Section 3 : La réparation des atteintes
portées aux droits la personnalité
159. Nous avons vu qu'un certain nombre « d'anciens
droits de la personnalité »349étaient
déjà expressément pris en compte par la loi sur la
liberté de la presse. Que leurs poursuites sur le fondement de la
diffamation, de l'injure, étaient d'essence pénale. Que
même limitées au civil, les victimes sont tenues, tant sur la
forme que sur le fond, de respecter le dispositif spécifique
prévu par la loi de 1881.
160. En revanche, pour ce qui concerne les « nouveaux
droits de la personnalité »350, bien que faisant l'objet
de dispositions pénales éparses échappant au formalisme
rigoureux de la loi de 1881, incontestablement, la pratique montre que leur
poursuite se déroule essentiellement devant le prétoire civil et
donc donne en grande majorité lieu au prononcé de sanctions
civiles351. La répression pénale n'est que
secondaire352.
347 TGI Paris, 12 mars 2012 : Légipresse
n°294, mai 2012, p. 289.
348 Le TGI de Nanterre est souvent désigné comme
étant le « chouchou des vedettes » en matière
d'affaires mettant en cause des atteintes aux droits de la personnalité
V. Mahaut, « Le Tribunal de Nanterre, chouchou des vedettes »
in rubr. Hauts de Seine, Le Parisien, 22 fév. 2006.
349 « Anciens », par opposition à ce que nous
avons pu précédemment appeler les « nouveaux droits de la
personnalité ». Ils regroupent essentiellement les droits que
constituent le droit à l'honneur, à la considération et au
respect des croyances.
350 Essentiellement, droit au respect de la vie privée, de
l'image et de la présomption d'innocence.
351 J-P. Gridel, « Liberté de la presse et
protection civile des droits modernes de la personnalité en droit
positif français », Recueil Dalloz, 2005, n°6.
352 Si les poursuites pénales sont rares, c'est parce
qu'elles supposent : en matière d'atteinte à la vie
privée, qu'aient été utilisés des
procédés de captation particuliers (type film, enregistrement)
dans le but d'attenter à l'intimité de la vie privée (art.
226-1 Code pénal) ; en matière d'atteinte à la
présomption d'innocence, que soit diffusée l'image d'une personne
menottée ou entravée avant toute condamnation (art. 35
ter. Loi 29 juil. 1881) ; en matière d'atteinte au droit
à l'image, que celle-ci soit captée dans un lieu privé
(art. 226-1 Code pénal).
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Mais quelles sont ces sanctions civiles permettant d'assurer
le respect des atteintes à la vie privée, à l'image (art.
9), à la présomption d'innocence (art. 9-1) ? Prononcées
sur des fondements distincts de l'article 1382 du Code civil, celles-ci en
ressortent-elles différentes?
161. En termes analogues, les alinéas 2 des articles 9
et 9-1 disposent que « sans préjudice de la réparation
du dommage subi », le juge peut, même en
référé, prononcer diverses mesures propres à
empêcher ou faire cesser l'atteinte portée à la vie
privée, à l'image ou à la présomption d'innocence.
Il en résulte que ce dernier peut cumuler si besoin une condamnation
à dommages et intérêts avec une injonction.
Pour ce qui est du prononcé de dommages et
intérêts, à l'instar de l'article 1382 du Code civil,
l'idée est de réparer le préjudice,
généralement moral, causé à la victime de
l'atteinte. Toutefois, le principe de réparation intégrale - qui
implique que l'on doit réparer l'entier préjudice sans aller
au-delà - peut parfois donner l'impression d'être violé par
les juges. En effet, dans ce contentieux qu'est celui des droits de la
personnalité, certains dénoncent la pratique implicite de
dommages et intérêts punitifs en soutenant que les juges, pour
déterminer le montant de la réparation, tiennent compte de la
gravité de la faute commise par son auteur353. La question de
la détermination du montant des condamnations ainsi prononcées
est d'autant plus controversée354, que nombreux auteurs
décrient un mouvement croissant de « patrimonialisation
»355 des droits de la personnalité, et le fait que
l'indemnisation des atteintes en question s'apparente de plus en plus à
une « logique de peine privée ayant une fonction de dissuasion
à l'égard des auteurs de ces violations
»356.
Pour ce qui est des injonctions, le juge aura la
possibilité de prononcer diverses mesures. Celles-ci portent parfois sur
la publication357ou sur l'insertion358. Il pourra
aussi
353 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ,
4e éd., 2003, p.587.
354 V. notamment : D. Amson, « L'indemnisation du
préjudice résultant des atteintes à la vie privée
», Légipresse n°195. II. 128132 ; F. Gras,
« Vie privée et liberté d'informer. Le rôle du
juge », Légipresse n°148. II. 6-10.
355 Par « patrimonialisation », il faut comprendre
que les victimes tendent à exploiter leur préjudice à des
fins lucratives en agissant systématiquement en justice : V. P. Esmein,
« La commercialisation du dommage moral », Dalloz,
1954, p. 113.
356 F. Gras, « L'indemnisation des atteintes à
la vie privée », Légicom n°20, 1999, p.
35 ; V. aussi, sur cette notion de « peine privée » : A.
Jault, La notion de peine privée, LGDJ, 2005 ; G. Ripert,
« Le prix de la douleur », Dalloz, chron. 1,
1948.
357 Par exemple, le juge ordonne la publication dans le prochain
hebdomadaire du jugement de condamnation.
358 Dans un livre déjà édité, le
juge peut ordonner l'insertion d'un encart faisant état du droit
violé comme ce fût le cas par exemple dans l'affaire Trintignant
où il était question de violation de la présomption
d'innocence (CA Paris, 7 oct. 2003 : Gaz. Pal. 2003, p. 3147).
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s'agir de la restitution du négatif d'une photographie
ou bien de la suppression d'une image ou d'un passage
litigieux359.
162. Mais la lenteur du processus de condamnation au fond
entraîne souvent chez les victimes - pour les atteintes les plus graves
et notamment celles portées à « l'intimité de la
vie privée »360 - une préférence pour
l'action devant le juge des référés. Si l'article 9 du
Code civil requiert l'urgence comme condition de recevabilité de
l'action, l'article 9-1 lui n'en dit rien. Toujours est-il que l'idée
sera généralement de prévenir ou de faire cesser un
trouble imminent ou manifestement illicite généré par une
publication litigieuse. Concernant l'action en vu de prévenir un
dommage, cela peut donc poser un certain malaise eu égard au principe de
liberté d'expression361. Cette question divise la
doctrine362, raison pour laquelle la jurisprudence semble vouloir
que l'usage d'une telle procédure en matière de presse demeure
exceptionnelle et cantonnée aux urgences les plus
graves363.
La sanction civile des atteintes portées aux droits de
la personnalité peut donc prendre des formes très diverses. La
protection civile autonome qu'elle offre contribue encore d'avantage au
phénomène d'éviction de l'article 1382 du Code civil du
domaine de la presse. Toutefois, si la mise à l'écart de la
responsabilité pour faute par la loi de 1881 peut d'une manière
générale se traduire par un recul du droit à
réparation pour les victimes au bénéfice de la
liberté d'expression364, il semble qu'il en soit autrement
pour ce qui est de son évincement par les articles 9 et 9-1 du Code
civil. En effet, ces derniers permettront systématiquement de rechercher
la responsabilité civile de l'auteur de l'atteinte, sans que les
victimes se heurtent aux multiples obstacles de procédure que
connaissent celles dont
359 E. Derieux, Droit de la communication, LGDJ,
4e éd., 2003, p. 587.
360 Art. 9 al. 2 du Code civil.
361 En effet, une mesure de référé prise
en amont de la publication peut s'interpréter comme une forme de censure
légitimant ainsi une forme de « police de la presse ». Vu le
succès rencontré par le juge des référés
dans le contentieux de la presse, on peut en effet s'inquiéter de
l'impact d'une telle procédure sur l'effectivité du principe de
libre information.
362 V. sur cette question de la légitimité de
l'intervention du juge des référés en matière de
presse au regard du principe de liberté d'expression : P. Kayser,
« Le pouvoir du juge des référés civils à
l'égard de la liberté de communication et d'expression
», Dalloz, 1989, chron. p.11 ; E. Derieux, «
Référé et liberté d'expression », JCP
1997. I. 4053 ; R. Lindon, « Le juge des
référés et la presse », Dalloz, 1985,
chron. p. 61 ; Th. Massis, « Le juge des référés
et la liberté d'expression », Légipresse
n°84. II. p. 67 ;
363 Civ. 1e, 12 déc. 2000 : D.
2001, jurisp. 2434, note J-C. Saint Pau ; CA Paris, 13 sept. 2000 : D.
2001, jurisp. 24, note C. Caron et M-L. Rassat.
364 V. Supra n°94 et s.
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l'action initialement fondée sur l'article 1382 aura
été requalifiée au visa de la loi sur la liberté de
la presse.
Néanmoins, que l'action civile en réparation
soit intentée au visa de l'article 1382, 9, 9-1 du Code civil ou encore,
au regard de l'une des infractions de presse relevant de la loi du 29 juillet
1881, la question redoutée par les victimes est toujours la même :
le principe de liberté d'expression est-il susceptible de
légitimer la faute commise ? Nous allons voir que dans bien des cas, la
loi, la jurisprudence, par une pesée des intérêts en
présence, tendent à y répondre par l'affirmative, au prix
d'un affaiblissement de la responsabilité civile.
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