Paragraphe 2 : Les faits justificatifs d'atteintes aux
droits de la personnalité
184. En vue d'assouvir encore d'avantage les perspectives
d'expansion de la liberté d'expression, la jurisprudence n'a pas
hésité à dégager un nombre substantiel de faits
justificatifs d'atteintes aux droits de la personnalité. Au premier rang
des concernés par ce mouvement de relativisation des attributs de la
personne figurent principalement : le droit au respect de la vie privée
(A), et celui de l'image (B).
A. Ceux justifiant des atteintes au droit à la
vie privée
185. Parmi les circonstances susceptibles d'opérer une
justification des atteintes à la vie privée, on dénote
trois principales hypothèses.
414 V. en ce sens : TGI Paris, 12 janv. 1993 :
Légipresse n°108, I, p. 11 ; Civ. 2e, 13
fév. 1991 : Bull. civ.II, n°51 ; TGI Paris, 9 mars 1987 :
Gaz. Pal. 1987, 1, 267.
415 P. Desproges, Les réquisitoires du tribunal des
flagrants délires, éd. Seuil, 2003, p. 171.
416 Crim. 20 oct. 1992 : Bull. crim. n°329 ; TGI
Paris, 26 fév. 1992, Légipresse n°96, I, p. 121 ;
TGI Paris, 11 janv. 1996 et 21 mars 1997, inédits.
417 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p.
742.
106
Tout d'abord, première hypothèse, celle tenant
au fait que les éléments révélés sur la vie
privée de la victime ont déjà été rendus
publics418. Selon la jurisprudence, les propos en question ayant
acquis le statut de « faits publics », ont définitivement
perdu leur caractère secret et donc, ne peuvent réintégrer
le champ de l'interdiction visé par l'article 9 du Code
civil419. La Cour européenne a récemment statué
en ce sens dans une affaire où étaient en question des
révélations ayant trait à la vie privée du chanteur
Johnny Hallyday, celle-ci ayant estimé que la redivulgation
d'informations déjà rendues publiques par le chanteur sur la
gestion de ses biens et de son argent, ne lui conférait plus
l'« espérance légitime » de voir sa vie
privée effectivement protégée420. Mais
attention, la complaisance dont aurait pu faire preuve la victime en
révélant certains aspects de sa vie privée ne lui interdit
pas pour autant de prétendre à la protection d'autres
éléments à caractère personnel au titre de
l'article 9 du Code civil421.
Ensuite, s'il est bien un fait justificatif classique en droit
de la presse permettant de légitimer des abus de la liberté
d'expression - et en l'espèce des atteintes à la vie
privée - c'est bien celui que constitue le droit du public à
l'information. Couplé avec l'argument tenant à la
notoriété publique de la personne se plaignant d'une atteinte
à la vie privée, ce droit à l'information peut
s'avérer être un formidable outil de défense. Bien entendu,
le principe demeure celui selon lequel « toute personne, quels que
soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou
à venir, a droit au respect de sa vie privée
»422. Toutefois, celui-ci est loin d'être absolu. En
attestent, les multiples décisions rendues par nos juridictions internes
admettant allègrement que certains faits et gestes de personnes à
notoriété publique soient révélés librement
au nom du droit à l'information. Il ne faut pas pour autant en
déduire que les intéressés seront privés de la
protection offerte par l'article 9 du Code civil. Tout au plus, les limites
à cette protection seront appréciées plus largement.
Ainsi, la vie privée de ces derniers pourra pour les besoins de
l'actualité, de l'intérêt général - et donc
sous couvert du droit du public à l'information - plus facilement
être dévoilée423. Par exemple, la Cour de
cassation, dans un arrêt rendu le 27
418 C. Bigot, « Droits de la personnalité :
panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz 2005, n°38, p.
2647.
419 Statuant en ce sens : Civ. 1e, 2 avr. 2002 :
LPA, 6 mai 2002, p. 16, note E. Derieux ; Civ. 2e, 3 juin
2004 : Bull. civ.II, n°272, p. 231 ; Civ. 1e, 23 avr.
2003 : D. 2003, jurisp. p. 1854, note C. Bigot.
420 CEDH, 23 juillet 2009, Hachette Filipacchi
Associés c/ France, n°12268/03, §53.
421 CA Paris, 27 fév. 1967 : D. 1967, p. 450,
note J. Foulon- Piganiol.
422 Civ. 1e, 23 oct. 1990 : Bull.
civ.n°222
423 V. illustrant ce propos : CEDH, 7 fév. 2012,
Axel Springer c/ Allemagne, n°39954/08, où la Cour de
Strasbourg, ayant estimé que l'acteur qui se revendiquait victime d'une
atteinte à sa vie privée était suffisamment connu pour
être qualifié de « personnage public », jugea que cet
élément était de nature à renforcer le droit du
public à l'information sur les circonstances de son arrestation.
107
février 2007 où étaient poursuivis des
propos révélant la paternité hors-mariage du Prince Albert
de Monaco, a estimé que ceux-ci, faisant état d'un «
fait d'actualité » relatif à une personne publique,
participaient d'un but légitime d'information du
public424.
Enfin, la troisième hypothèse dans laquelle on
peut réellement parler d'exception d'atteinte au droit au respect de la
vie privée est celle du décès de la personne objet de
l'atteinte. En effet, il est acquis en jurisprudence que la protection offerte
par l'article 9 est personnelle et disparaît avec le décès
de l'intéressé425. Aucune action en réparation
des héritiers ne sera donc admise sur ce fondement, celle-ci
étant « intransmissible »426. Tout au
plus, ces derniers pourront intenter une action en réparation pour
atteinte à leurs sentiments d'affliction.
On peut donc remarquer que les situations permettant de
justifier les ingérences de la liberté d'expression dans la vie
privée des gens - au plus grand plaisir des adeptes
d'indiscrétions de presse - sont relativement développées.
Ce phénomène, témoignant d'une forme de relativisation du
droit au respect de la vie privée, est d'ailleurs accentué par le
développement fracassant des exceptions au droit à l'image.
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