Presse et responsabilité civile( Télécharger le fichier original )par Antoine Petit Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012 |
B. Ceux justifiant des atteintes au droit à l'image186. Nous avons vu précédemment qu'en référence à l'article 9 du Code civil, les tribunaux continuent, encore aujourd'hui, de juger que toute personne dispose « d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à la reproduction de son image, sans son autorisation préalable »427. Cependant, à la vue de la multiplication des cas justifiant des atteintes au droit à l'image par voie de presse, l'absolutisme apparent de ce droit semble clairement ressortir ébranlé de sa confrontation au principe de liberté d'expression. Encore une fois, l'une des premières causes du phénomène de relativisation que connaît le droit à l'image est sans conteste celle que constitue le droit du public à l'information428. C'est avec l'arrêt Foca du 6 février 1996, que la Cour de cassation a pour la première fois autorisé la diffusion d'une image sans le consentement de l'intéressé, estimant que le droit à l'image devait s'incliner face aux exigences d'information du 424 Civ. 1e, 27 fév. 2007 : Bull. civ. n° 85, p.73. 425 « Le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit ». Telle fût la formule utilisée par la Cour de cassation pour débouter les héritiers de François Mitterrand en leur demande de réparation du préjudice d'atteinte à leur vie privée causé par la publication du livre Le Grand secret : Civ. 1e, 14 déc. 1999 : Bull. civ.n°345. 426 Civ. 1e, 20 nov. 2003 : Bull. civ.II, n°354. 427 V. encore en ce sens récemment : TGI Paris, 9 juin 2010 : Légipresse 2010. 374, note C. Mas. 428 C. Bigot, « La liberté de l'image entre son passé et son avenir », Légipresse n°182, II, p. 68 et s. 108 public lorsqu'est en cause un événement d'actualité429. Mais, semblant vouloir chercher à renforcer la légitimité d'une telle position, en plus de l'alibi du droit à l'information, la Cour exige aussi depuis peu, la démonstration d'un lien entre l'information traitée et l'image publiée430. Autrement dit, celle-ci impose que l'illustration par l'image d'un sujet d'actualité participant à l'information du public soit en « lien direct » avec ce dernier. Par exemple, dans l'affaire dite de l'église St. Bernard, une photographie d'un fonctionnaire de police procédant à l'expulsion d'occupants du lieu de culte avait été publiée en guise d'illustration sur des tracts appelant à manifester. Le policier, faisant valoir que son droit à l'image avait été violé, s'est vu débouté en sa demande de réparation, la Cour de cassation faisant valoir que d'une part, l'image participait d'un sujet d'actualité et donc du droit à l'information et d'autre, que celle-ci était « en relation directe avec l'événement » illustré431. Deux conditions donc, permettant de légitimer l'atteinte portée au droit à l'image, sous couvert du droit du public à l'information. Ensuite, l'autre fait de nature à relativiser la protection offerte par le droit à l'image est celui tenant au caractère public du lieu de sa fixation. En effet, s'il est acquis en jurisprudence qu'une image volée d'une personne prise dans un lieu privé - que cette dernière soit anonyme ou célèbre - est condamnable, soit au regard du droit au respect de la vie privée, soit au regard du droit à l'image, il en va autrement lorsque celle-ci est captée dans un lieu public432. Comme le souligne le Tribunal de grande instance de Paris, « le spectacle qu'offrent les lieux publics ne saurait être nécessairement subordonné à l'accord de chacune des personnes s'y trouvant, sous peine d'interdire toute prise de vue »433. Pour autant, le fait qu'une personne intéressant l'actualité se trouve dans un lieu public ne confère pas tous les droits au photographe434. D'ailleurs les décisions rendues en la matière peuvent parfois être décriées tant la notion même de lieu public peut parfois prêter à discussion435. On comprend donc qu'il revient à la jurisprudence, par une pesée 429 Civ. 1e, 6 fév. 1996 : D. 1997, somm. p. 85, obs. Hassler. 430 C. Bigot, « Le nouveau régime du droit à l'image : le test en deux étapes », Dalloz, 2004, comm. p. 2596. 431 Civ. 1e, 20 fév. 2001 : Légipresse n°180. III, p. 53, 2001, note E. Derieux ; aussi, Civ. 2e, 11 déc. 2003 : Comm. com. électr., mars 2004, p. 40. 432 D. De Bellescize, L. Franceschini, op. cit. p. 432. 433 TGI Paris, 2 avr. 1997 : Légipresse n°147. I, p. 148. 434 V. CA Paris, 16 juin 1986 : D. 1987, somm. p. 136 : « la circonstance qu'une personne intéressant l'actualité se trouve dans un lieu public ne peut être interprétée comme une renonciation à se prévaloir du droit que chacun a sur son image, ni entraîner une présomption d'autorisation ». 435 Ainsi, de la photographie prise de membres de la famille princière de Monaco suivant le grand prix automobile d'un balcon : le tribunal de grande instance de Paris ayant estimé que le balcon en question n'équivalait « pas à une loge officielle, mais au balcon d'un appartement privé » : TGI Paris, 13 mars 1996, inédit. 109 des intérêts en présence, de procéder au cas par cas pour trancher ce type de litiges. Mais en tout état de cause, il est de principe que le « droit exclusif et absolu » dont dispose toute personne sur son image « trouve ses limites lorsque les photographies sont prises dans le cadre d'évènements ou de manifestations se déroulant dans des lieux publics »436. Enfin, apparu depuis peu en jurisprudence, la « liberté de création artistique » peut désormais être ajoutée à la liste des circonstances participant à l'affaiblissement de la protection civile offerte par le droit à l'image. C'est en effet depuis un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 2 juin 2004, qu'a été inauguré ce mouvement de justification des atteintes portées au droit à l'image. Dans cette affaire, était en cause la publication d'une photographie d'une personne assise dans le métro. Le tribunal, mettant en avant que l'image litigieuse participait d'un témoignage sociologique et artistique ayant trait au comportement humain, a décidé de légitimer l'atteinte437. D'autres décisions ont depuis été rendues en ce sens438. Un nouveau pas semble donc avoir été franchi en faveur de la liberté d'expression. 187. Néanmoins, s'il est une limite dont la liberté d'expression ne peut en aucun cas s'affranchir - et cela, fût-ce sous couvert d'humour, du droit du public à l'information ou autre439 - c'est la dignité de la personne humaine. En effet, depuis un certain nombre d'années, cette notion semble clairement s'ériger en limite absolue au principe de liberté d'expression dont disposent les médias. Cela est particulièrement flagrant dans le domaine de l'image où la jurisprudence n'hésite pas à sanctionner la diffusion de photographies jugées indécentes à l'égard des intéressés440. Il semblerait donc que la liberté d'expression se trouvera toujours, quelles que soient les circonstances, supplantée par le droit dont 436 CA Versailles, 7 déc. 2000 : Légipresse n°179. III, p. 35 ; aussi dans ce sens, CA Versailles, 31 janv. 2002 : D. 2003, somm. p. 1533, note Caron. 437 TGI Paris, 2 juin 2004 : Légipresse n°213. I, p. 99. 438 TGI Paris, 21 nov. 2005 : Légipresse n°229. I. p. 24 ; TGI Paris, 9 mai 2007 : Légipresse n°246. III, p. 234. 439 Sont visés ici, tous les faits justificatifs étudiés au sein de ce chapitre et participant à l'amoindrissement des perspectives d'aboutissement des actions en responsabilité civile. 440 Les exemples dans lesquels l'atteinte à la dignité de la personne humaine a été retenue sont divers et variés : ainsi, de la diffusion de la photographie du corps du préfet Claude Érignac gisant sur la chaussée (Civ. 1e, 20 déc. 2000 : JCP G, 14 mars 2001, II, 10488) ; ainsi, de l'image du comédien Jean Paul Belmondo, le représentant sur une civière suite à un accident vasculaire (CA Versailles, 14 mars 2007 : Légipresse n°240, I, p. 44) ; ainsi, de l'image publicitaire illustrant un corps humain fractionné et tatoué des lettres HIV (CA Paris, 28 mai 1996 : D. 1996, p. 617, note B. Edelman). 110 dispose tout un chacun de voir respecter sa dignité441. Toutefois, il convient de relativiser l'impact d'une telle limite. Si l'on peut se réjouir de son application en jurisprudence - la dignité humaine étant un droit de la personnalité des plus essentiels442 - il n'en demeure pas moins qu'en pratique, la majorité des abus ne franchiront pas le pas d'une telle atteinte et pourront donc potentiellement bénéficier des exutoires de responsabilité façonnés par les juges.
Une formule bien connue de Victor Hugo affirme que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité »443. Ce chapitre contribue nettement à douter de l'absolutisme d'un tel propos. En effet, l'essor accordé par les juges à la liberté d'expression ne paraît pas vraiment s'accompagner d'un renforcement des perspectives de mise en oeuvre de la responsabilité civile des médias. Bien au contraire, il semblerait que les cas d'impunité se multiplient à mesure que la liberté d'expression elle, gagne du terrain. Une chose demeure néanmoins certaine pour la victime. À défaut de pouvoir être assurée du succès de ses prétentions, tant les possibilités de se voir débouter en ses demandes sont nombreuses, tant la liberté d'expression semble peser lourd dans la balance des intérêts en présence, celle-ci aura toujours la faculté d'user d'une des spécificités majeure du droit de la presse : le droit de réponse. 441 En effet, nul doute que si l'argument de la dignité humaine est en mesure d'empêcher la diffusion d'images litigieuses, il en sera de même pour les espèces où seront en cause des propos attentatoires à la vie privée, à l'honneur ou à la considération, quand bien même ceux-ci verseraient dans l'humour, ou bien relèveraient d'un fait d'actualité. Par exemple eu égard à l'effet justificatif de l'humour, deux jugements du tribunal de grande instance de Paris ont pu faire valoir que « s'il est exact que le contexte d'une publication humoristique conduit, en règle générale, à une appréciation bienveillante des principes qui gouvernent la liberté d'expression, ce ne peut être que dans les limites du respect de la personne humaine et de sa dignité la plus élémentaire » : TGI Paris, 11 janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits. 442 La dignité est le principe juridique premier si l'on en croit la place qui lui est conférée au sein de la Charte des droits fondamentaux de Nice du 7 décembre 2000 (article 1er du chapitre préliminaire). 443 Victor Hugo, Paris et Rome, XII, éd. Lévy, 1876. 111 |
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