Paragraphe 2 : Les articles 9 et 9-1 dans leurs rapports
avec les textes concurrents
146. Dès lors que la faute est constitutive d'une
atteinte portée à la vie privée ou à la
présomption d'innocence de la victime, il semblerait que les articles 9
et 9-1 du Code civil supplantent la clausula generalis (A). Il en va
autrement concernant leur relation avec la loi sur la liberté de la
presse qui nous le verrons, paraît là encore chercher à
asseoir son hégémonie (B).
A. L'exclusivisme face à la
responsabilité pour faute
147. Quelques temps avant les célèbres
arrêts de l'assemblée plénière du 12 juillet 2000,
la Cour d'appel de Paris affirmait la chose suivante : « Le
régime général de la responsabilité civile,
qu'aucun texte n'exclut en matière de presse ou d'édition, ne
peut toutefois trouver à s'appliquer que lorsque la publication
litigieuse ne relève pas des dispositions spéciales de la loi du
29 juillet 1881 ou de celles des articles 9 et 9-1 du Code civil
»318. Par conséquent, les articles 9 et
9-1 sont d'application exclusive à l'égard de l'article 1382 du
Code civil.
148. Une telle solution est-elle justifiée ? Il semble
en tout cas qu'elle soit en accord avec la logique adoptée par la
jurisprudence constante concernant les rapports entre la loi du 29 juillet 1881
et l'article 1382. Les arguments avancés au soutien de celle-ci
pourraient
317 V. à titre d'exemples : Civ. 1e, 19 oct.
1999 : Bull. civ.I. n286 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 :
Bull. civ.I. n89. Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation
fait valoir que les articles de presse en question ne tiennent «
aucune conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité
» du mis en cause, démentant ainsi l'analyse des juges du
fond.
318 CA Paris, 12 mai 2000 : D. 2000, Jurisp. p. 796,
note D. Boccara.
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d'ailleurs être repris. En effet, une telle solution est
vraisemblablement destinée à sauvegarder au mieux la
liberté d'expression car la portée plus restrictive de la
protection assurée par les articles 9 et 9-1 permet d'assurer une plus
grande prévisibilité au journaliste de ce que constitue ou non un
abus aux yeux de la loi. Aussi, il semblerait qu'elle coïncide avec le
principe specialia generalibus derogant, l'article 1382 du Code civil
faisant figure de droit commun à l'égard de ces dispositions.
149. Néanmoins, l'autonomie des articles 9 et 9-1 vis
à vis de l'article 1382, bien qu'affirmée319, ne vaut
pas pour autant rupture complète avec les règles du droit commun
de la responsabilité civile320. Bien entendu, les multiples
décisions ayant fait valoir que « la seule constatation de
l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation
»321 pourraient être perçues comme
l'illustration d'un incontestable détachement de l'article 9 vis
à vis de l'article 1382. Or, tout d'abord, il n'est pas vain de rappeler
que c'est justement l'article 1382 du Code civil qui a permis
l'avènement du concept des droits de la personnalité. Comme le
rappelle Geneviève Viney, c'est à partir des diverses
jurisprudences rendues au visa de l'article 1382 en vue de condamner les
atteintes portées aux intérêts moraux des victimes que la
doctrine a élaboré une véritable théorie des droits
de la personnalité322. De plus, comme pour la
responsabilité pour faute, la réparation est
évaluée en fonction du préjudice subi et comme celle-ci
encore, le défendeur à l'action sera toujours la personne
physique ou morale responsable de l'atteinte
alléguée323.
Tout cela nous amène finalement à
considérer qu'en réalité les articles 9 et 9-1 contribuent
pour l'essentiel à préciser la notion de faute à laquelle
renvoie l'article 1382 du Code civil, ce qui semble davantage correspondre aux
exigences de précision et prévisibilité prévues par
les articles 11 de la DDHC et 10 de la Conv. EDH. On peut donc se
réjouir de l'exclusivisme de ces dispositions civiles spéciales
vis à vis de la responsabilité pour faute. D'ailleurs on notera
que si très souvent les décisions visant à promouvoir la
liberté d'expression le font au détriment du droit des personnes,
il en est autrement ici, car n'oublions pas que la seule atteinte portée
au droit subjectif emporte droit à réparation, et ce sans qu'il
soit nécessaire de prouver une faute.
319 Civ. 1e, 5 nov. 1996 : D. 1997, Jurisp.
p. 403, note S. Laulom.
320 A. Lepage, L. Marino et C. Bigot, « Droits de la
personnalité : panorama 2004-2005 », Recueil Dalloz,
2005, n°38.
321 Civ. 3e, 25 fév. 2004 : D.
2004, somm. 1631, obs. C. Caron ; Civ. 1e, 6 oct. 1998 : RTDciv.
1999, p. 62, obs. J. Hausser ; Civ. 1e, 25 fév. 1997 :
JCP 1997. II. 22873 ;
322 G. Viney, « Pour ou contre un principe
général de responsabilité pour faute ? »,
Mél. P. Catala, Litec, 2001, p. 560.
323 CA Aix-en- Provence, 4 janv. 2005 : Juris-Data
n°2005-265807.
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