Paragraphe 2 : La résurrection de la
responsabilité pour faute
128. « Chassez la faute, elle revient au galop
» disait Philippe le Tourneau281. L'auteur avait vu juste.
C'est du moins ce que nous montrent les évolutions récentes de la
jurisprudence semblant vouloir ranimer la subsidiarité de la
responsabilité civile de droit commun (A). Plus surprenant en revanche,
c'est un retour à sa fonction substitutive que certains juges paraissent
tenter de lui assigner (B).
275 V. T. civ. Seine, 19 juin. 1963 : JCP 1963-II,
n°13379, appliquant l'article 1382 du Code civil contre un journaliste
pour inexactitude des informations fournies.
276 V. T. civ. Seine, 3 janv. 1934 : Gaz. Pal. 1934, 1,
p.541.
277 V. sur ce point : G. Viney, Introduction à la
responsabilité, LGDJ, 3e éd., 2008, p. 35 et
s.
278 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, Lexisnexis, 3e éd. 2011, p. 18.
279 V. A-M. Ho Dinh, « Le « vide juridique
» et le « besoin de loi ». Pour un recours à
l'hypothèse du non-droit », PUF, l'année sociologique,
2007/2 vol. 57, p. 419 et s.
280 Ph. Brun, Responsabilité civile
extracontractuelle, Litec, 2e éd., 2009, p. 173,
n°337.
281 Ph. le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la
responsabilité civile », RTDciv. 1988, p. 512.
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A. Le phénomène de «
démagnétisation » de la loi de 1881
129. Nombreuses sont les espèces, qui
postérieurement au 27 septembre 2005, ont témoigné d'une
volonté de « revitaliser » la fonction complétive du
droit commun telle que l'avait envisagé l'assemblée
plénière le 12 juillet 2000. L'un des premiers arrêts ayant
marqué cette tendance fut celui rendu le 30 octobre 2008 par la
première chambre civile de la Cour de cassation282.
Dans cette affaire, une association avait attribué la
paternité d'un article de presse au contenu déplaisant à
une personne qui n'en était pas l'auteur. L'intéressé agit
en responsabilité civile estimant qu'une faute avait été
commise au sens de l'article 1382 du Code civil. Les juges du fond
décidèrent alors de le débouter en sa demande
d'indemnisation estimant que l'écrit ayant un caractère
diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881,
l'assignation aurait dû respecter le formalisme imposé par
l'article 53 de cette même loi de sorte que celle-ci est nulle pour vice
de forme. L'arrêt est cassé pour fausse application des articles
29 et 53 du texte spécial, et pour refus d'application de l'article 1382
du Code civil.
À n'en pas douter, l'objectif fut ici de restaurer la
fonction complétive de la clausula generalis en présence
de faits distincts d'une infraction de presse, quand bien même
l'intérêt lésé était de nature
extrapatrimonial. Aussi, la Haute juridiction a semblé vouloir porter un
coup à l'interprétation extensive faite par la jurisprudence des
infractions de diffamation et d'injure pour là encore, mieux laisser la
faute civile s'exprimer en marge du texte spécial283. Cela
est d'ailleurs tout à fait louable, au regard des grands principes
gouvernant notre droit positif et notamment, celui d'interprétation
stricte de la loi pénale284.
130. Par la suite, d'autres arrêts poursuivirent ce
pas. Pour ne citer que quelques décisions, on notera cet arrêt de
la Cour d'appel d'Orléans rendu le 22 mars 2010285 dans
lequel les juges du fond ont décelé une faute civile distincte
d'une diffamation pour un bloggeur ayant par l'allégation de propos
désobligeants, discrédité un maire auprès de ses
électeurs, sans pour autant lui imputer de faits suffisamment
précis. On relèvera aussi cet
282 Civ. 1e, 30 oct. 2008 : Bull. civ.I.
n244.
283 P. Jourdain, « Le discret retour de l'article 1382
en matière de presse », RTDciv. 2009, p. 332.
284 V. Sur ce point : F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit
pénal général, Economica, 16e éd.,
2009, n220 et s. ; Aussi, pour une interprétation de ce principe : V.
CEDH, Achour c/ France, 29 mars 2006, n°67335/01 pour qui un tel
principe « commande de ne pas appliquer la loi pénale de
manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple,
par analogie ».
285 CA Orléans, 22 mars 2010, CCE 2010, n91, obs.
A. Lepage.
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arrêt de la deuxième chambre civile du 20 mai
2010286, ayant admis que la campagne de discrédit
menée par une association à l'encontre d'un établissement
bancaire était constitutive d'un dénigrement fautif au sens de
l'article 1382 du Code civil. Dans le même sens, ce jugement du Tribunal
de grande instance de Paris rendu en 2010287, ayant admis qu'un
Ordre puisse agir sur le fondement de la responsabilité pour faute pour
sanctionner des propos offensants envers la profession qu'il représente,
caractérisant un cas de dénigrement civil distinct de la
diffamation. Enfin, dernière décision révélatrice
de cette volonté de réfréner l'emprise du texte
spécial, cet arrêt de la chambre criminelle du 19 janvier
2010288, se refusant à admettre que le dénigrement
d'un produit puisse rejaillir sur son producteur pour se fondre en
diffamation.
Philippe Le Tourneau l'avait donc justement prédit. Le
« chasseur » du 27 septembre 2005 n'avait qu'à bien se tenir.
C'est bien au « galop » que la faute comptait assurer son retour dans
le domaine de la presse pour raviver son rôle complétif. Et bien
plus encore.
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