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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Paragraphe 2 : La validité normative de l'article 1382 du Code civil

73. L'un des grands arguments avancés par les défenseurs d'une application exclusive de la loi de 1881 pour appréhender les abus de la liberté d'expression consiste à dénoncer la non-conformité de l'article 1382 du Code civil aux exigences de précision et de prévisibilité respectivement posées par les articles 11 de la DDHC, et 10 de la Conv.

EDH153.

74. L'article 11 de la DDHC tout d'abord, consacre le principe de la liberté d'expression en affirmant que tout citoyen est libre de parler, écrire et imprimer. Il précise que le principe vaut - et c'est là un point important qu'il nous faut souligner - « sauf à répondre

149 Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ.n°77 ; (V. Ch. Debbasch, Droit des Médias, Dalloz, 2e éd., 1999, p. 981.)

150 N. Droin, Les limites à la liberté d'expression dans la loi sur la presse du 29 juillet 1881, Disparition, permanence et résurgence du délit d'opinion, LGDJ, 2011, p. 74.

151 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 697.

152 V. Infra n°93 et s.

153 Voir les articles dans : J-J. Gandini, Les droits de l'Homme, Anthologie, Librio, 1998 respectivement p.22 et p.118.

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de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Il est dès lors discutable que le « fait quelconque » de l'article 1382, de par sa généralité, réponde à cette exigence154. En effet, l'article 1382 se contente d'ériger une norme de comportement : celle de ne pas nuire à autrui. Même si cet article vise à sanctionner les comportements dommageables fautifs, il n'apporte néanmoins aucune précision supplémentaire sur leur nature155.

Aussi, il semblerait que l'article 11 de la DDHC, en renvoyant expressément aux « cas déterminés par la loi », accorde au législateur - et non au juge - le pouvoir de préciser dans quelles hypothèses la liberté d'expression est susceptible de faire l'objet d'un usage abusif 156. On comprend donc que l'article 1382, ne contenant aucun indicateur eu égard aux circonstances de nature à caractériser la faute, laisse une totale liberté aux juges dans le travail d'appréhension des cas d'abus de la liberté d'expression ce qui semble aller à l'encontre des exigences du législateur de 1789. À ce titre, certains auteurs ne manquent pas de souligner que le recours à une telle disposition comporte un trop large risque d'arbitraire enclin à l'instauration d'un « contrôle judiciaire de la pensée »157.

On peut donc d'ores et déjà dire à la lumière de ces premières observations, que la conformité de la clausula generalis à la lettre de l'article 11 de la DDHC semble quelque peu compromise.

75. Plus récent, l'article 10 de la Conv. EDH consacre en son premier alinéa le principe de la liberté d'expression tout en érigeant dans son second, une série de trois conditions de limitation de cette dernière parmi lesquelles figure celle qui retiendra notre attention : toute potentielle restriction à la liberté d'expression doit être « prévue par la loi ».

Mais cette exigence de prévisibilité de l'article 10 est-elle là encore remplie par l'article 1382 ? La dimension fort accueillante de la faute, son extrême malléabilité, ainsi que l'utilisation extensive qu'en fait la jurisprudence - qui s'adapte au gré des espèces - peut légitimement nous en faire douter. D'ailleurs, l'imprécision de la lettre de l'article 1382 évoquée précédemment semble consubstantielle à ce manque de prévisibilité.

154 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (Art. 1382 du Code civil).

155 On notera en revanche, que la loi du 29 juillet 1881 elle, prévoit effectivement les cas précis dans lesquels l'auteur d'un abus de la liberté d'expression devra en répondre (la diffamation, l'injure, la provocation etc.). Elle paraît en ce sens davantage conforme à la lettre de l'article 11 de la DDHC.

156 C. Bigot, « Le champ d'application de l'article 1382 du Code civil en matière de presse », in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, 1997, p. 65.

157 T. Massis, « Le juge des référés et la liberté d'expression », D. 1994, somm. 194.

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Toutefois, la décision rendue par la CEDH dans l'affaire Sunday Times158 nous conduit à rejeter la thèse de l'inconventionalité de l'article 1382159. Selon elle, l'exigence de prévisibilité de l'article 10 implique deux conditions sous-jacentes. D'une part, que la loi soit suffisamment accessible aux justiciables. Ensuite, que celle-ci puisse être interprétable en s'entourant au besoin de conseils éclairés 160 , ce que seule une jurisprudence constante est en mesure de fournir. En effet, selon la Haute Cour, l'article 1382 est suffisamment prévisible pour le journaliste dés lors que la jurisprudence interne adopte une trajectoire constante dans la définition des abus de la liberté d'expression passibles d'engager la responsabilité pour faute de leur auteur.

Ces deux conditions sous-jacentes attestent donc clairement du fait que l'exigence de prévisibilité de l'article 10 doit être appréciée de façon souple. Elle dépend largement du travail jurisprudentiel de définition des abus de la liberté d'expression qui se doit d'être continu et fidèle. Il reviendra dès lors aux seuls juges français d'adopter une certaine cohérence jurisprudentielle pour permettre à l'article 1382 d'assurer un semblant de prévisibilité aux médias.

En dépit de ce mouvement « positiviste Kelsénien »161 de contestation - visant à neutraliser l'application de l'article 1382 dans le domaine de la liberté d'expression - il apparaît finalement que la Cour de Strasbourg cherche véritablement à délivrer un « certificat de conventionalité » au principe de responsabilité pour faute162.

En définitive, il semblerait que cette relation tumultueuse existant entre la loi du 29 juillet 1881 et l'article 1382 du Code civil soit consubstantielle au caractère fondamental de la liberté en cause, ce qui divise encore plus les spécialistes de la matière163. C'est donc un véritable sentiment d'insolubilité qui anime la délicate problématique des rapports entre la clausula generalis et le texte de 1881. Nous allons voir que celui-ci ne semble d'ailleurs que s'affermir à la vue des jurisprudences dégagées par nos juridictions internes en la matière.

158 CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times, n° 6538/74, §49.

159 Tout au moins, pour ce qui est de sa conformité à l'article 10 de la Conv. EDH.

160 V. F. Sudre, J.P. Marguénaud, J. Andriantsimbasovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2005, n°5.

161 Car reprenant l'idée selon laquelle une norme tire sa légitimité de sa conformité à celle qui lui est supérieure.

162 D'autres jurisprudences en témoignent : V. à titre d'exemple : CEDH, 24 avr. 1997, De Haes et Gijsels c/ Belgique, n° 19983/92, §33 ; CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, n° 38432/97, §53.

163 « plus » car nous avons vu déjà que la question de l'harmonisation du procès de presse en vue d'empêcher le recours à l'article 1382 comme fondement alternatif de responsabilité pour bénéficier des règles du code de procédure civile plus favorables oppose déjà largement la doctrine.

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