Chapitre 2 : Des causes d'exclusion du logement :
L'exclusion du logement et de l'accès à la ville
constitue l'un des principaux facteurs d'exclusion sociale : avoir un toit est
en effet un élément essentiel à la sécurité
des individus et en être privé ouvre à toutes sortes de
difficultés dans l'accès aux services et aux droits.
Nous considérerons donc, d'abord les principales causes
et manifestations de cette exclusion, pour envisager ensuite les conditions et
les démarches d'intégration urbaine et sociale.
Le lien entre processus de relégation11
urbaine et pauvreté fait de l'accès au logement une variable
stratégique de la lutte contre la pauvreté. Ce constat
étant fait, quelles politiques d'intégration par le logement
mettre en oeuvre ?
Une première interrogation touche à la difficile
question des droits spécifiques par rapport au droit commun. Faut-il
élargir les politiques de droit commun, et jusqu'où est-ce
possible ? Cette interrogation doit se lire au regard d'une autre question :
comment proposer des logements aux ménages pauvres sans que cette offre
ne soit prise par les classes moyennes ? Le glissement est fréquent.
En effet, si l'offre est insuffisante pour loger les
ménages à revenus moyens et que l'on crée une offre de
qualité pour les ménages à bas revenus,
l'expérience montre alors que les couches à revenus
intermédiaires occuperont les logements destinés aux pauvres,
repoussant ceux-ci plus loin encore dans les périphéries des
villes.
Au-delà de la définition d'une
hypothétique politique d'insertion par le logement susceptible
d'être mise en oeuvre par les différents Etats, l'objectif est ici
d'engager une réflexion sur les méthodes d'intégration
urbaine et sociale, et de caractériser ce que pourrait être un
« droit au logement » visant à promouvoir des "villes
socialement inclusives". 12
Les habitants développent des stratégies face
aux systèmes formels de production et d'attribution de logements et
à l'exclusion urbaine.
C'est sur ces pratiques que doivent s'appuyer les politiques
publiques d'insertion sociale. Cet objectif requiert un accompagnement des
pratiques des habitants et la prise en compte de leurs savoir-faire, mais
également une adaptation du cadre technique, financier, institutionnel
des politiques d'intégration par le logement.
Dans la mesure où l'accès au logement se situe
au coeur de la problématique d'intégration sociale des
ménages pauvres, l'analyse de certaines causes d'exclusion du logement
est un préalable nécessaire à la mise en oeuvre de toutes
les politiques d'intégration.
11 Bannissement
12 J-P. FITOUSSI, P.LAURENT «
Ségrégation urbaine et intégration
sociale», Edition La documentation française,
2004 (source INAU)
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
14
Les processus d'exclusion sociale par le logement sont
multiples. La principale cause en est l'incapacité des politiques
d'habitat à concevoir une offre accessible aux bas revenus,
conjuguée au libre jeu du marché tant pour l'accès au
foncier que pour l'accès au crédit.
a- L'absence de politiques de logement pour les
ménages à bas revenus :
Dans un grand nombre de pays, les gouvernements ont
laissé se développer, à la périphérie des
villes, des quartiers informels, dépourvus de services et
d'équipements.
Selon le contexte politique et les besoins des villes en main
d'oeuvre, les pouvoirs publics ont oscillé entre laisser-faire et
répression, la manifestation la plus brutale de celle-ci étant
l'éviction des populations et la démolition des quartiers
concernés13.
b- L'inadéquation entre l'offre et la demande
du marché foncier:
La détermination des prix du marché foncier se
fait à travers des mécanismes tels que la rente ou encore
à travers les méthodes de spéculation foncière
utilisées par les acteurs urbains.
Les mesures correctrices classiques (fiscalité
foncière et immobilière, tentative de contrôle et de
réglementation de l'accession à la propriété) ont
jusqu'à maintenant donné des résultats très
limités. Les instruments tels que les taxes et les impôts ne sont
pas vraiment très efficaces en matière de régulation du
marché foncier ; car ce dernier est victime d'un
déséquilibre entre une offre bien limitée par rapport
à la demande.
« Le libre jeu du marché foncier, pas plus que sa
simple régulation ne suffisent pas à définir une politique
foncière susceptible de répondre à la demande des
ménages à faibles revenus. » En particulier dans les villes
des pays en développement, les modalités d'accès au
foncier touchent diversement les ménages selon leur niveau de revenus.
Pendant que les ménages les plus aisés peuvent trouver sur le
marché une offre foncière légale qui leur permette
d'accéder à la propriété, les ménages
à bas revenus quant à eux, doivent mettre en place des
stratégies et techniques de survie à travers l'occupation de
terrains inadaptés à l'urbanisation, et non destinés
à la construction (pentes trop importantes, zones inondables,
proximités de zones d'activités dangereuses).
L'idée que le libre fonctionnement des marchés
fonciers et immobiliers suffirait à améliorer l'offre de
logements pour tous les groupes de revenu est contredite par la
réalité.
L'aggravation de l'exclusion urbaine n'est pas due à
des dysfonctionnements, mais au contraire au fonctionnement "normal" du
marché. La libéralisation des marchés n'aidera pas
à trouver une solution définitive au problème de
l'accès à la propriété pour les ménages les
plus démunis. En économie de marché, le
désengagement des Etats est un facteur aggravant d'exclusion.
13 Extrait de l'ouvrage de A. Durand-Lasserve, "Law
and urban change in developing countries: trends and issues", in E Fernandes
and A Varley (edition), Illegal Cities: Law and Urban Change in Developing
Countries, Zed Books, London, 1998.
c- Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
15
L'accès réduit des ménages au
système de prêt :
Selon les pays, un pourcentage important des ménages
n'a ni accès ni recours au système formel du crédit pour
le financement de leur logement. Ce constat s'explique majoritairement par le
fait qu'il n'a pas une offre adaptée des systèmes de financement
à la situation des ménages les plus démunis ayant les
revenus les plus bas.
Les ménages les plus démunis ou ayant les
revenus les plus bas sont victimes de cette « discrimination »,
à cause justement de la faiblesse et l'irrégularité de
leurs revenus, le plus souvent puisé dans le marché informel du
travail. Leurs caractéristiques ne répondent pas aux exigences et
critères des systèmes formels de crédit qui impliquent
notamment des remboursements périodiques, échelonnés sur
une longue période de temps, et donc cette tranche de la population est
considérée comme insolvable et présentent un risque pour
les banques.
Cette inadaptation est renforcée par le fait que les
systèmes formels exigent que les ménages disposent d'un droit
réel sur le sol, généralement un titre de
propriété (pour avoir une garantie, hypothèque), ce qui
est rarement le cas des ménages à très bas revenus.
Ceux-ci ont des stratégies inscrites dans la
durée : ils conçoivent généralement l'accession
à la propriété comme un processus progressif, au rythme
d'une acquisition irrégulière de moyens financiers.
Ils sont rarement en mesure de contracter des prêts
bancaires classiques qu'il faut rembourser en continu. Les banques et
organismes de crédit ont peu d'intérêt à adapter
leur offre de crédit à ce type de comportement financier.
d- L'accès au logement ne suit pas la
production du logement :
L'exclusion du logement n'est pas le privilège des pays en
développement. 14
La crise de l'offre en logement peut s'analyser comme une
adaptation, classique en économie libérale, de l'offre à
la demande de logement neuf : la production, même en réduction, ne
permet de répondre qu'à la demande solvable.
C'est finalement le mode de régulation de l'offre et de
la demande qui est en crise : « la production est tirée vers le
haut, la demande vers le bas »15.
Cette crise se traduit par la baisse régulière
du nombre de logements annuellement construits. Parallèlement, les
logements considérés comme vétustes disparaissent petit
à petit par démolition, ce qui entraîne une
réduction de la partie la plus « sociale » du parc locatif
privé.
14 En Europe, il y a quelques 3 millions de sans
abri et entre 15 et 18 millions de personnes mal logées. Aux Etats-Unis,
on estime que le nombre de sans abri est du même ordre, parmi lesquels
270000 sont des vétérans de guerre. 15R .BALLAIN
ET S.KOMPANY, « Logement » : Tome III. Guide de la Politique de la
Ville et du développement local, éditions ASH, janvier 1999, mis
à jour en avril 2004
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
16
Dans les pays les plus industrialisés, le problème
du logement n'est pas seulement une question de production mais aussi
d'accès.
Le coût des loyers, de même que le poids relatif du
logement dans le budget des ménages, n'a cessé d'augmenter ces
vingt dernières années.
Beaucoup de ménages n'ont pas les moyens d'avoir un
logement, et ceci dû à un manque de ressources et de garanties
pour prendre un prêt.
« La notion de mixité sociale nourrit finalement
l'idée récurrente de ne plus accueillir certaines populations
jugées indésirables ». Elle tend à établir des
seuils de tolérance qui contribuent à la privation du droit de
cité pour certaines populations.
e- Les limites de la gestion urbaine
centralisée :
Au Maroc, l'exemple de la politique de résorption des
bidonvilles illustre les limites d'opérations décidées
dans un système hyper centralisé qui ne prend pas suffisamment en
compte les habitants.
Parmi les facteurs limitant l'impact des interventions publiques
sur les bidonvilles au Maroc, F.NAVEZ-BOUCHANINE16 cite le mode
d'élaboration des interventions d'« en haut » au profit du
« bas ».
L'identification des problèmes par les administrations
centrales ne prend pas en compte les pratiques des ménages qui ne sont
pas associés à l'élaboration et à la prise de
décision concernant le relogement.
Cette approche centraliste a un certain nombre de
conséquences négatives.
On remarque, plus précisément une tendance à
l'utilisation de solutions conçues dans d'autres contextes, qui
s'adaptent difficilement aux populations concernées, et également
une tendance à la mise en oeuvre dans des petites villes, de normes
standardisées, calquées sur celles des grandes villes mais qui
s'avèrent inadaptées aux besoins des quartiers les plus
démunies. L'absence d'un système de crédit adapté
et d'action socio-économique d'encadrement, de même que le
caractère excentré de nombre d'opérations sont d'autres
effets limitant de ces opérations. Cette situation compromet la
recherche de solutions prenant appui sur le savoir-faire des populations et les
pratiques populaires.
Selon F.NAVEZ-BOUCHANINE, le résultat le plus remarquable
de ces opérations, reste leur effet de diffraction
sociale17.
16 F.NAVEZ-BOUCHANINE : Docteur d'État en
sociologie, Professeur des Écoles d'Architecture (France) et à
l'Institut National d'Aménagement et d'Urbanisme de Rabat, Maroc,
Chercheur au Laboratoire CRH-CRESSAC, UMR LOUEST, Paris et membre
associé au Laboratoire CITERES-EMAM (ex-URBAMA), Tours, France
Consultante auprès d'organisations non-gouvernementales et auprès
d'organismes internationaux (BANQUE MONDIALE, PNUD, FNUAP, FAO)
17 Dispersion ou écart social
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
sociale par le logement au Maroc
17
Ces opérations offrent en effet des solutions
intéressantes à une partie des habitants de bidonvilles et c'est
ce qui continue à faire le succès des interventions publiques sur
les bidonvilles ; mais elles restent inadaptées aux franges les plus
démunies de la population. On peut noter également sur le long
terme les effets négatifs d'une gestion centralisée des projets
d'habitat.
Elle contribue à reproduire une inertie redoutable parce
qu'elle entretient, à terme, deux tendances qui freinent les initiatives
locales :
- d'une part, le pouvoir central, au lieu de jouer un rôle
de régulation et d'animation, continue à se substituer aux
instances locales ;
- d'autre part, ce mode de gestion conforte, chez certains
élus, dans des associations, voire auprès d'autres partenaires
publics, une conception assistancielle de l'Etat. 18
18 A l'opposé, les consultations urbaines
mises en oeuvre par le PGU, Programme de Gestion Urbaine en Amérique
latine et caraïbe, sont une méthode de coproduction du
développement urbain et social qui associe de façon approfondie
et dans la durée, tous les acteurs directs et indirects de ce
développement. Quel que soit le lieu, les projets sont menés
selon une méthode similaire fondée sur la participation effective
de toutes les catégories sociales en présence à des
groupes de travail qui identifient les problèmes, établissent des
priorités, choisissent des solutions et les moyens de les mettre en
oeuvre ; les résultats obtenus font l'objet d'un suivi, tandis que des
leçons et perspectives sont systématiquement retirées des
expériences.
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