§2. Violations d'autres droits de l'homme qui
mènent à la pratique de la torture74
A. Violation du droit à la liberté de
pensée, d'opinion et d'expression (articles 18 et 19 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, articles 18 et 19 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques)
Nombre de victimes de la torture sont des opposants au
gouvernement ou des personnes soupçonnées de l'être. Le
gouvernement, d'une façon ou d'une autre, tente de les empêcher de
s'exprimer librement, notamment de le critiquer. Dans un certain nombre de
pays, l'opposition au régime, la critique de la politique
gouvernementale ou le simple fait d'exprimer des opinions religieuses ou sur
les droits de l'homme, ou de demander à émigrer, par exemple,
sont considérés par le
74 Voir E/CN.4/1936/15 du 19 février 1986,
Op-cit, pp.35-38
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gouvernement comme des actes d'hostilité ou des menaces
à la sécurité de l'Etat. Les arrestations et les
enlèvements s'ensuivent et, dans de nombreux cas, les personnes
arrêtées ou enlevées sont traitées beaucoup plus
durement que celles qui sont soupçonnées de délits de
droit commun et sont souvent soumises à la torture.
B. Violation du droit à la liberté de
réunion et d'association pacifiques (article 20 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, articles 21 et 22 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques)
Bien des victimes de la torture avaient activement
participé à l'organisation de réunions
considérées comme hostiles au gouvernement ou à sa
politique ou milité dans des groupes, des organisations ou des syndicats
indépendants. Dans plusieurs cas, des réunions ou des
manifestations pacifiques ont été dispersées par la police
ou l'armée lorsque le gouvernement considérait qu'elles lui
étaient hostiles ou qu'elles portaient atteinte à la
sécurité nationale.
Dans certains cas, des syndicalistes ont été
persécutés par les autorités ou leurs agents, ou
détenus en raison de leurs activités syndicales. Souvent, des
personnes ayant participé à ce type de réunions ou de
manifestations ou ayant des activités syndicales sont
arrêtées ou illégalement détenues et
interrogées sous la torture. Des personnes qui avaient tenté
d'organiser des groupes pour la défense des droits de l'homme ont
été arrêtées avant même que ces groupes soient
constitués. Dans plusieurs pays, les réunions, les manifestations
ou l'organisation de groupes, d'associations, ou de syndicats autres que ceux
approuvés par le gouvernement sont interdits de facto ou de jure,
notamment lorsque l'état d'urgence a été
déclaré.
C. Violation du droit à la liberté et
à la sécurité de la personne, arrestation et
détention (articles 3 et 9 de la Déclaration universelle
des droits de l'homme, articles 9 et 10 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques)
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Au nombre des droits protégés par ces articles,
figurent : le droit de ne pas faire l'objet d'une arrestation ou d'une
détention arbitraire (1), le droit d'être informé des
raisons de toute arrestation et d'être notifié de toute accusation
(2), le droit à un contrôle judiciaire en cas d'arrestation ou de
détention et le droit de contester la légalité de toute
arrestation ou détention (3).
C. Le droit de ne pas faire l'objet d'une arrestation ou
d'une détention arbitraire
Toute arrestation ou détention qui ne satisfait pas
aux procédures établies par une loi préexistante est
considérée comme "arbitraire". L'arrestation sans mandat n'est
légale que dans certaines conditions strictement régies par les
procédures pénales ou, dans certains cas, par une
législation d'urgence. Dans un certain nombre de pays, les lois sur la
sécurité ou la législation d'urgence habilitent largement
les responsables de l'application des lois et l'armée à
procéder à des arrestations sans mandat, et c'est souvent dans
ces pays que des cas d'arrestations et de détentions arbitraires ont
été signalés.
Dans d'autres pays, les responsables de l'application des
lois ou l'armée n'auraient pas respecté les procédures
établies en matière d'arrestation. Les enlèvements par des
responsables de l'application des lois, des militaires ou des agents de l'Etat
ne sont conformes à aucune des procédures établies et ne
sauraient donc constituer des "arrestations". Dans un certain nombre de cas,
les autorités ne reconnaissent avoir arrêté quelqu'un que
lorsque la détention a été découverte.
D. Le droit d'être informé des raisons de
toute arrestation et d'être notifié de toute
accusation
Dans un certain nombre de pays, les intéressés
ne seraient pas informés des raisons de leur arrestation ni des chefs
d'accusation retenus contre eux. Dans certains cas, ils auraient
été détenus sans explication ou sans qu'il leur soit
notifié
Toutefois, le procureur général n'exercerait pas
ses fonctions de contrôle de façon appropriée, notamment
dans les cas politiques, et autoriserait
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de chefs d'accusation pendant de longues périodes,
quelquefois pendant plusieurs années. D'après certains
renseignements, des personnes auraient témoigné qu'elles
n'avaient pas été informées des raisons de leur
arrestation mais qu'elles avaient été contraintes d'"avouer" sous
la torture.
E. Le droit à un contrôle judiciaire en cas
d'arrestation ou de détention et le droit de contester la
légalité de toute arrestation ou détention
Dans nombre de pays, la loi exige que les personnes
arrêtées ou détenues soient traduites "promptement" devant
un juge ou une autorité judiciaire et soient jugées "dans un
délai raisonnable" ou libérées. Dans un très grand
nombre de pays, des personnes arrêtées auraient été
détenues au secret pendant des périodes prolongées sans
comparaître devant un juge ou une autorité judiciaire. Dans
plusieurs pays, les lois d'urgence prévoient la détention au
secret sans notification de chef d'accusation pendant de longues
périodes pouvant atteindre dans certains cas plusieurs mois ou plus
d'une année.
Dans un pays, le procureur est légalement responsable
de la protection des droits des détenus depuis le moment de leur
arrestation jusqu'à la fin de l'enquête policière.
Conformément à la législation nationale, le policier qui
procède à l'arrestation doit immédiatement informer le
procureur, lequel est habilité à demander l'intervention du juge
d'instruction. La procédure pénale prévoit qu'en l'absence
de motif, la police ne peut prolonger la détention qu'avec
l'autorisation du procureur. Selon la procédure, cette détention
est limitée à quatre jours pour les personnes
soupçonnées d'infractions pénales et peut être
prolongée de 48 heures avec l'autorisation du procureur
général; elle est de 8 jours dans le cas de personnes
soupçonnées d'atteinte à "la sûreté de
l'Etat" et peut être portée à 12 jours avec l'autorisation
du procureur général.
Dans certains pays, les autorités ne respecteraient pas
le code de procédure pénale qui prévoit qu'un suspect ne
peut être détenu sans motif plus de 48
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plusieurs prolongations de détention. Certaines
personnes ainsi détenues auraient été torturées.
Dans un autre pays, les prévenus mis en détention provisoire
peuvent être légalement maintenus au secret pendant une
période pouvant atteindre neuf mois jusqu'à la fin de
l'instruction. Pendant cette période, le détenu n'a pas le droit
de prendre contact avec un avocat ou avec ses proches. La loi n'exige pas que
les personnes mises en détention provisoire comparaissent devant un
juge.
Dans un autre pays, la réglementation mise en vigueur
par le Président en vertu de l'état d'urgence donnait à la
police et autres responsables de l'application des lois, y compris
l'armée, de larges pouvoirs d'arrestation sans mandat et de
détention sans procès. La détention sans motif
était initialement limitée à 14 jours, mais une
prolongation pour une période indéfinie pouvait être
autorisée par le ministre de la loi et de l'ordre. Les détenus
étaient gardés au secret et n'avaient aucun moyen de faire appel.
Les autorités n'étaient pas tenues de donner le motif de ces
détentions et elles n'ont pas révélé les lieux de
détention. En même temps, le gouvernement a par avance
accordé l'immunité à tous les membres de la police et
autres responsables de l'application des lois, aux ministres et aux agents de
l'Etat pour tout acte commis "de bonne foi" dans le cadre des pouvoirs que leur
conférait l'état d'urgence. Beaucoup de personnes détenues
en vertu de l'état d'urgence auraient été
torturées.
Dans un autre pays, même après la levée de
la loi martiale (c'est une loi qui autorise l'emploi de la force armée
pour maintenir l'ordre), le Président a conservé des pouvoirs
d'urgence qui lui permettent d'ordonner la détention
indéterminée de personnes soupçonnées de
délits politiques. L'octroi de pouvoirs aussi étendus à
l'exécutif porte gravement atteinte aux garanties juridiques contenues
dans la Constitution et à la législation destinée à
protéger les droits des détenus.
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heures avant de comparaître devant un procureur; elles
ne référeraient pas les cas de détention au procureur en
vue d'enquête judiciaire ou de poursuites éventuelles. Les
détenus politiques seraient maintenus au secret sans motif pour des
périodes pouvant atteindre neuf mois. Ces personnes, détenues en
dehors de tout cadre juridique, n'ont aucun moyen de faire appel devant les
tribunaux.
Dans un certain nombre de pays, les personnes privées
de leur liberté peuvent se prévaloir d'une procédure
judiciaire qui permet de vérifier la légalité de leur
arrestation ou de leur détention. Selon cette procédure,
appelée habeas corpus, l'intéressé doit être
relâché s'il est établi que dans son cas la privation de
liberté est illégale.
Dans quelques pays où le pouvoir judiciaire n'est ni
efficace ni indépendant du pouvoir exécutif, le mécanisme
de contrôle judiciaire n'offre aucune garantie en cas d'arrestation ou de
détention illégale. Dans un pays, les pouvoirs d'urgence dont est
investi le Président lui permettent de restreindre l'application de
cette procédure dans le cas de certains détenus, notamment les
détenus politiques.
Voyons à présent les mesures qui visent à
prévenir et à abolir ou atténuer les actes de torture.
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