B. Complémentarité de l'article 1382 en
présence de faits distincts d'un délit de presse
88. L'article 1382 a vocation à s'appliquer en
complément du texte spécial si deux conditions cumulatives sont
réunies187.
D'une part, les propos poursuivis doivent
nécessairement être distincts d'une infraction de presse. Cette
exigence de « faits distincts »188est absolument
essentielle et conditionne l'admissibilité des actions introduites sur
le fondement de l'article 1382 du Code civil. Elle dévoile en
réalité la « face cachée de l'iceberg » que
constitue la formule employée par la jurisprudence de 2000 car en
réalité, plus que le respect des frontières propres
à la loi de 1881, « c'est une distance de respect que l'article
1382 se voit assigner »189. En effet, l'article 1382 du
Code civil sera non seulement exclu dans l'hypothèse où les faits
poursuivis seront pénalement qualifiables de délit de presse
selon la loi spéciale, mais aussi, dans le cas où ces faits
entreront dans l'esprit de ce délit sans même que celui-ci soit
répréhensible. L'exclusivité de la loi spéciale au
détriment du droit commun dépend donc en réalité de
la seule matérialité des propos incriminés et non de
l'intention de leur auteur. Par conséquent, dés lors que les
faits poursuivis correspondront à l'élément
matériel de l'une des infractions de presse recensée par la loi
de 1881, mais que l'intention coupable de l'auteur n'est pas
caractérisée, non seulement il sera impossible pour la victime
d'agir sur le fondement de la loi de 1881 faute d'élément moral,
mais en plus, celle-ci se verra dans l'impossibilité d'invoquer
l'article 1382 du Code civil. La règle est donc stricte : quand bien
même une infraction de presse ne serait pas constituée, la Cour
admet que la responsabilité civile pour faute puisse être
évincée si les propos en question entrent dans «
l'univers intellectuel du délit »190.
D'autre part, concernant la seconde condition, une fois
l'action en réparation fondée sur l'article 1382 admise dans son
principe - les propos étant distincts d'une infraction de presse - il
faudra bien évidemment démontrer que les trois conditions
cumulatives de la responsabilité civile pour faute sont réunies.
Il en résulte que la réparation ne sera allouée
187 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loi
du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article
1382 du Code civil », Légipresse
n234, 2006, p.97.
188 Ibid
189 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, Traité de
droit de la presse et des médias, Lexisnexis,
1ère éd., 2009,
p.699.
190 N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du
Code civil », Légipresse n234, 2006, p. 94.
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à la prétendue victime qu'en présence de la
démonstration du caractère fautif des propos, d'un
préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute et ce
préjudice.
Inutile de préciser que le plus difficile pour la
victime, comme à l'accoutumée, sera de prouver le
caractère fautif des propos poursuivis. En effet, il convient de
s'interroger sur la nature de la faute susceptible de donner lieu à
réparation et donc, d'engager la responsabilité civile de son
débiteur.
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