CHAPITRE 1
LA CREATION DE VALEUR :
LE RENOUVEAU D'UNE APPROCHE D'EVALUATION DE LA
PERFORMANCE FINANCIERE
Avec le développement de la mondialisation et
l'importance croissante des fonds de pension et des investisseurs
institutionnels, la mesure de la performance est surtout positionnée sur
le critère de création de valeur actionnariale. Celle-ci est
devenue un impératif de gestion de l'entreprise moderne. « Le
pouvoir actionnarial »4(*) qui accompagne le mouvement de mondialisation a fait
que cette notion devienne le marqueur indispensable des pratiques de
management. Elle est considérée comme un élément
important de la culture managériale au point qu'elle est devenue une
notion incontournable dans la communication financière des entreprises.
Plusieurs définitions de pertinence inégale sont
données à cette notion qui sous-entend, avant tout, qu'il s'agit
de la valeur actionnariale. Il ne s'agit pourtant pas d'une notion
nouvelle : la maximisation de la richesse ou plus exactement la recherche
du profit et l'accumulation du capital qui, à son tour, sera
réinvesti, est le fondement même de l'économie de
marché. Ce qu'englobe de nouveau cette notion, c'est la dimension
financière qui lui est accolée. En effet, dans la tradition de
la théorie néoclassique, la micro-économie
financière5(*)
établit, de manière normative, un objectif unique de maximisation
de la richesse des actionnaires que doivent rechercher les dirigeants
d'entreprises. Dans ce sens, la valeur créée trouve son origine
dans la rentabilité des capitaux investis qui doit être
supérieure au coût moyen pondéré du capital
c'est-à-dire supérieure au taux de rentabilité minimal
exigé par les pourvoyeurs de fonds.6(*)
Dans cette logique, l'évaluation de la valeur
fondamentale de l'entreprise est effectuée par rapport à la
valeur actuelle de l'ensemble des dividendes que les actionnaires recevront
dans l'avenir. La maximisation de la valeur de l'entreprise, du point de vue
actionnaire, correspond alors à la maximisation de la valeur des actions
de l'entreprise sur le marché boursier. Cette notion consacre ainsi
l'importance de la place de l'actionnaire dans les
« préoccupations stratégiques de
l'entreprise » et « suscite l'apparition de nouveaux
critères d'évaluation des performances et change le contenu de la
communication financière »7(*).
L'objet de ce premier chapitre est d'apporter, à
travers plusieurs lectures, un éclairage sur la notion de
création de valeur en tant qu'approche d'évaluation de la
performance de l'entreprise. Nous allons d'abord situer les fondements
théoriques de la notion de création de valeur (I) avant de
préciser le contexte de son développement ainsi que les
implications de cette approche en matière de management (II).
I - LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LA CREATION DE
VALEUR
La pratique managériale consacre, depuis quelques
décennies, la notion de création de valeur au rang de marqueur
essentiel d'un management performant. Si au départ, la théorie
économique a identifié plusieurs objectifs à atteindre
pour l'entreprise (notamment sa pérennité et sa croissance
durable), l'objectif fondamental auquel renvoie la création de valeur
est la maximisation de la richesse des actionnaires. Ainsi, les méthodes
relatives à l'évaluation de la valeur de l'entreprise ont
évolué. D'approches fondées sur les résultats
comptables passées, elles ont évolué en approches qui
prennent en considération la performance financière et la valeur
créée en ayant comme référentiel comptable
« la juste valeur » c'est-à-dire la valeur du
marché contrairement au principe du coût historique qui
caractérise la comptabilité de type francophone8(*) telle que la comptabilité
marocaine.
Une compilation succincte d'une partie de la
littérature relative au sujet, nous enseigne que la notion de
création de valeur trouve ses fondements lointains dans les
enseignements de la théorie économique néoclassique.
I.1- Les principales composantes de la théorie
financière néoclassique
Dans la théorie financière néoclassique,
la notion de valeur créée est liée à la
problématique de l'allocation optimale des capitaux, autrement dit, au
problème du choix des investissements9(*) : les décisions prises en matière
d'investissement doivent aboutir à la maximisation de la valeur de la
firme.
En effet, les enseignements de la théorie
néoclassique de l'investissement préconisent un cadre d'analyse
à deux périodes, où les agents économiques
établissent leur plan de consommation par arbitrage entre leur
consommation immédiate et celle future. Leur choix est de ne pas
consommer immédiatement l'intégralité de leur richesse, en
raison notamment des opportunités d'investissement en actifs physiques
et d'investissement financier. Ce faisant, ils effectuent des transferts
intertemporels pour accroître leur richesse ; « Ils
peuvent ainsi parvenir à un schéma de consommation qui leur
assure une satisfaction supérieure »10(*).
Tout en prescrivant des règles normatives susceptibles
d'effectuer des choix d'investissements optimaux, la théorie
financière classique a pour objectif de maximiser la richesse des
actionnaires. Ceux-ci sont considérés comme les seuls au sein de
la firme à disposer des droits à prendre des décisions
d'investissement.
De manière générale, les principales
caractéristiques de ce cadre d'analyse néoclassique sont les
suivantes :
· En première période, les agents
répartissent leur budget en consommation immédiate, en
investissement en actifs physiques et en placement (ou emprunts) sur le
marché financier. En seconde période, ils reçoivent le
produit de leur investissement physique auquel se rajoute le capital
placé(ou duquel est déduit le capital emprunté). Cette
richesse finale est censée être intégralement
consommée.
· Les capitaux alloués à l'investissement
physique sont confiés aux dirigeants dans le but de faire
accroître leur richesse sachant que la rentabilité
espérée doit être supérieure au taux
d'intérêt sur le marché financier.
· L'investissement est censé être
effectué sans risque et le retour sur investissement est
considéré comme certain11(*). Le coût du capital est
représenté par le taux d'intérêt unique
prévalant sur le marché financier supposé concurrentiel
où tous les intervenants, prêteurs et emprunteurs, disposent de
toute l'information. L'investissement est considéré comme optimal
lorsqu'il y a égalité entre le coût du capital et le taux
de rentabilité marginal de l'investissement.
· Le risque étant inexistant, nul besoin, dans
cette représentation théorique, de distinguer entre
créanciers (prêteurs) et actionnaires. Quant aux dirigeants
d'entreprises, ce sont des mandataires des prêteurs et des actionnaires
servant à effectuer une allocation optimale des capitaux investis.
· Pour mesurer la richesse créée pour les
actionnaires, la valeur actuelle nette (VAN)12(*) est le principal critère retenu. Un
investissement est alors dit optimal s'il permet de maximiser la VAN,
c'est-à-dire au point où le supplément de VAN
apporté par une unité marginale d'investissement est nul, ou, ce
qui revient au même, lorsqu'il y a égalité entre le taux
d'intérêt unique du marché financier et le taux de
rentabilité marginal du capital investi. Cette VAN permet
également d'évaluer un projet d'investissement en fonction de sa
capacité à créer de la valeur pour les actionnaires, la
rentabilité au niveau de marché financier servant de
référence. L'acceptabilité du projet d'investissement
dépend de cette différence positive entre la rentabilité
du projet et la rentabilité du placement financier. Dans cette approche,
« la création de valeur n'a de signification que par rapport
à cette alternative »13(*).
* 4 Lordon F.,
« la création de valeur » comme
rhétorique et comme pratique, in L'année de la
régulation, Vol.4, CEPREMAP, Paris, 2000, page 117. Document disponible
sur Internet :
http://webu2.upmf-grenoble.fr/regulation/Annee_regulation/AR4-2000-04LORDON.pdf
* 5 Cobbaut R.,
Théorie financière , Economica, 1994, page 285
* 6 Vernimmen P., Finance
d'entreprise, Dalloz, édition 2012, page 699.
* 7 Bulletin de la COB n°
346 Mai 2000, page 43, consultable sur Internet :
http://www.amf-france.org/documents/general/3872_1.pdf
* 8 D'où, d'ailleurs,
l'intérêt porté aux normes comptables IAS/IFRS
(International Accounting Standards/International Financial Reporting
Standard), normes internationales, d'origine anglo-saxonne, qui
déterminent l'information financière au niveau des marchés
financiers.
* 9 Charreaux G., Les
mesures de la création de valeur : fondements théoriques et
limites, Université de Bourgogne, 1999 ;
document disponible sur Internet :
http://gerard.charreaux.pagesperso-orange.fr/perso/articles/Echanges0998.pdf
* 10 Idem, page 1.
* 11 Cf. Charreaux G.,
L'approche économico-financière de l'investissement,
document de travail, université de Bourgogne, France, 1998 ;
disponible sur Internet :
www.leg.u-bourgogne.fr/wp/1000501.PDF
* 12 Pour un
Investissement,
la VAN « représente la valeur des
Flux
de trésorerie liés à l'
Investissement,
actualisés au
Taux
de rentabilité exigé par le marché... Elle
représente donc le montant de la création de valeur
anticipé sur l'
Investissement. »,
Vernimmen P., Finance d'entreprise, Op.cit. Page 395.
On peut dire que la VAN représente le
supplément d'enrichissement apporté par un
investissement par
rapport au minimum exigé par les actionnaires.
* 13 Cf. Charreaux G.,
Les mesures de la création de valeur : fondements théoriques
et limites, Op.cit. Page 2.
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