Chapitre 2 : La résolution du conflit par
l'admission d'une fonction complétive de l'article 1382 du Code
civil
81. Depuis les arrêts de l'assemblée
plénière du 12 juillet 2000 - à l'exception de la
décision controversée du 27 septembre 2005 étudiée
précédemment - la Haute juridiction autorise l'application de
l'article 1382 du Code civil en présence de faits distinct d'une
infraction de presse. Dès lors que les propos litigieux sont
matériellement distincts d'un délit de presse tel que
prévu par la loi du 29 juillet 1881, le juge peut alors
appréhender si oui ou non, au regard de l'article 1382 du Code civil,
ceux-ci sont susceptibles de donner lieu à réparation.
82. Cette solution jurisprudentielle, se prononçant en
faveur d'une approche complétive de la responsabilité pour faute,
assure donc la primauté du texte spécial sur le droit commun en
la seule présence de faits identifiables à une infraction de
presse (Section 1). Or, il semblerait que cela ne soit en réalité
que la « face visible de l'iceberg ». En effet, l'exclusion du droit
commun va en réalité au-delà des frontières du
texte spécial de sorte que l'on peut noter un certain magnétisme
exercé par la loi du 29 juillet 1881 sur l'article 1382 du Code civil.
Si pour certains, cet effet apparaît comme une nécessité
pour la sauvegarde de l'économie de la loi sur la liberté de la
presse, d'autres le dénonce avec ferveur (Section 2).
179 En effet, un récent arrêt vient d'affirmer
que « les abus de la liberté d'expression ne peuvent être
réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 »
(Civ.1e, 6 oct. 2011, Légipresse
n°290, 2012, p. 31). Or, comme E. Dreyer, nous pensons au vu
de la maladresse de sa rédaction, et des récentes
décisions l'entourant (notamment : Civ. 1e, 11 fév.
2010, CCE 2010, n°38, obs. A. Lepage ; Civ. 1e, 28
sept. 2011, AJ fam. 2011. 546, obs. L. Briand) que celui-ci ne
constitue pas un revirement de jurisprudence (V. obs. E. Dreyer, JCP
E, 2011, p. 1227).
180 Principalement : l'universalisme de la
responsabilité civile ; le caractère d'ordre public de la
réparation ; le principe de réparation intégrale du
préjudice subi.
52
Section 1 : L'exigence de « faits distincts »
d'une infraction pénale de presse
83. Une cohabitation claire et sereine paraît avoir
été forgée depuis les retentissants arrêts de
l'assemblée plénière du 12 juillet 2000 consacrant la
complémentarité de la responsabilité civile de droit
commun vis à vis du texte spécial (Paragraphe 1). Or, une fois la
question tenant à la légitimité de voir s'appliquer
l'article 1382 dans le domaine que constitue celui de la liberté
d'expression résolue, il eut été justifié de se
demander si la faute susceptible d'engager la responsabilité civile de
son auteur - compte tenu du relatif droit de nuire dont dispose le journaliste
- ne devait pas être appréciée de façon plus
restrictive (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les arrêts du 12 juillet 2000 :
détail d'une jurisprudence clé
84. À la lecture des jurisprudences de 2000, la
solution apportée au conflit opposant la loi sur la liberté de la
presse à la clausula generalis semble tout à fait simple
et logique. La loi du 29 juillet 1881 - faisant figure de droit spécial
au regard de l'article 1382 du Code civil - prime naturellement sur ce dernier
en présence de faits constitutifs d'une infraction qu'elle
réprime (A). En revanche, si les faits en question s'avèrent
être distincts de cette infraction, la responsabilité civile de
droit commun reprend toute sa vigueur (B).
A. Primauté du texte spécial en
présence de faits pénalement qualifiables
85. Le 21 octobre 1999, la deuxième chambre civile
ordonnait le renvoi devant l'assemblée plénière des
pourvois respectifs formés par les consorts Érulin et les
époux Collard, contre les arrêts rendus par les Cour d'appel de
Paris et de Versailles181. Dans ces deux affaires, il était
question de publications mettant en cause l'honneur et la considération
de personnes défuntes. Pour débouter les demandeurs en leurs
appels respectifs - ces derniers faisant valoir l'existence d'une faute et d'un
préjudice en se fondant sur l'article 1382 du Code civil - les juges du
fond ont estimé que les propos étant constitutifs d'une
diffamation envers la mémoire des morts au sens de l'article 34 de la
loi du 29 juillet 1881, l'article 1382 ne peut servir de fondement à
l'action en réparation182. Cette analyse sera ensuite
approuvée par l'assemblée plénière dont l'attendu
de principe
181 CA Paris, 17 sept. 1997 : D. 1998. 432, note N.
Mallet-Poujol ; CA Versailles, 16 oct. 1997 : Bull. civ.2000.
n°8, rapports de M. Durieux.
182 S. Martin- Valente, « La place de l'article 1382
du Code civil en matière de presse depuis les arrêts de
l'assemblée plénière du 12 juillet 2000, approche critique
», Légipresse n°202, 2003, p. 73.
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est clair : « les abus de la liberté
d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet
1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article
1382 du Code civil »183. Cette formule, aujourd'hui «
classique » en droit de la presse, est martelée depuis 2000 dans de
nombreuses décisions184.
86. Par conséquent, dés lors que les faits
poursuivis entrent dans le champ des incriminations de la loi du 29 juillet
1881, celle-ci a vocation à s'appliquer sans détournement
possible avec la responsabilité pour faute. Cette primauté du
texte spécial en présence de faits pénalement qualifiables
a pour finalité essentielle d'empêcher toute tentative de
contournement des dispositions rigoureuses du texte spécial et
principalement le délai de prescription de trois mois. En effet, il
n'est pas vain de rappeler que le juge qui se voit confronté à
une demande de réparation fondée sur l'article 1382 du Code
civil, celui-ci n'étant pas lié par la qualification
donnée aux faits par les parties, a la faculté de requalifier
l'action au bénéfice de l'application de la loi sur la
liberté de la presse lorsqu'il constate que les éléments
du délit de presse sont réunis185.
87. Aussi, comme le souligne à juste titre Emmanuel
Dreyer, la revendication de cette jurisprudence est en réalité
essentiellement procédurale. Il importe peu en effet - la
responsabilité civile conservant une fonction complétive - de
savoir si au fond, les juges accorderont la réparation en application du
texte spécial, ou en application du droit commun de la
responsabilité civile186.
Pour reprendre l'esprit de la formule employée par
l'assemblée plénière, ce n'est donc a priori
qu'en présence d'abus de la liberté d'expression non
prévus et non réprimés par la loi du 29 juillet 1881 que
l'article 1382 du Code civil trouvera à s'appliquer. Nous allons voir
que les choses ne sont pas aussi simples.
183 Cass. Ass. Plén., 12 juillet 2000 : Bull.
civ.n°8 préc.
184 À titre d'exemples : Civ. 1e, 7
fév. 2006 : JCP 2006. IV. 1461 ; Civ. 1e, 29 nov.
2005 : JCP 2005. IV. 3785 ; Civ. 1e, 21 fév. 2006 :
JCP 2006. IV. 1580 ; Civ. 1e, 11 fév. 2010 : CCE
2010, n°38 ; Civ. 1e, 28 sept. 2011, AJ fam.
2011. 546).
185 V. art. 12 NCPC et en ce sens, Civ. 2e, 6 mai 1999
: Bull. civ.n°79.
186 E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale
des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p.10.
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