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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Paragraphe 2 : La création jurisprudentielle de nouveaux faits justificatifs en matière de diffamation

172. Comme pour l'ensemble des délits de presse prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, une présomption de mauvaise foi repose sur le diffamateur. Or, loin d'être irréfragable, ce dernier à toujours la possibilité - sauf dans les trois cas énumérés précédemment385 - de renverser cette présomption en prouvant sa bonne foi386. Celle-ci,

378 Il faut en quelque sorte que l'injure « réponde » à la provocation : en ce sens, Crim. 10 mai 2006 : D. 2006, jurisp. p. 2220, note E. Dreyer ; Crim. 16 avr. 1985 : Bull. crim. 1985, n°140.

379 Cela est le cas par exemple lorsque celle-ci a trait à « l'intimité de la vie privée » et sort du débat d'idées : Crim. 16 avr. 1985 ibid.

380 A. Chavanne, J-Cl. Communication, Fasc. 3140, n°70.

381 Certains auteurs estiment au contraire que l'excuse de provocation se rapproche davantage du fait justificatif, celle-ci ayant pour effet de faire « disparaître l'infraction » d'injure : en ce sens, F. Goyet, Droit pénal spécial, Sirey, 8e éd., 1972, p. 613, n°887.

382 Par exemple, si l'article 39 bis « puni de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser, de quelque manière que ce soit, des informations relatives à l'identité ou permettant l'identification » d'un mineur, l'alinéa 2nd prévoit néanmoins que « les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la publication est réalisée à la demande des personnes ayant la garde du mineur ou des autorités administratives ou judiciaires ».

383 Par exemple l'article 39 quinquies incrimine la publication de renseignements portant sur l'identité d'une victime de sévices sexuels sauf si celle-ci « a donné son accord écrit » (al. 2).

384 V. Supra n°165.

385 V. Supra n°170.

386 Crim. 7 nov. 1989 : Bull. crim. 1989, n°403.

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une fois reconnue par le juge, lui permettra alors d'échapper à toute condamnation, pénale comme civile387. Mais alors, comment caractériser cette bonne foi ?

173. Pour répondre, il nous faut s'en remettre au travail de la jurisprudence qui par une multitude de décisions rendues en la matière, semble s'accorder à dire que « la bonne foi de la personne recherchée pour diffamation suppose, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la fiabilité de l'enquête »388. On a donc quatre conditions, cumulatives389, et permettant de justifier des diffamations jugées par certains, « nécessaires », « opportunes »390, car poursuivant un but légitime d'information391.

174. Ces quatre conditions, qui de manière constante furent formellement exigées par les juges pour remplir leur rôle de justificatif de la diffamation, semblent sous l'impulsion de la Cour européenne des droits de l'homme ne plus constituer un ensemble insécable pour nos juridictions internes. En effet, un mouvement de rénovation se fait sentir. En témoignent, les trois arrêts dits Robert rendus le 3 février 2011 par la première chambre civile de la Haute juridiction dans une affaire de diffamation392. Dans ces arrêts de cassation, la Cour a considéré que les critères que constituaient « l'intérêt général du sujet traité » ainsi que « le sérieux constaté de l'enquête », suffisaient à légitimer les imputations diffamatoires litigieuses. Deux critères et non plus quatre.

Selon Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, le dessein de la Cour vise clairement à rénover la « théorie des quatre éléments », pour finalement réduire la bonne foi à l'établissement de deux conditions : d'une part, l'existence d'un débat d'intérêt général et d'autre, le sérieux de l'enquête393. À n'en pas douter, cette nouvelle voie entreprise par la Cour de cassation est le reflet de l'influence exercée par la jurisprudence

387 V. C. Bigot, « La bonne foi du journaliste : état des lieux », Légicom n°28, 2002/3.

388 Civ. 2e, 8 avr. 2004 : Bull. civ.II. n°185 ; Civ. 2e, 27 mars 2003 : Bull. civ.II. n°84.

389 La Cour de cassation estime en effet que si l'un de ces quatre éléments fait défaut, le prévenu sera exclu du bénéfice du fait justificatif de bonne foi : Crim. 27 fév. 2001, n°00- 82557, inédit.

390 P. Mimin, DP 1939, I. 77.

391 En effet, parmi les quatre conditions requises pour l'établissement de la bonne foi du diffamateur, celle tenant à la « légitimité du but poursuivi » est la plus essentielle. D'une manière générale, la jurisprudence la considère comme remplie dès lors que les imputations, bien que diffamatoires, remplissent une mission d'information sur un sujet d'intérêt général : en ce sens, Civ. 1e, 3 avr. 2007 : JCP G. IV. 1968 ; Civ. 2e, 23 mai 2001 : LPA 2001, n°139, p. 25, note E. Derieux.

392 Civ. 1e, 3 fév. 2011, pourvois n°0910301, n°0910302, n°0910303.

393 C. Bigot, « La portée de la rénovation de la théorie de la bonne foi sous l'emprise de l'intérêt général », Légipresse n°290, Janv. 2012, p. 27.

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de la Cour de Strasbourg394. Cela fait en effet longtemps déjà, que la Cour européenne des droits de l'homme s'efforçait de faire triompher la liberté d'expression en mettant en avant ce critère poreux que constitue « l'intérêt général » pour conclure à la violation - par nos juridictions internes - de l'article 10 de la Conv. EDH395. La Cour de cassation semble donc avoir été contaminée par l'expression. Au point même qu'elle paraît vouloir l'ériger en substitut - avec le critère tenant au sérieux de l'enquête - des quatre éléments traditionnellement retenus pour caractériser la bonne foi du diffamateur396. La Cour européenne avait déjà exprimé sa réticence vis à vis des critères de prudence et d'absence d'animosité personnelle en critiquant la « particulière raideur » dont faisaient preuve les juges internes dans l'interprétation de ces derniers397. En les mettant de côté dans les arrêts Robert, la Cour de cassation semble en avoir tenu compte.

175. Qu'en penser ? Une chose est sûre, l'imprécision de la notion d'« intérêt général » - quand bien même le critère du « sérieux de l'enquête » resterait à prouver - comporte un fort risque d'arbitraire pour les juges dans la mesure où « l'intérêt général » demeure une notion éminemment subjective. Attention alors à ne pas tomber dans un système trop manichéen dans lequel les juges se feront arbitre de ce que constitue une bonne ou mauvaise information pour le public. N'oublions quand même pas les enjeux du débat. Il s'agit de laisser impuni l'auteur d'une diffamation. Diffamation qui implique une atteinte à l'honneur dont on sait qu'il s'agit là d'un intérêt des plus noble et précieux de l'homme398. Diffamation qui constitue avec l'injure, l'infraction la plus rencontrée dans le contentieux de la presse. La question tenant à savoir si la rénovation de la théorie classique de la bonne foi doit être considérée comme un progrès pour notre droit n'est donc pas à prendre à la légère. Les enjeux sont importants. C'est la raison pour laquelle une définition

394 J-Y. Monfort, « L'apparition en jurisprudence du critère du « débat d'intérêt général » dans le droit de la diffamation », Légipresse n°290, Janv. 2012, p. 21.

395 V. à titre d'exemple : CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, n°38432/97, §45 ; CEDH, 24 fév. 1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique, n°19983/92, §37 ; CEDH, 22 déc. 2005, Paturel c/ France, n°54968/00, §42 ; CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France, n°12697/03, §47 ; CEDH, 14 fév. 2008, Libération c/ France, n° 20893/03, §63.

396 Il convient néanmoins de préciser que ce critère de « débat d'intérêt général » n'est en réalité qu'un corolaire de celui tenant à la légitimité du but poursuivi (faisant parti de la théorie des quatre éléments) la jurisprudence ayant montré que l'information du public sur un sujet d'intérêt général constituait le principal but légitime attestant de la bonne foi : B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de droit de la presse et des médias, Lexisnexis, 1ère éd., 2009, p. 487.

397 CEDH, 7 nov. 2006, Mamère c/ France, n°12697/03, §47.

398 Rappelons encore, cette fameuse formule employée par l'avocat creusois Dareau, au XVIIIe siècle : « De tous les biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui d'une bonne réputation » (F. Dareau, Traité des injures dans l'ordre judiciaire, 1777, Discours préliminaire, p. vij)

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plus précise de ce qu'implique cette notion d'« intérêt général » en matière d'information serait probablement la bienvenue.

Toujours est-il que ce débat des faits justificatifs - dont nous venons de voir que la loi du 29 juillet 1881, à elle seule, permet largement d'alimenter - constitue un outil d'expansion supplémentaire pour la liberté d'expression qui ne cesse de conquérir de nouveaux territoires. En l'espèce, celui de l'honneur, de la considération, dont la protection semble de moins en moins absolue. D'ailleurs, ce constat d'expansion semble se perpétuer dans d'autres domaines, restreignant toujours d'avantage la menace que peut susciter la responsabilité civile.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard