. 2011. 2339.
84 E. Derieux, A.Granchet, Droit de la
communication lois et règlements, Recueil
Légipresse, Victoires-éditions, 2010, p. 312 et s.
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Reste alors à savoir qui sera tenu au civil de
réparer le préjudice causé à la victime de
l'infraction (Section 2).
Section 1 : La nécessaire qualification
pénale de la faute commise
36. « Dans l'orbite de la loi du 29 juillet 1881, le
jeu de la responsabilité civile de droit commun de l'article 1382 du
Code civil est paralysé »85. Il en résulte
que lorsqu'il s'agit de statuer au fond, conformément au texte
spécial, le juge répressif comme celui de l'indemnisation
statuent sur les mêmes fautes (Paragraphe 1). Leur qualification
pénale est d'ailleurs nécessaire au déclenchement du
système de responsabilité dit « en cascade »
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'identité des fautes civile et
pénale de presse
37. Dans le but d'empêcher les actions en
responsabilité civile fondées sur l'article 1382 aux fins de
contournement du texte spécial de 1881, la Cour de cassation s'est
très vite prononcée en faveur d'une identité des fautes
civile et pénale de presse (A). Dès lors, que l'action soit
portée devant les tribunaux civils comme répressifs, les juges -
pour déterminer s'il y a lieu à engager la responsabilité
de l'organe de presse - auront à statuer au regard des seuls abus
prévus et réprimés par le texte spécial (B).
A. Une finalité prophylactique
38. Les délits de presse instaurés par le texte
de 1881 ont été conçus comme incarnant la contrepartie de
la liberté d'expression affirmée dans le domaine de la presse par
le législateur de 1881. La faute civile n'était pas pour autant
exclue du domaine de cette liberté, au contraire86, mais elle
a été jugée insuffisante pour appréhender les
excès de la presse87.
39. Pourtant, pendant plus d'un siècle, la
jurisprudence civile joua sur deux terrains. Aux actions civiles
exercées sur le fondement d'une faute pénale constitutive d'un
des délits réprimandés par la loi spéciale,
celle-ci statuait sur le fondement de cette dernière, s'assurant du fait
que les éléments constitutifs de l'infraction étaient bien
réunis et
85 C. Bigot, « La procédure en
matière de presse en proie aux contradictions », Recueil
Dalloz, 2 juin 2011, n° 21.
86 V. J. Traullé, L'éviction de
l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ,
2007, p. 384 et s
87 N. Mallet- Poujol, « Abus de droit et
liberté de la presse », Légipresse 1997, n°
143-II, p. 81 et s.
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n'omettant pas de vérifier si les faits
n'étaient pas prescrits. En revanche, lorsque les propos litigieux
n'intégraient pas le champ d'incrimination de la loi spéciale,
était appliqué le seul droit civil, ce qui avait pour
conséquence de permettre aux victimes d'échapper au carcan
procédural instauré par le texte de 1881. Ainsi, il arrivait
fréquemment que les tribunaux requalifient des demandes d'indemnisation
fondées sur des fautes simples - soit disant distinctes d'une infraction
de presse - en injure ou diffamation publique de manière à leur
appliquer la courte prescription de l'article 65 à laquelle les victimes
avaient l'espoir d'échapper. Mais bien souvent, les immixtions du droit
commun aboutissaient, et les tribunaux civils parvenaient à
dégager leur propre vision de l'injure et de la diffamation civiles au
visa de l'article 1382 du Code civil88.
Las d'un tel constat, la Cour de cassation décide en
2000 d'empêcher de tels contournements de la loi de 1881 en
décidant par un emblématique « attendu » de principe
que « les abus de la liberté d'expression prévus et
réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être
réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil
»89. La revendication est bien entendu procédurale.
L'affirmation jurisprudentielle d'une identité de la faute civile et
pénale de presse a en effet une finalité purement prophylactique
: éradiquer toute forme d'incursion de la responsabilité civile
de droit commun et consécutivement des règles de procédure
civile, dans l'orbite du texte spécial.
Il convient donc désormais de s'intéresser
à la faute - civile ou pénale - susceptible de constituer un abus
de la liberté d'expression au sens de la loi de 1881.
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