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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Titre 2 : L'impuissance de la responsabilité civile face à la prééminence de la liberté d'expression

163. L'action civile en réparation a priori admise, celle-ci se heurte encore à la possibilité d'une éviction à raison du contexte dans lequel la faute s'insère. C'est ainsi que la jurisprudence et la loi ont pu dégager tout une panoplie de faits justificatifs spéciaux, propres au domaine de la presse, concernant des propos litigieux.

164. Le fait justificatif permet d'anéantir l'illicéité de l'acte ou de l'omission génératrice de responsabilité365. Il peut donc se révéler être un formidable stratagème de défense pour le défendeur à l'action. Il s'agit originairement d'un concept de droit pénal qui s'est ensuite logiquement étendu en matière civile366. En effet, il apparaissait normal que le fait considéré comme justificatif d'une infraction pénale soit aussi à même d'annihiler la faute civile367. En sa présence, responsabilité pénale comme civile devaient disparaître.

D'où l'importance pour notre sujet, d'évoquer ces différents faits justificatifs érigés par la loi et la jurisprudence en matière de presse. Nombreux et variés, évoluant avec le temps, ceux-ci interviennent dans tous les domaines où la responsabilité civile est susceptible de s'immiscer réduisant encore davantage les perspectives de réparation des victimes (Chapitre 1). Le droit de réponse reste alors l'ultime chance de se faire entendre, et ce quelle que soit l'existence ou non d'un comportement fautif, quelle que soit l'issue des poursuites (Chapitre 2).

Chapitre 1 : La multiplication des faits justificatifs spéciaux en matière de presse

165. Le contentieux de la presse est très propice au débat des faits justificatifs. Que l'on se trouve sur le terrain du droit commun comme du droit spécial, les défendeurs ont souvent la possibilité de chercher à convaincre que les circonstances dans lesquelles

365 M. Bacache-Gibeili, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, 2ème éd., Economica, 2012, n°152.

366 V. J. Bergeret, La notion de fait justificatif en matière de responsabilité pénale et son introduction en matière de responsabilité civile, Thèse Grenoble, 1946 ; J. Dingome, Le fait justificatif en matière de responsabilité civile, Thèse Paris I, 1986 ; J. Pélissier, « Faits justificatifs et action civile », Dalloz, 1963, chron. p. 121.

367 D'ailleurs la jurisprudence fait valoir que le juge civil saisi d'une action fondée sur le droit commun est tenu de requalifier les faits litigieux afin que l'auteur puisse jouir de cette immunité : Civ. 2e, 8 mars 2001 : Bull. civ. II. n° 46.

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s'insère l'abus sont à même de le légitimer. Bien entendu, notre droit positif connaît un certain nombre de faits justificatifs « généraux » parmi lesquels figurent notamment, l'ordre de la loi, le commandement de l'autorité légitime ou encore, la légitime défense368. Mais la pratique nous enseigne que ceux-ci sont rarement invoqués lors des procès de presse369.

166. Si un certain nombre de faits justificatifs étaient déjà spécialement prévus par la loi du 29 juillet 1881 pour un nombre restreint d'infractions (Section 1), nous verrons que l'évolution des moeurs, des modes d'expression, sont autant de facteurs ayant considérablement développé ce domaine que constitue celui des faits justificatifs des abus de la liberté d'expression (Section 2).

Section 1 : Les faits justificatifs d'infractions prévus par la loi du 29 juillet 1881

167. Trois catégories d'infractions prévues et réprimées par la loi sur la liberté de la presse sont concernées par l'existence de faits justificatifs spéciaux (Paragraphe 1). Même si par principe leur consécration dépend de la seule compétence du législateur370, la jurisprudence est venue étendre les facteurs d'irresponsabilité en matière de diffamation (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Un domaine limité à certaines infractions

168. Parmi toutes les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881, trois sont susceptibles - quand bien même les éléments constitutifs seraient réunis - de ne pas donner lieu au prononcé d'une peine. Il s'agit tout d'abord de la diffamation en cas de preuve de la vérité des propos diffamatoires. De l'injure, dans l'hypothèse de ce que l'on nomme communément, l'excuse de provocation. Puis, d'infractions éparses ayant en commun de chercher à protéger des informations confidentielles et dont la violation, à raison du but poursuivi ou du consentement de la victime, ne sera pas sanctionnée.

169. Concernant la diffamation avant tout, le principe est que toute personne suspectée de diffamation publique peut échapper à la condamnation dès lors qu'elle prouve la vérité des

368 Respectivement : Art. 122-4, 122-4 al. 2 et 122-5 du Code pénal.

369 Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 253.

370 En effet, par principe, les faits justificatifs, dès lors qu'ils « neutralisent l'élément légal, ne peuvent résulter que de la loi » : P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7e éd., 2004, n°244.

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propos incriminés371. Ce droit à l'exception de vérité des propos diffamatoires, reposant sur le fondement de l'article 35 de la loi de 1881, joue non seulement pour les diffamations envers les personnes énumérées au sein de ses alinéas premier et second372 - il s'agit essentiellement de fonctionnaires publics373 - mais aussi depuis une ordonnance du 6 mai 1944, pour les diffamations contre les particuliers.

Cependant, en tout état de cause, lorsque « l'imputation concerne la vie privée de la personne », ou se réfère à des « faits qui remontent à plus de dix ans », ou «à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision » 374, il sera interdit de prouver la vérité des faits allégués.

170. En ce qui concerne l'injure, les articles 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-2 du Code pénal disposent que celle-ci, publique ou non publique, lorsqu'elle est érigée envers un particulier et « n'a pas été précédée de provocations », est punie d'une amende de douze mille euros. L'idée n'est pas de dire qu'en présence de provocations aucune peine ne pourra être prononcée. Mais le législateur offre au prévenu un moyen de défense : celui de prouver que ses propos injurieux font suite à une provocation. Un peu dans la même logique que pour la légitime défense.

En outre, la Cour de cassation fait valoir que la provocation en question ne peut résulter que de « propos, d'écrits injurieux, ou de tous autres actes de nature à atteindre l'auteur de l'infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux »375. Elle affirme aussi que seule l'injure envers un particulier est susceptible de bénéficier de l'excuse de provocation376 et seulement si trois conditions cumulatives sont réunies. D'une part, il faut nécessairement que l'auteur de l'injure ait été la victime de la provocation377. Ensuite, il faut que l'objet de l'injure soit « en rapport

371 V. par exemple : Crim. 3 mai 1966 : Bull. crim. n°32 ; Crim. 11 mars 2008 : JCP G 2008, IV. n°1787.

372 L'article 35 al 1er désigne notamment les armées de terre, de mer, de l'air, et les administrations publiques ; l'alinéa 2nd renvoie aux directeurs ou administrateurs d'entreprises commerciales, financières, industrielles qui font publiquement appel à l'épargne ou au crédit.

373 L'esprit du législateur de 1881 est véritablement de pousser les citoyens à dénoncer les abus commis par les fonctionnaires publics en vu d'offrir le plus de transparence possible dans le fonctionnement de l'administration publique.

374 Art. 35 al 3 loi du 29 juillet 1881 respectivement a), b) et c).

375 Crim. 16 mai 2006 : Dr. pén. 2006, comm. 135, obs. M. Véron.

376 Crim. 12 juin 1896 : Bull. crim 1896, n°189.

377 Crim. 21 mars 1972 : Bull. crim. 1972, n°116.

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direct » 378 avec celui de la provocation. Puis, la provocation doit être injuste, inappropriée379.

Il est aussi important de noter que l'excuse en question est traditionnellement présentée comme revêtant un caractère absolutoire380 ce qui implique qu'elle n'est pas une cause d'irresponsabilité pénale - à la différence du fait justificatif - mais a seulement pour effet de dispenser l'auteur de la peine381.

171. Enfin, il convient de noter que certaines infractions prévoyant des interdictions de publication pourront être justifiées tantôt à raison de la légitimité du but poursuivi382, tantôt à raison du consentement donné par la victime383.

Le texte de loi du 29 juillet 1881 prévoit donc à lui seul toute une série de circonstances à même de déresponsabiliser, ou tout au moins d'exempter de peine, l'auteur d'infractions de presse. Concomitamment, au grand dam des victimes, la responsabilité civile ne produira donc pas ses effets384. Nous allons voir que les frontières de ce domaine légal d'impunité, chéri par les médias lors des procès de presse pour l'élaboration de leur défense, ne font que s'accroître sous l'impulsion de la jurisprudence.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld