Chapitre 2 : Le droit de réponse, ultime
garantie face à la liberté d'expression
188. La victime d'un abus de la liberté d'expression
commis par voie de presse trouvera très probablement un certain
réconfort lorsqu'elle découvrira chez son avocat, qu'à
défaut de pouvoir s'assurer d'obtenir gain de cause à son
procès, un droit de réponse aux propos litigieux lui est
conféré par la loi. Ainsi, plutôt que d'intenter une action
en justice à l'issue incertaine, celle-ci préfèrera
parfois s'en tenir à ce moyen de riposte444. « Un
tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras : l'un est sûr, l'autre
ne l'est pas »445.
189. Le droit de réponse confère la
faculté à toute personne nommée ou désignée
par une publication de presse d'exprimer son point de vue dans les pages d'un
journal, à l'antenne d'une radio, d'une télévision ou
encore sur internet446. Il importe donc peu que la demande de
réponse intervienne à la suite d'un propos jugé fautif,
puisque celle-ci pourra indifféremment être admise, tant pour des
propos dénigrants, injurieux, diffamatoires, que pour des propos
bienveillants voire élogieux.
190. Ce droit fait l'objet d'un traitement particulier dans
notre sujet car nous verrons qu'il constitue un moyen supplémentaire
d'engager la responsabilité civile des organes de presse. De surcroit,
de façon quelque peu subliminale certes, il semblerait que la
réponse renvoie implicitement au concept de réparation tel que
conçu en matière de responsabilité civile. En effet, le
droit de réponse offre d'une certaine manière un moyen pour la
victime de se replacer dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant
la publication du propos litigieux447. Il apparait donc d'autant
plus intéressant de se pencher sur l'étude d'un tel
mécanisme448.
444 Un ancien article du journal Libération,
dénonçant certaines pratiques abusives dans l'usage du droit de
réponse, illustre parfaitement ce propos : « Écrivez que
le Front national est «raciste», il ne poursuivra pas pour
diffamation, mais exigera un droit de réponse. Autant il est difficile
au Front national de prouver qu'il n'est pas «raciste». Car
s'affronteraient alors à la barre des témoignages et des offres
de preuve risquant fort de finir en déroute judiciaire. Autant la
procédure rapide du droit de réponse lui permet de s'offrir,
à peu de frais, une demi-page de tribune libre ». (D.
Simmonot, Le droit de réponse : un droit à consommer avec
modération », Libération, 11 juin 1996).
445 Jean de La Fontaine, Le poisson et le pêcheur
in Les fables du poisson, V, éd. Le capucin, 2006.
446 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p.
419.
447 Civ. 2e, 1er avr. 1963, préc. :
« le propre de la responsabilité civile est de rétablir
aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage
et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation
où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était
pas produit ».
448 On se contentera d'évoquer l'existence, en sus du
droit de réponse, d'un droit de rectification offert aux
dépositaires de l'autorité publique et leur permettant de pouvoir
rectifier « des actes de leur fonction qui ont été
inexactement rapportés » dans un journal ou écrit
périodique (art. 12 Loi du 29 juillet 1881).
191.
112
Le droit de réponse - initialement prévu pour
répondre aux propos diffusés par la presse écrite - compte
tenu de l'apparition des nouvelles formes de communication au public par voie
électronique449, a fait l'objet de certains remaniements dont
les effets se traduisent par un régime juridique relativement
hétérogène (Section 1). Pour autant, quel que soit le
média concerné par la réponse, celle-ci participe d'un
même besoin de rompre avec l'unilatéralisme de la diffusion des
messages450. Un tel contre-pouvoir devait naturellement rencontrer
certaines limites (Section 2).
Section 1 : Le régime juridique disparate du
droit de réponse
192. En raison des spécificités techniques
propres aux moyens de communication contemporains, le droit de réponse
tel qu'il fut initialement conçu par la loi du 29 juillet 1881, a
quelque peu perdu de son harmonie (Paragraphe 1). Mais une chose demeure, et ce
depuis sa création. Indépendamment du support concerné,
son non-respect rendra toujours possible la mise en oeuvre de la
responsabilité civile du directeur de publication (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La réponse confrontée
à la diversité des supports de presse
193. Si le droit de réponse figurait
déjà depuis 1881 dans le domaine de la presse écrite - au
sein de l'article 13 de la loi sur la liberté de la presse - ce n'est
qu'un siècle plus tard que le législateur prendra le soin de
l'étendre en matière audiovisuelle (art. 6 loi du 29 juillet
1982). Ce droit ne pénètrera la sphère internet
qu'à compter du deuxième millénaire grâce à
la loi sur la confiance dans l'économie numérique (art. 6-IV LCEN
du 21 juin 2004).
194. À la lecture des différents articles
ci-dessus recensés, on remarque d'emblée que les conditions
d'ouverture du droit de réponse varient selon le support
concerné.
Tout d'abord, il résulte de l'article 13 de la loi du
29 juillet 1881 que seules les publications provenant de « journaux ou
écrits périodiques » pourront justifier la mise en
oeuvre d'un tel droit. Il convient dès lors de souligner l'importance de
cette condition de
449 La notion de « communication au public par voie
électronique » regroupe à la fois la «
communication audiovisuelle » (encadrée par la Loi n°86-1067
du 30 septembre 1986 concernant essentiellement les médias que
constituent la radio et la télévision) et la « communication
au public en ligne » (Loi LCEN n°2004-575 du 21 juin 2004 concernant
l'internet).
450 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 75.
113
« périodicité » qui d'ores et
déjà, a vocation à exclure toute forme d'écrits non
périodiques type livres, affiches, tracts et autres. L'article 6 de la
loi du 29 juillet 1982 lui, prévoit un droit de réponse
« dans le cadre d'une activité de communication audiovisuelle
». Mais une loi du 30 septembre 1986 ajoute là encore
l'exigence de périodicité de l'émission (de
télévision, de radio) propagatrice des propos litigieux. Enfin,
depuis un décret du 24 octobre 2007, le droit de réponse
consacré en matière de presse en ligne par l'article 6-IV de la
loi du 21 juin 2004 est exclu, dès lors que « les utilisateurs
sont en mesure (É) de formuler directement les observations qu'appelle
de leur part un message qui les met en cause »451.
Autrement dit, ne sont pas concernés par le droit de réponse, les
sites fonctionnant sur la base d'un système d'interaction entre
internautes.
195. Une fois la question tenant à savoir si les propos
litigieux peuvent donner lieu à l'insertion d'une réponse
résolue, se pose celle de la détermination des titulaires d'un
tel droit.
Pour ce qui est de la presse écrite et de la presse en
ligne tout d'abord, la loi prévoit que le droit de réponse
bénéficie à toute personne « nommée ou
désignée » dans le « journal ou écrit
périodique» ou dans le « service de communication au
public en ligne ». Ce droit est donc personnel car il concerne la
seule personne - physique ou morale452 - mise en cause dans les
propos litigieux453. Par ailleurs, il importe peu que les propos en
question soient nuisibles.
En ce qui concerne la presse audiovisuelle en revanche - et
c'est là un point essentiel de divergence avec le régime imparti
aux autres médias - le droit de réponse ne
bénéficie qu'aux personnes ayant fait l'objet d'«
imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la
réputation »454. Sa mise en oeuvre est
subordonnée à l'existence d'une attaque. Les perspectives de
réponse seront donc moins larges pour ce média car la
451 Décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007
relatif au droit de réponse applicable aux services de communication
au public en ligne.
452 Ainsi du droit de réponse exercé par une
commune : Crim. 6 nov. 1956 : Bull. crim. n°172.
453 La loi du 29 juillet 1881 déroge néanmoins
à la règle dans les deux cas que constituent d'une part, le
droit de réponse des héritiers (l'article 34 alinéa 2
de la loi du 29 juillet 1881 met en place un droit de réponse
spécifique ouvert aux héritiers de personnes défuntes
faisant l'objet d'imputations diffamatoires ou injurieuses permettant d'une
certaine manière de compenser les difficultés que ces derniers
connaissent pour obtenir réparation : V. Supra n°96 et s.)
et d'autre, le droit de réponse des associations (l'article
13-1 de la loi du 29 juillet 1881 accorde un droit de réponse
spécifique aux associations participant à la lutte contre le
racisme et la xénophobie).
454 Loi du 29 juillet 1982, art. 6. I al. 1er.
114
personne mise en cause se verra non seulement dans
l'obligation de démontrer l'existence d'imputations455, mais
aussi, d'un préjudice.
On a donc un droit de réponse dont les conditions
d'ouverture sont relativement changeantes selon le support
concerné456. Si en matière de presse en ligne, sa mise
en oeuvre répond à des exigences quasi-similaires que celles
fixées pour la presse écrite, les médias audiovisuels eux,
s'en éloignent, et bénéficient indéniablement d'un
régime de faveur. Il n'en demeure pas moins que lorsque l'ensemble des
conditions en question seront satisfaites, quel que soit le support
concerné, le directeur de publication sera tenu à son obligation
d'insertion qui, en cas d'inexécution, sera sanctionnée.
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