B. Les abus prévus et réprimés par
le texte spécial
40. Les abus réprimés par la loi du 29 juillet
1881 sont nombreux et divers, chacun ayant une matérialité bien
spécifique. Or, ces délits ont un élément
fondamental en commun sur lequel il convient de s'attarder quelques instants
car il constitue une condition préalable à leur existence : la
publication90.
Le professeur Barbier disait très justement au
début du XXème siècle que « la publication fait
le délit »91. En effet, le législateur de
1881 a voulu sanctionner tous les
88 En voici quelques exemples : Civ, 13 juin
1939, DH 1939, p. 386 ; TGI Paris, 3 mai 1983 : D. 1984,
jurisp. p. 14 ; Cass. req.16 fév. 1937, DH 1937, p. 186.
89 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 :
Bull. civ. n°8 préc.
90 En effet, il convient de préciser que
sans cet élément de publicité, la diffamation et l'injure
par exemple, telles que sanctionnées en tant que délits de presse
au sens du texte de 1881, deviendront des contraventions de diffamation ou
d'injure non publiques relevant du Code pénal.
91 Barbier, Code expliqué de la Presse,
2e éd., 1911, t. 1, n° 243.
31
délits commis par l'un des multiples moyens de
communication qu'il énumère au sein de l'article 23 du texte
spécial92. Pour autant, le texte de la loi de 1881 ne
comporte aucune définition de cette notion de « publication ».
Il faudra attendre une loi du 1er août 198693 pour
en obtenir une définition. Selon cette loi, l'expression publication
désigne « tout service utilisant un mode écrit de
diffusion de la pensée mis à la disposition du public en
général ou de catégories de publics et paraissant à
intervalles réguliers » 94 . L'inconvénient
était bien entendu que cette définition ne concernait que les
modes écrits de publication. Le critère de publication s'est donc
épuré au gré d'un constant travail de la jurisprudence
s'accordant aujourd'hui à dégager deux critères
généraux conditionnant toute publication, et ce quel qu'en soit
le support. Tout d'abord, la publicité de l'infraction suppose la
diffusion volontaire des propos litigieux dans un espace public. Puis, ces
propos doivent nécessairement être proférés à
l'attention d'un public, ou tout au moins, un groupe de personnes non
liées par une communauté d'intérêts95.
41. L'ensemble des délits prévus et
réprimés au sein de la loi du 29 juillet 1881 s'imposent comme
limite à la liberté d'expression pour l'ensemble des
médias. En effet, les diverses dispositions des chapitres IV et V du
texte de 1881 - relatives aux crimes et délits commis par voie de presse
et aux modalités de leur poursuite - sont applicables tant aux supports
écrits, qu'à la communication audiovisuelle ou encore internet
96.
Ainsi, parmi les divers abus de la liberté d'expression
réprimés, peut-on citer tout d'abord - parmi les plus
rencontrés - la diffamation et l'injure publique qui nourrissent
à elles seules la majorité du contentieux de la presse. Ces
infractions varient selon qu'elles affectent les particuliers ou les personnes
publiques et peuvent revêtir les formes les plus diverses. Aussi, les
provocations directes comme indirectes ayant pour finalité d'inciter le
public à la haine, la violence, le xénophobisme, occupent une
large place dans le contentieux de la presse. Tout comme l'apologie, le
révisionnisme ou encore le délit de fausses
nouvelles97.
92 V. pour une énumération
complète : art 23 modifié par la Loi n°2004-575 du 21 juin
2004 - art. 2 JO 22 juin 2004.
93 Loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant
réforme du régime juridique de la presse.
94 Ibid art. 1.
95 V. N. Mallet-Poujol, « La notion de
publication sur internet et son incidence concernant la prescription des
délits en ligne », Légicom n° 35, 2006, p. 54 et
s.
96 En effet, la Loi n° 2004-575 du 21 juin
2004 pour la confiance dans l'économie numérique en
prévoit expressément l'application aux services de communication
au public en ligne au sein de l'article 6. V.
97 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer,
Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009, p. 460 et s.
32
Bien entendu, cette liste d'infraction de presse n'est pas
exhaustive, et nous nous éloignerions trop de notre sujet en sombrant
dans une description détaillée des éléments
constitutifs de chacune d'entre elles. Il convient dès lors de
concentrer notre attention sur la question tenant à la
détermination des personnes susceptibles d'être poursuivies en
tant qu'auteurs de ces infractions.
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