SOMMAIRE
(Un plan détaillé figure à la
fin du mémoire)
Première partie : L'assurance sociale et la
consécration du droit à la santé
Chapitre I : La consécration du droit à la
santé dans les sources du Droit Section 1 : En Droit international
Section 2 : En Droit tunisien
Chapitre II : Les bénéficiaires du droit à
la santé
Section 1 : Le caractère familial de l'assurance
sociale
Section 2 : L'assurance sociale moyen de protection du
travailleur face aux
risques professionnels
Deuxième partie : L'assurance sociale et l'inégal
accès à la santé
Chapitre I : La sélectivité de l'assurance
sociale
Section 1 : La conception professionnelle de la
sécurité sociale Section 2 : L'exclusion de certaines
catégories socioprofessionnelles
Chapitre II : L'extension de la protection sociale en
matière de santé par
d'autres techniques
Section 1 : Le rôle complémentaire d'autres formes
d'assurances Section 2 : Le rôle complémentaire de l'assistance
médicale gratuite
Introduction
INTRODUCTION
Introduction - 1 -
« La santé est universellement reconnue comme
l'un des besoins essentiels de la personne humaine, au point de constituer l'un
des indicateurs principaux de développement »1.
D'ailleurs, dans les pays développés ou les pays en voie de
développement les pouvoirs publics se préoccupent de la question
de la santé avec un grand intérêt et beaucoup de soins.
Ainsi, face à la demande sociale d'une meilleure
santé, les Etats, par différents instruments juridiques,
reconnaissent un droit à la santé et adoptent des politiques
sociales et sanitaires en vue d'assurer « un état de complet
bien être physique, mental »2 pour leur
ressortissants.
Cette reconnaissance d'un droit à la santé,
s'inscrit dans un cadre général de reconnaissance des droits de
l'homme à une échelle universelle par la déclaration
universelle des droits de l'homme (D.U.D.H.) de 1948 et par la charte des
nations unies de 1945.
Le droit à la santé figure parmi les droits
sociaux inhérents à l'être humain, et qui lui sont
essentiels pour sa survie. La notion "droits sociaux" unifie, ainsi, une
catégorie de droits généralement qualifiée de
droits économiques, sociaux et culturels.3
Toutefois, le concept de droits sociaux reste encore assez
confus en Droit positif et en doctrine. Mais une définition peut
être retenue pour les droits sociaux, « ils se
définissent comme des droits d'exiger de la société
certaines prestations et supposent des interventions publiques destinées
à les garantir »4.
Les droits sociaux ont pour but de limiter ou de corriger les
inégalités sociales involontaires. Ils se présentent donc
comme des droits créances que l'Etat se trouve dans la
possibilité et l'obligation de promouvoir pour libérer l'homme
des injustices et des contraintes sociales.
1 J. V GRUAT, Introduction aux systèmes
d'assurance maladie, Rapport introductif, communication aux actes du colloque
organisé à Tunis par l'ATDS juin 1988, RTDS 1993, p19.
2 Préambule de la constitution de
l'organisation mondiale de la santé (OMS),
3 Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels adopté par l'A.G. des N.U. le
16 décembre 1966.
4 S. ROBIN-OLIVIER, « La
référence aux droits sociaux fondamentaux dans le traité
d'Amsterdam », Dr. Soc. n° 6, 1999, p. 613.
Introduction - 2 -
Par son action l'Etat doit corriger les
inégalités qui naissent entre les personnes de droit privé
dans leurs rapports, tels que les rapports homme / femme et patrons /
salariés. En effet, il se préoccupe de garantir les droits
sociaux pour les plus faibles.
Toutefois, un recul constaté du socialisme, avec
l'effondrement des régimes communistes en faveur d'une diffusion
mondiale et intense du libéralisme, va causer une régression dans
l'effectivité des droits sociaux.
Ces droits sociaux apparaissent, ainsi, comme des droits de
plus en plus formels. De nombreuses législations nationales les
réduisent puisqu'elles n'ont plus la capacité et les moyens de
les satisfaire, surtout avec la dominance, dans les Etats nouvellement
indépendants et qui sont encore sous développés, de
l'idée que les droits de l'homme ne pouvaient et ne devaient pas
être un obstacle au développement économique.
De surcroît, l'universalisation des droits de l'homme
s'accompagne d'une diffusion mondiale et intense d'une idéologie
libérale qui fait prévaloir l'économique sur le social.
A ce propos, « il faudra veiller à ce que les
droits sociaux fondamentaux, au lieu d'être un atout
supplémentaire entre les mains des salariés, ne se transforment
en un simple cache misère dans une économie mondialisée et
dominée par le droit de la concurrence »1
En Tunisie, face à la régression des droits
sociaux dans le monde, avec la libération de l'économie mondiale,
les pouvoirs publics se trouvent contraints par une obligation juridique et
morale de promouvoir les droits de l'homme d'une part, et par une conjoncture
économique difficile caractérisée par le chômage, la
pauvreté et l'exclusion sociale ... d'autre part.
Toutefois, un développement durable et réussi ne
peut être assuré que par la satisfaction des besoins sociaux
nécessaires, dont notamment le droit au travail, le droit à
l'éducation et à l'enseignement et le droit à la
santé ...
Certes, l'effectivité de ces droits sociaux
dépend de la volonté des Etats, puisque dans les instruments
juridiques internationaux on trouve une reconnaissance
1 J. MOULY, « Les droits sociaux à
l'épreuve des droits de l'homme », Dr. Soc., n° 9-10, 2002, p.
805.
Introduction - 3 -
des droits sociaux d'une part et une obligation à la
charge des Etats afin de les satisfaire, d'autre part.
En Droit tunisien, et en harmonie avec les textes
internationaux en la matière, la Constitution, suite à
l'amendement du 1er juin 2002, prévoit le principe de
l'indivisibilité des droits de l'homme et fait de la république
une garantie des libertés fondamentales et des droits de l'homme dans
leur acception universelle, globale, complémentaire et
interdépendante.
Cette réforme constitutionnelle incarne une
volonté de promouvoir les droits de l'homme d'une façon
générale et surtout les droits sociaux. Une volonté qui va
s'exprimer dans des textes législatifs et réglementaires venant
renforcer tout un arsenal juridique protecteur des droits de l'homme.
Parmi les droits dont la protection s'impose avec force
figurent le droit à la santé et le droit à la
sécurité sociale. La sécurité sociale s'identifie
en tant qu'institution permettant de protéger l'individu contre divers
événements, généralement qualifiés de
"risques sociaux". Ces risques prévus par la convention n° 102 de
l'organisation internationale du travail (O.I.T.) concernant la norme minimale
de la sécurité sociale,1 sont au nombre de neufs,
à savoir ; la maladie, la maternité, les soins médicaux,
les charges familiales, la vieillesse, l'invalidité, le
décès, les accidents du travail et les maladies professionnelles
et le chômage.2
Ainsi, le droit à la sécurité sociale est
le droit de l'individu à une protection suffisante contre les risques
inhérents à sa vie et susceptibles d'affecter les conditions
matérielles et morales de son existence.
Par conséquent, associé au droit à la
santé, le droit à la sécurité sociale s'entend du
droit à la protection de la santé de l'individu par recours aux
mécanismes de la sécurité sociale.
1 La convention n° 102 de l'O.I.T. concernant
la norme minimale de la sécurité sociale adoptée le 28
juin 1952 et n'est pas encore ratifiée par la Tunisie.
2 Le risque chômage n'est pas encore couvert
dans le système tunisien de sécurité sociale.
Introduction - 4 -
« La santé est un état variant du bien
être ou mal être, du fait de l'existence ou non d'une maladie
physique ou psychique, réelle ou imaginaire, d'un handicap ou, plus
largement, d'une atteinte à l'intégrité physique ou
psychique ».1
La santé est aussi définie « comme
désignant la situation physique ou physiologique ou mentale des
individus, la présence ou l'absence chez eux de maladies, affections
chirurgicales, infirmités ou imperfections organiques ou fonctionnelles
».2
De ce qui précède on peut remarquer que pour
garantir un état de complet bien être physique, mental et social
à toute la population, l'Etat doit investir des moyens techniques et
financiers nécessaires. Cet investissement pourrait présenter une
charge lourde pour l'Etat à qui incombe l'effectivité d'un
idéal droit créance à la santé et à la
sécurité sociale.
Ainsi, l'effectivité des droits sociaux,
qualifiés de droits de la seconde génération,
dépend de la politique sociale de chaque Etat, ainsi que de son niveau
de développement économique.
A ce propos, le législateur tunisien a fait du droit
à la sécurité sociale pour l'essentiel, "un droit
contributif"3 basé sur la notion de solidarité
sociale. « De nos jours, la sécurité sociale est
reconnue comme un besoin vital, non seulement pour les travailleurs
salariés considérés pendant longtemps comme
économiquement faibles, incapables d'une prévoyance
sérieuse et efficace, mais aussi pour tous les éléments
qui composent une nation ».4 C'est ainsi que le droit
à la sécurité sociale se généralise au
profit de toute la population.
Toutefois, l'extension de la sécurité sociale
dépend étroitement de la conception de sécurité
sociale pour laquelle a opté le législateur. En effet, selon
qu'il adopte la conception professionnelle ou la conception universelle de
sécurité sociale, le législateur va, soit limiter la
protection sociale aux seuls travailleurs ainsi que leurs ayants droit, soit
étendre la protection en faveur de toute la nation.
1 C. SAUVAT, Réflexions sur le droit
à la santé, Collection du Centre Pierre KAYSER, Presses
Universitaires d'Aix Marseille (P.U.A.M), 2004, p. 29.
2 J-M. AUBY, Le droit de la santé,
P.U.F., Paris, 1981, p. 11 et 12.
3 Cf. A. MOUELHI, Droit de la
Sécurité Sociale, 2ème éd, 2005, p.
18-19.
4 N. LADHARI, Traité de
Sécurité Sociale, Connaissance pour tous, Culture juridique
et sociale, Fondation nationale pour la traduction, l'établissement des
textes et les études Beit AL Hikma, Carthage 1990, p. 21.
Introduction - 5 -
En Droit tunisien, par la loi n° 60-30 du 14
décembre 1960, le législateur a « institué une
organisation de sécurité sociale, destinée à
protéger les travailleurs et leurs familles contre les risques
inhérents à la nature humaine, susceptibles d'affecter les
conditions matérielles et morales de leur existence
».1 Parmi ces risques figurent des risques qui peuvent
toucher la santé de l'individu dont la maladie, la maternité, les
accidents de travail et les maladies professionnelles. D'où va
naître l'idée d'associer le droit à la santé au
droit à la sécurité sociale pour satisfaire le premier en
assurant le second.
« La mise en oeuvre du droit à la
sécurité sociale suppose une énumération des
risques retenus et des bénéficiaires, un mode de financement et
de gestion approprié, bref un dispositif traduisant tant l'exigence
constitutionnelle que le besoin de protection que seul l'Etat paraît en
mesure de satisfaire ».2
Ce dispositif est mis en place en Tunisie lors de
l'indépendance et n'a cessé d'évoluer et de se
développer jusqu'à nos jours. En effet le droit de la
sécurité sociale, en tant que branche de droit visant la
protection de l'individu contre les risques sociaux et professionnels, est une
branche qui doit évoluer à la même vitesse et avec le
même dynamisme que la réalité sociale, notamment concernant
la demande sociale en matière de soins de santé.
Pour assurer une protection sociale effective, la
sécurité sociale, en tant qu'institution, « implique
techniquement une redistribution financière avec d'une part, un
prélèvement et, d'autre part par la répartition des fonds
prélevés. Elle obéît à une logique
d'assurance, mais un peu particulière ».3 Il s'agit
de l'assurance sociale qui s'identifie en tant que technique d'assurance ayant
subi dés l'origine une profonde mutation pour se convertir en
authentique institution de protection de sociale.1
L'assurance sociale, en tant que technique de protection
sociale, s'est imposée en Allemagne, sous la pression croissante de
l'industrialisation, comme un meilleur
1 Art. 1er de la loi n° 60-30 du 14
décembre 1960 portant institution d'un régime de
sécurité sociale pour les travailleurs salariés du secteur
privé.
2 J-P. CHAUCHARD, « La sécurité
sociale et les droits de l'homme (à propos du droit à la
sécurité sociale) », Dr. Soc. n° 1,1997, p. 52.
3 A. MOUELHI, Droit approfondi de la
sécurité sociale, Cours polycopié pour les
étudiants de la 1ère année du mastère en
Droit Social, 2003-2004, p 12.
Introduction - 6 -
moyen de protection des travailleurs face aux risques sociaux,
notamment la maladie, les accidents du travail, la vieillesse et
l'invalidité.2
Par la suite, et avec le développement de l'industrie
dans différents Etats du monde, l'assurance sociale s'est
répandue de manière lente et limitée en une
première étape dans le cadre de l'Europe, pour s'étendre
en une deuxième étape, mais à un rythme
accélérée cette fois, après 1919 en Europe et hors
d'Europe, dans la plupart des pays en voix d'industrialisation.3
Le mérite de l'expansion et la diffusion de la
technique d'assurance sociale revient à l'O.I.T., qui par son action
normative a mis ses moyens d'information et de réglementation
internationales au service du développement des régimes
nationaux. Par la suite, une série de conventions internationales
relatives au chômage, à la maternité, à l'assurance
maladie, à l'assurance invalidité, à l'assurance
vieillesse et à l'assurance décès, va servir de
véritable modèle législatif international à la
disposition des Etats membres de l'O.I.T.
Récemment, dans certains régimes de conception
extensive, « la technique de l'assurance sociale s'est assouplie et
adaptée à l'exigence accrue de solidarité qui
caractérise la sécurité sociale, au point de ne plus se
distinguer, en fin de compte, des autres techniques de protection que par la
spécificité de son financement ».4
Il est utile de rappeler que l'assurance sociale se
caractérisait lors de sa naissance par l'assujettissement obligatoire de
tous les ouvriers et employés pour se garantir un droit à la
protection contre les risques sociaux. Cet assujettissement était soumis
à un plafond de revenu annuel.
Le financement des régimes se fait par les cotisations
prélevées sur le salaire et réparties entre l'employeur et
le salarié, avec, toutefois, une gestion du régime confié
à un organisme à but non lucratif placé sous la tutelle de
l'Etat.
1 Cf. G. PERRIN, « Cent ans d'assurance sociale
», Travail et Société vol. 9, n° 2, 1984, p 199.
2 Ainsi trois lois ont été
adoptées :
- La loi du 15 juin 1883 sur l'assurance maladie des travailleurs
; - La loi du 06 juillet 1884 sur l'assurance accidents du travail ;
- La loi du 22 juin 1889 sur l'assurance vieillesse
invalidité.
3 Cf. G. PERRIN, « Cent ans d'assurance
sociale (2ème partie), diffusion et expansion de l'assurance
sociale de 1883 à 1938 », Travail et Société, vol. 9,
n° 3, 1984, p. 319.
4 G. PERRIN, « Cent ans d'assurance sociale
(3ème partie), sécurité sociale et assurance
sociale », Travail et Société, vol. 9, n°4, 1984, p.
429.
Introduction - 7 -
L'assurance sociale, aujourd'hui, a conservé pour
l'essentiel ses caractéristiques d'origine, mais elle dépend de
plus en plus du choix de la conception de sécurité sociale
adoptée par le législateur.
Le législateur tunisien, ayant opté pour une
conception professionnelle de sécurité sociale, soumet le
bénéfice de la protection contre les risques sociaux à
l'exigence d'appartenir à une catégorie professionnelle
déterminée et au paiement des cotisations légales
exigées pour acquérir la qualité d'assuré
social.
Ainsi, vont naître en Droit tunisien des régimes
organisés de sécurité sociale qui reflètent la
diversité des groupes socioprofessionnels couverts par les assurances
sociales. On parle ainsi d'une solidarité catégorielle qui est de
l'essence même de la conception professionnelle de sécurité
sociale.1
La solidarité présente à la fois un
fondement de l'assurance sociale et une finalité du droit de la
sécurité sociale.
D'une part, un fondement de l'assurance sociale,2
parce que la solidarité entre un groupe homogène d'individus,
à savoir les travailleurs soumis au même régime de
sécurité sociale, permet de supporter d'une façon
collective les risques qui peuvent survenir à l'un d'eux. Cette
solidarité s'explique par les cotisations versées par les
assurés sociaux et qui ne sont pas proportionnelles aux besoins de
l'individu en sécurité sociale ou aux prestations
escomptées.
D'autre part, la solidarité se présente comme
une finalité du Droit de la sécurité sociale. En effet,
fondé sur une conception professionnelle de la sécurité
sociale, le système tunisien s'est assigné la finalité de
promouvoir la solidarité dans ses dimensions horizontale et verticale
Dans sa dimension horizontale, la solidarité se fait
entre les assurés sociaux soumis à un régime légal
de sécurité sociale, elle présente l'intérêt
de supporter par le groupe la charge que devrait supporter normalement
l'individu tout seul.3
Dans sa dimension verticale, la solidarité justifie la
prise en charge des personnes exclues ou des personnes prouvant des
difficultés d'accès à une couverture
1 Cf. A. SEFI, « Disparité des
régimes de couverture du risque maladie », communication aux actes
du colloque organisé à Tunis par l'A.T.D.S., juin 1988, R.T.D.S.
1989, p. 75.
2 F. EWALD, « Société assurantielle
et solidarité », Problèmes économiques, 19-26 mars
2003, n° 2-802, p. 1.
3 Cf. J-J. DUPEYROUX, Droit de la
Sécurité Sociale, 12ème éd, 1993,
Précis Dalloz, p 6.
Introduction - 8 -
sociale. Ainsi le groupe des assurés sociaux supporte
solidairement le groupe des non assurés face aux risques
sociaux.1
Par ailleurs, l'assuré social en adhérant
à un régime légal de sécurité sociale entend
faire face aux risques qui touchent essentiellement sa propre santé ou
celle de ses ayants droit. C'est la raison pour laquelle on trouve que
l'importance est beaucoup plus accordée aux assurances sociales
s'intéressant à la santé que les autres. Les risques
maladie, maternité, accidents de travail et maladies professionnelles
sont des risques quotidiens et peuvent affecter les possibilités de gain
de l'assuré social parce qu'ils touchent directement sa santé. De
surcroît, ces risques peuvent faire peser sur l'assuré social une
charge parfois trop lourde et des dépenses de soins qui dépassent
parfois les limites de ses possibilités de gain.
Notons aussi que dans le même contexte des
dépenses de soins même si « la santé n'a pas de
prix »,2 une croissance notable des dépenses de
santé et de la consommation médicale mérite d'être
soulignée3.
Cette croissance ou explosion des dépenses de
santé est un phénomène mondial4 dû
à plusieurs facteurs dont notamment la croissance démographique,
la prise de conscience par les individus de l'importance de la santé, le
développement économique et social, la hausse des prix de
certains produits pharmaceutiques d'une façon excessive et le
développement d'une infrastructure sanitaire moderne ...
La hausse excessive des dépenses de santé est
essentiellement supportée par l'Etat et par les ménages, avec la
remarque que « les dépenses des ménages en
matière de santé sont essentiellement d'ordre curatif
».1
En Tunisie, le problème qui se pose consiste dans le
fait que « ces dépenses augmentent à un taux largement
supérieur par rapport à l'accroissement de notre richesse
nationale. Actuellement, le taux de croissance de ces dépenses de
santé est
1 Cf. A. MOUELHI, Droit de la
Sécurité Sociale, Op. Cit. p. 16.
2 M. CAMU, H. ZAIEM et H. BAHRI, Etat de
santé : besoin médical et enjeux politiques en Tunisie,
éd Centre National de Recherche Scientifique, 1990, p. 11.
3 - Les dépenses de soins et d'hygiène
par habitant sont passées de 7.2 dinars en 1975 à 92 dinars en
2001.
- Les dépenses publiques de santé par rapport au
budget de l'Etat sont passées de 7.5% en 1990 à 8.5% en 2000. -
Le taux de croissance annuel de la consommation médicale totale en
Tunisie est de 10%. (source : Ministère du Développement
Economique, in La Revue de l'Entreprise, n O spécial Hors-Série,
Décembre 2001).
4 Cf. F. MONIER, « Sécurité
Sociale : le retour du déficit », Problèmes
économiques, 19-26 mars 2003, n° 2-801-2-802, p17.
Introduction - 9 -
de 14% par an, alors que notre PIB se situe entre 5 et 6%.
Plus grave encore : l'écart entre nos dépenses de santé et
la croissance de notre pays ne fait qu'augmenter d'une année à
l'autre ; ce qui pose réellement un problème
».2
C'est face à ce problème que les pouvoirs
publics devraient agir dans le sens de « repenser notre système
de santé, afin d'alléger le poids de son coût du
côté des manéges »,3 ainsi que du
côté des dépenses publiques de santé.
Avec le début des années 90 différents
textes en matière de sécurité sociale vont voir le jour en
vue d'une meilleure couverture sociale pour la majorité de la
population, d'une part, et pour une meilleure gestion du risque social, d'autre
part.
C'est dans ce sens que le législateur a adopté
deux lois relatives aux régimes de couverture des risques
professionnels, à savoir, la loi n° 94-28 du 21 février 1994
dans le secteur privé et la loi n° 95-56 du 28 juin 1995 dans le
secteur public. Par cette nouvelle législation relative aux accidents du
travail et aux maladies professionnelles, une meilleure protection du
travailleur sur les lieux du travail lui offre une meilleure protection de son
état de santé au cours ou à l'occasion de l'exercice de
son activité professionnelle.
De ce qui précède, on peut nettement remarquer
que toute reforme juridique en général et spécialement
pour les textes régissant la matière sociale, doit être
précédé par une étude suffisante des
possibilités et des opportunités de l'envisager.
D'autant plus, « l'amélioration
générale et durable de l'état de santé des
populations passe d'abord par un renforcement des moyens financiers disponibles
à cette fin ».4 Or, les moyens financiers
disponibles ne sont pas assez suffisants pour mener une reforme des textes de
sécurité sociale et pour développer encore mieux
l'infrastructure sanitaire publique.
Toutefois, il ne faut pas négliger le
développement important que connaît l'offre des soins
auprès des prestataires de soins privés notamment les
médecins, les policliniques, les analystes, les radiologues, les
médecins dentistes ... « L'évolution
1 L. ZARROUK, « Où va la consommation
médicale totale en Tunisie ? L'explosion des dépenses de
santé : Quelles en sont les origines ? », Regards et explications,
La Revue de l'Entreprise, Spécial Hors Série, Décembre
2001, p 16.
2 Ibid., p16-17.
3 M. ZOUARI, « L'économie de
santé : une affaire de société », La Revue de
l'Entreprise, Spécial Hors Série, décembre 2001, p 4.
4 J. V. GRUAT, Art. préc., p. 19.
Introduction - 10 -
des effectifs médicaux par rapport à celle
de la population constitue la manifestation la plus spectaculaire d'un
élargissement de l'offre de soins »1 en Tunisie.
Cette situation va faire de la réforme du régime
d'assurance maladie une priorité pour les pouvoirs publics depuis
1996,2 l'année au cours de laquelle la Tunisie a signé
avec la communauté européenne un accord de partenariat qui aura
par la suite des effets sur la législation, ainsi que sur
l'économie et la société.3
Quelques années après, une réforme
législative importante sera envisagée pour instituer un nouveau
régime d'assurance maladie par la création d'une nouvelle caisse
nationale d'assurance maladie à laquelle sera confiée la gestion
du régime. Cette réforme a vu le jour avec la loi n° 2004-71
du 02 Août 2004.
En effet, par l'adoption de ladite loi, le législateur
prévoyait l'entrée en vigueur du nouveau régime le
1er juillet 2005 date à laquelle sont «
abrogées les dispositions de la loi n° 86-86 du 1er
septembre 1986 portant réforme des structures de sécurité
sociale ».4 Cependant, rencontrant des difficultés
techniques, l'instauration du nouveau régime a été
reportée à deux ans pour entrer officiellement en vigueur le 1er
juillet 2007 avec l'adoption de ses textes d'application notamment les
décrets n° 2007-1367 du 11 juin 2007 et le décret n°
2007-1406 du 18 juin 2007.
Il y a lieu de noter ici que l'entrée en vigueur de la
loi n° 2004-71 obéit à la logique des étapes. Ainsi,
tout en commençant par la gestion des maladies chromiques et de longue
durée, l'accouchement et les interventions chirurgicales, le nouveau
régime devrait d'ici au 1er juillet 2009 s'appliquer pour
toutes les maladies et pour tous les assurés sociaux et leurs ayants
droits.
Dans la même logique des étapes, la nouvelle
législation prévoit une hausse dans les taux des cotisations dans
le sens d'unifier progressivement ces taux à l'ordre de 6,75% pour tous
les affiliés aux régimes légaux de sécurité
sociale à l'exception
1 M. CAMU, H. ZAIEM et H. BAHRI, op. Cit. p
28.
2 Un conseil ministériel en date du 16
février 1996 sur la reforme du régime de l'assurance maladie en
Tunisie.
3 Cf. A. SEFI, « Le système de
sécurité sociale, portée et limites », in l'accord
entre la Tunisie et la Communauté Européenne : effets
économiques et sociaux », éd. L'U.G.T.T. avec la
collaboration de Freidrich Ebert.
4 Art. 29 de la loi n° 2004-71 du 02 août
2004.
Introduction - 11 -
des bénéficiaires d'une pension dont le taux de
cotisation est fixé à 4%. L'application des nouveaux taux va
faire progressivement et à trois étapes jusqu'au 1er
juillet 2009.1
L'élévation du taux de cotisation au titre de
l'assurance maladie permettra d'assurer un meilleur équilibre financier
des caisses de sécurité sociale, ce qui va par la suite
encourager leur action. Mais comme toute charge supplémentaire,
l'élévation du taux de cotisation pourrait ne pas plaire aux
assurés sociaux. D'autant plus, la phase transitoire par la quelle passe
notre système d'assurance maladie, et l'application par étapes du
nouveau régime pourrait présenter une source d'inquiétude
pour le citoyen à défaut d'information satisfaisante et
suffisante.
Toutefois, le nouveau régime d'assurance maladie a le
mérite de soulever les injustices de l'ancien système, à
ce propos Mme Aicha SEFI, voit que « les sommes
consacrées à la santé ne sont pas répartie
également : ni entre les établissements sanitaire ... ni entre
les assurés sociaux vis à vis desquels on enregistre une
inégalité au point où la conception du système
change complètement ».2
Ainsi, la reconnaissance d'un traitement égalitaire
entre tous les assurés sociaux en matière d'assurance maladie
est, en fait, une reconnaissance d'un droit égal à la
santé pour tous les assurés.3
En effet, une répartition de la charge de la
santé entre les services publics et les privés est, en
réalité, une répartition de la charge de santé
entre un effort collectif et un effort privé.
Dans ce contexte juridique caractérisé par une
reforme du régime d'assurance maladie en Tunisie, une étude
portant sur l'assurance sociale et le droit à la santé à
le mérite de présenter un grand intérêt à la
fois pour le juriste, pour le praticien, mais aussi et surtout pour le
citoyen.
Cette étude se justifie par plusieurs
considérations :
1 Le décret n° 2007-1406 du 18 juin
2007 fixe les taux et l'assiette des cotisations au titre du régime de
base de l'assurance maladie et les étapes de son application. (J.O.R.T.
n° 49- du 19 juin 2007, p 2174 et s).
2 A. SEFI, Art. préc. p.29.
3 Cf. A. LECLERC, « Santé et
société : les inégalités en matière de
santé », Cahier français n° 324, janvier février
2005, La documentation française, p. 9-13.
Cf. P. DOURGNON, M. GRIGONON et F. JUSOT, « L'assurance
maladie - réduit elle les inégalités sociales de
santé ? Questions d'économie de la santé »,
Problèmes économiques, 19-26 mars 2003, n° 2-801-2-802, p.
29-36.
Introduction - 12 -
D'abord, elle se justifie par l'importance des droits
sociaux,1 notamment le droit à la santé, en tant que
droits inhérents à la personne humaine et indispensables à
sa dignité. Ces droits doivent être reconnus pour tous sur le
même pied d'égalité.
Ensuite, elle se justifie par la liaison étroite et
inévitable entre toute politique de santé2 et
l'assurance maladie, du fait que celle ci présente le moyen le plus
approprié pour assurer une meilleure couverture du risque maladie pour
la plupart de la population.3
Enfin, cette étude se justifie certainement par la
reforme du régime d'assurance maladie et l'institution de la C.N.A.M.
cette réforme va faire preuve des défaillances de l'ancien
régime,4 mais va aussi faire preuve de l'insuffisance de
l'assurance sociale en tant que technique de sécurité sociale
pour couvrir les besoins de toute la population en matière de
santé.
Le sujet assurance sociale et droit à la santé
est un sujet d'actualité, qui touche de prés beaucoup
d'intéressés. Son intérêt est à la fois
pratique mais aussi et surtout théorique puisqu'il permettra de
localiser les défaillances du système pour préconiser les
solutions appropriées.
En effet, l'examen des différentes branches d'assurance
sociale, tout en cherchant à établir un lien avec le droit
à la santé va exclure du champ de cette étude certaines
assurances sociales. On observe nettement que l'assurance chômage,
l'assurance vieillesse, l'assurance retraire et l'assurance invalidité
n'établissent pas un lien direct avec le droit à la santé
comme c'est le cas pour l'assurance maladie, l'assurance maternité et
l'assurance accidents de travail et maladies professionnelles.
Ainsi, l'assurance sociale permet de protéger
l'assuré social face aux risques professionnels et permet aussi de le
protéger ainsi que ses ayants droits face aux risques liés
à la santé de la famille.
1 Cf. J.MOULY, « Les droits sociaux à
l'épreuve des droits de l'homme », Dr. Soc. n° 9-10, 2002,
p.799-805.
2 La politique sociale est définie par B.
DUMOUS et G. POLLET comme étant : «le cadre d'action ou l'ensemble
des stratégies mises en oeuvre pour atteindre des objectifs
précis en vue de l'amélioration du bien être des individus
», L'histoire des politiques sociales : domaine de l'inconnu, Vie sociale
n° 5 / 87.
3 Cf. R. RUELLAN, « Vers une
réconciliation de la politique de la santé et de l'assurance
maladie, Dr. Soc. n° 4, 2003, p. 410-419.
4 A propos de l'ancien régime M. Mohamed
BOUKHRIS affirmait que : « Notre système actuel, peut être
considéré comme un système dépassé,
comportant en lui même de multiples contradictions devenant ainsi
anachronique, inopérant et coûteux. », Communication aux
actes du colloque organisé à Tunis par l'A.T.D.S., juin 1988,
R.T.D.S. 1989, p. 64.
Introduction - 13 -
Toutefois, comme l'assurance sociale a le mérite
d'assurer une couverture, a priori, suffisante pour une large couche de la
population, elle a, par ailleurs, l'inconvénient de ne pas couvrir tous
les citoyens. Ceci s'explique par l'option en droit tunisien en faveur de la
conception professionnelle de sécurité sociale qui se contente de
protéger ceux qui exercent une activité professionnelle dans une
logique de solidarité contributive entre un groupe d'assurés
soumis à un régime légal de sécurité
sociale.1
Ainsi, se basant sur une conception, qui par définition
exclut de son champ les non professionnels, le droit tunisien de la
sécurité sociale semble être discriminatoire. Toutefois,
dans ce système composé d'une mosaïque de régimes, le
traitement différentiel n'est pas toujours discriminatoire.
Face à l'insuffisance constatée de l'assurance
sociale en tant que technique de protection du droit de l'individu à la
santé, une couverture suppléante devrait être conçue
pour les non assurés sociaux.
A ce propos, une assistance médicale gratuite est
présumée devoir supporter la charge des plus démunis de la
société quant aux dépenses de santé.
L'assurance sociale contribue-t- elle à la
consécration d'un droit fondamental à la santé pour tous
les citoyens et quelle sont les limites ?
« Il va de soi qu'une réforme de l'assurance
maladie est, quelle qu'en soit le contenu, insusceptible de réaliser
à elle seule les objectifs tracés par les stratégies,
nationales de santé ».2 C'est ainsi que, même
après la réforme du régime d'assurance maladie en Tunisie,
des insuffisances quant à la couverture du droit du citoyen à la
santé surgissent encore, vu les limites de la conception
professionnelle. Par la suite une « santé pour tous
»3 ne serait pas atteinte par la seule technique de
l'assurance sociale.
De ce qui précède on constate qu'une
étude du droit à la santé par l'assurance sociale serait
envisagée par l'analyse, d'une part, de la consécration du droit
à la
1 A. MOUELHI, Modèles et logiques de la
couverture sociale en Droit tunisien, thèse de doctorat en Droit
Social, Université de BORDEAUX I, Faculté de Droit et des
Sciences Economiques, 1989, p. 66.
2 H. KOTRANE, Rapport de synthèse des
travaux du colloque sur l'assurance maladie organisé à Tunis par
l'A.T.D.S., juin 1988, R.T.D.S. 1989, p. 126.
3 Stratégie de l'O.M.S. d'une santé pour
tous au XXIème siècle, V. infra, p.30.
Introduction - 14 -
santé par l'assurance sociale
(première partie) et, d'autre part, par
l'analyse de l'inégal accès au droit à la santé par
l'assurance sociale (deuxième partie).
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