§3. Mesures visant à prévenir et
à abolir ou atténuer les actes de torture
A. Mesures visant à prévenir les actes de
torture75
Au niveau international, la torture est "... un outrage
à la dignité humaine", "un reniement des buts de la Charte des
Nations Unies" et "une violation des droits de l'homme et des libertés
fondamentales proclamées dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme" (article 2 de la Déclaration de 1975). II faut
donc
75 Voir E/CN.4/1936/15 du 19 février 1986,
Op-cit, pp.13-16
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encourager la plus large ratification possible des instruments
internationaux interdisant la torture, à savoir la Convention contre la
torture de 1984 et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ainsi que le Protocole facultatif s'y rapportant, lequel
prévoit que des particuliers peuvent présenter des
communications.
La communauté internationale disposerait ainsi de
normes internationales contraignantes interdisant la torture, d'un
mécanisme permettant d'en suivre l'application au niveau international,
ainsi que de recours juridiques internationaux, notamment ceux qui sont
prévus aux articles 18 à 24 de la Convention de 1984 et qui
concernent la création d'un comité contre la torture.
Toutefois, la communauté internationale ne se
préoccupe pas seulement d'adopter des normes internationales
contraignantes, comme en témoignent les dispositions de la
résolution 1985/33 de la Commission des droits de l'homme dans laquelle
celle-ci se déclare résolue à promouvoir la pleine
application de l'interdiction de la torture, notamment en nommant un rapporteur
spécial chargé d'examiner les questions se rapportant à la
torture.
M.Koijmans76 a étudié avec une
attention particulière la législation d'urgence en vigueur dans
un certain nombre de pays. Selon le paragraphe 2 de l'article 2 de la
Convention de 1984 et l'article 3 de la Déclaration de 1975» aucune
circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier
la torture. Etant donné que dans un grand nombre de pays où des
cas de torture ont été signalés une législation
d'urgence est également en vigueur, le Rapporteur spécial conclut
qu'il faudrait éviter, à titre préventif, d'avoir recours
à celles des dispositions de cette législation qui sont
susceptibles d'accroître le risque de la torture. Il faut en particulier
que soient maintenues en toutes circonstances les dispositions prévoyant
des recours nationaux ainsi que la possibilité de les utiliser devant
les tribunaux nationaux.
76 Rapporteur spécial nommé en
application de la résolution 1985/33 de la Commission des droits de
l'homme qui a présenté le rapport E/CN.4/1936/15 du 19
février 1986, Torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants.
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D'autres mesures préventives devraient être
adoptées en ce qui concerne des situations particulières dont il
a déjà été tenu compte dans des instruments
internationaux, par exemple : les esclaves ou les personnes de condition
servile; les groupes ethniques, raciaux ou religieux; l'apartheid ou la
discrimination raciale; les territoires sous tutelle; les conflits armés
internationaux ou nationaux; l'instabilité politique interne ou
l'état d'urgence; les femmes et les enfants dans les situations
d'urgence et les conflits armés; les enfants, les handicapés
physiques et mentaux; les endroits où l'on signale des violations
systématiques, flagrantes ou massives des droits de l'homme, notamment
des exécutions sommaires ou arbitraires, des disparitions forcées
ou involontaires ou des cas de torture proprement dite.
Au niveau national, les Etats doivent prendre des mesures
législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces
pour empêcher que des actes de torture soient commis dans le territoire
placé sous leur juridiction (par. 1 de l'article 2 de la Convention et
article 4 de la Déclaration). Le Comité des droits de l'homme a
donc fait observer que "... les Etats doivent assurer une protection effective
grâce à un mécanisme de contrôle". A cet
égard, il faut qu'existent au niveau national des garanties
procédurales et des recours juridiques pour éviter que les
personnes arrêtées ne soient torturées. Les Etats doivent
veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions
au regard de leur droit pénal (par. 1 de l'article 4 de la Convention et
article 7 de la Déclaration).
Des garanties spéciales devraient être
prévues dans le cas des personnes arrêtées ou
emprisonnées pour éviter qu'elles ne soient torturées. Le
Comité des droits de l'homme appelle l'attention sur les garanties
suivantes : "... les dispositions interdisant la détention au secret;
l'octroi, sans préjudice des nécessités de
l'enquête, à des personnes telles que les médecins, les
avocats et les membres de la famille du droit d'accès auprès des
détenus; les dispositions prévoyant que les prisonniers doivent
être détenus dans des lieux de détention officiellement
reconnus comme tels et que leurs nom et lieu de détention doivent
figurer dans un registre
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central tenu à la disposition des personnes
intéressées, comme les membres de la famille; II a
également fait observer que "... en ce qui concerne toutes les personnes
privées de liberté, ... elles doivent être traitées
avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente
à la personne humaine ».
En conséquence, il est dit à l'article 2 du Code
de conduite pour les responsables de l'application des lois que "dans
l'accomplissement de leur devoir, les responsables de l'application des lois
doivent respecter et protéger la dignité humaine et
défendre les droits fondamentaux de toute personne". En outre, les Etats
doivent veiller à ce que l'enseignement et l'information concernant
l'interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation
du personnel civil ou militaire chargé de l'application des lois, du
personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres
personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l'interrogatoire ou le
traitement de tout individu arrêté, détenu ou
emprisonné de quelque façon que ce soit (article 10 de la
Convention de 1984 et article 5 de la Déclaration de 1975).
De plus, ils doivent exercer une surveillance
systématique sur les règles, instructions, méthodes et
pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le
traitement des personnes arrêtées et détenues en vue
d'éviter tout cas de torture (article 11 de la Convention).
D'autres mesures préventives peuvent être
adoptées : au paragraphe 3 de l'article 2 de la Convention contre la
torture, il est dit "que l'ordre d'un supérieur ou d'une autorité
publique ne peut être invoqué pour justifier la torture". En
outre, il y a violation de l'éthique médicale si des membres du
personnel de santé, en particulier des médecins : a) font usage
de leurs connaissances et de leurs compétences pour aider à
soumettre des prisonniers ou détenus à un interrogatoire qui
risque d'avoir des effets néfastes sur la santé physique ou
mentale ou sur l'état physique ou mental desdits prisonniers ou
détenus et qui n'est pas conforme aux instruments internationaux
pertinents;
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b) certifient ou contribuent à ce qu'il soit
certifié, que des prisonniers ou des détenus sont aptes à
subir une forme quelconque de traitement ou de châtiment qui peut avoir
des effets néfastes sur leur santé physique ou mentale ...
».
De plus, il faut que soient inscrites dans la
législation nationale des dispositions garantissant que toute
déclaration dont il est établi qu'elle a été
obtenue par la torture ne peut être invoquée comme un
élément de preuve dans une procédure (article 15 de la
Convention et article 12 de la Déclaration). Enfin, à titre
préventif, aucun Etat n'expulsera, ne refoulera ni n'extradera une
personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de
croire qu'elle risque d'être soumise à la torture (par. 1 de
l'article 3 de la Convention).
Les élèves des établissements
d'enseignement et les patients des institutions médicales doivent
également être protégés contre l'usage de la
torture. Le Comité des droits de l'homme a fait observer que "...
l'interdiction s'étend aux expériences médicales ou
scientifiques réalisées sans le libre consentement de la personne
intéressée". Et il a ajouté "il faut aussi
spécialement protéger de ces expériences les personnes qui
sont dans l'incapacité de donner leur consentement". En outre, la
personnalité humaine et son intégrité physique et
intellectuelle seront protégées "... des conséquences
négatives qui pourraient découler du mauvais usage du
progrès scientifique et technique". De plus, il y a délit si des
membres du personnel de santé, en particulier des médecins, se
livrent, activement ou passivement, à des actes par lesquels ils se
rendent coauteurs, complices ou instigateurs de tortures.
Les peines corporelles considérées comme des
"sanctions légitimes" dans la législation nationale peuvent
constituer, aux termes du droit international, "une douleur ou des souffrances
aiguës". Il faut donc que ce type de châtiment soit
révisé de manière à éviter la torture,
notamment les amputations, la canne ou le fouet. A ce propos, le Comité
des droits de l'homme a fait observer, au paragraphe 2 de l'observation
générale qu'à son avis "l'interdiction doit
s'étendre aux
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peines corporelles, y compris les châtiments excessifs
imposés comme mesures éducatives ou disciplinaires. Même
une mesure telle que l'emprisonnement cellulaire peut, selon les circonstances,
surtout lorsque la personne est détenue au secret, être contraire
à l'article 7 du Pacte". En conséquence, "les peines corporelles,
la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou
dégradante doivent être complètement défendues comme
sanctions disciplinaires".
Enfin, il faut étudier la question des pratiques dites
"traditionnelles", telles la mutilation sexuelle dans certaines
sociétés tribales, qui peuvent constituer "une douleur ou des
souffrances aiguës" aux termes du droit international. Les Etats doivent
assurer une protection appropriée en vertu de la loi contre de tels
traitements même lorsqu'ils sont appliqués par des "particuliers"
et non par des agents de la fonction publique. A ce propos, le Comité
des droits de l'homme a indiqué au paragraphe 2 de la même
observation générale que "... les pouvoirs publics ont
également le devoir d'assurer une protection en vertu de la loi contre
de tels traitements, même lorsqu'ils sont appliqués par des
personnes agissant en dehors de leurs fonctions officielles ou sans aucune
autorité officielle". Il convient de rappeler que, telle qu'elle est
définie dans la Convention, la torture comprend la douleur ou les
souffrances "lorsqu'elles sont infligées par un agent de la fonction
publique ou avec son consentement exprès ou tacite ..." (par. 1 de
l'article premier).
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