I/ Revue de la littérature
I-1: Revue des modèles théoriques
classiques sur la relation entre ouverture et inégalités:
Les théories classiques se sont déjà
penchées sur la question de l'impact du libre échange sur les
inégalités de richesse. Dans le modèle Hecksher-Ohlin, le
théorème Stolper-Samuelson soutient que la hausse du prix d'un
bien accroît le rendement réel du facteur qui utilise
intensivement ce bien et par analogie diminue le rendement réel de
l'autre facteur. A cet effet, lorsqu'un pays passe d'une situation d'autarcie
à celle de libre échange, il fait face à une demande
mondiale beaucoup plus significative que la demande nationale à laquelle
il était préalablement confronté, ce qui va donc
accroître le prix du bien pour lequel il est spécialisé. Si
le pays est défini comme abondant en capital (ou en travail
qualifié), il est net exportateur du bien fortement doté en
capital (travail qualifié). In fine, la rémunération du
capital (ou du travail qualifié) sera poussée à la hausse
alors que celle du travail (non qualifié) le sera à la baisse.
Ainsi, selon la théorie, les pays industrialisés devraient faire
face à un accroissement des inégalités alors que l'inverse
devrait s'appliquer aux pays en développement PED). Il est vrai que les
travailleurs non qualifiés des pays développés sont
souvent montrés comme étant les victimes, ou encore les
laissés pour compte de la mondialisation, souffrant d'une plus grande
compétitivité des PED. En revanche, la réalité
empirique concernant l'évolution des inégalités a tendance
à infirmer le modèle, dans les pays développés
d'une part et les pays en voie de développement d'autre part.
Un autre modèle semble plus adéquatement
refléter cette réalité. Le modèle des facteurs
spécifiques d'Eaton (1987) présente une économie
produisant deux biens, dotés de deux facteurs immobiles étant le
capital et la terre et un facteur mobile, le travail. Si un pays est
confronté à une hausse du prix d'un bien, alors la
rémunération du facteur spécifique pour laquelle ce
même bien est intensivement doté, va s'accroître alors que
celle de l'autre facteur spécifique va diminuer. L'effet sur le facteur
mobile est quant à lui plus ambigu. Il baisse pour le bien dont le prix
a augmenté mais diminue pour l'autre bien. L'explication repose sur le
fait que suite à une hausse de prix, la main d'oeuvre s'est
orientée vers la production du bien qui a connu cette hausse et va
à contrario se raréfier dans la production de l'autre bien. Par
conséquent, le revenu marginal du travail baisse là où il
est plus abondant et augmente là où il se trouve alors en moindre
quantité.
Le modèle définit le revenu d'un agent
privé, d'une part de son salaire (identique pour tous) et d'autre part
de sa richesse (valeur de ses actifs, différents entre les individus). A
court terme, si l'évolution de la part du salaire après
l'ouverture au commerce international relative au revenu augmente, les
inégalités au sein du pays diminuent. A long terme,
l'évolution des inégalités dépend de celle du taux
d'intérêt. Après le passage au libre échange, un
pays abondant en terre, et donc net exportateur du bien utilisant intensivement
ce facteur, va voir son stock de capital baisser. Cela va avoir pour
conséquence un
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accroissement du revenu marginal expliquant une baisse de la part
du salaire relative au revenu et une hausse du taux d'intérêt.
Finalement, le pays en ressort plus inégalitaire. Le cas analogue est
applicable au pays abondant en capital. Les pays d'Amérique latine sont
largement dotés en terre, ce qui pourrait expliquer la hausse de leurs
inégalités suite à leur ouverture. Ainsi les pays
fortement dotés en terre semblent devoir trouver un compromis entre
protection/égalité et libre-échange/efficacité.
Cependant la théorie prédit qui si le libre
échange est accompagné d'une mobilité des capitaux, il y
aura alors un déplacement des capitaux dans la zone où ils sont
les plus rentables, c'est-à-dire là où le taux
d'intérêt est plus élevé. Cet effet aura pour
conséquence la baisse du taux d'intérêt et in fine un
impact positif sur la répartition des richesses dans un pays fortement
doté en terre. L'effet inverse sera notable dans un pays intensif en
capital. (Fischer R D. (2000))
Par ailleurs, Wood (1997) propose un autre modèle
basé sur le modèle HOS avec plusieurs pays, biens et facteurs,
pour expliquer les différentes évolutions des
inégalités entre les pays d'Asie de l'Est et ceux
d'Amérique latine. Les pays d'Asie sont largement compétitifs
dans le secteur du travail non qualifié. Cinq des pays d'Asie à
bas revenus (Bangladesh, Chine, Inde, Indonésie, Pakistan),
représentants à eux seuls plus de la moitié de la
population mondiale en travail non qualifié, se sont
insérés dans le commerce international dans les années
1980. Selon l'auteur, ils ont probablement altéré l'avantage
comparatif des pays à revenu moyen (dont le ratio travail
qualifié sur non qualifié est au dessus de la moyenne mondiale
mais en dessous de celle des pays développés), en
déplaçant la demande mondiale qui leur était
adressée non plus vers des biens non qualifiés mais vers des
biens semi qualifiés. Ainsi les pays d'Amérique latine ont
dû importer des biens qualifiés des pays développés
et des biens non qualifiés des pays à faible revenu. C'est alors
que le net effet sur l'évolution des salaires est ambigu. Or, comme la
demande mondiale de travail non qualifié a relativement baissé au
profit de celle du travail semi qualifié en Amérique Latine,
l'écart des salaires a eu tendance à s'accroître dans les
années 1980.
De manière générale, il est difficile
d'évaluer le réel impact de l'ouverture commerciale sur la
distribution des revenus, tant au niveau théorique (si l'on
considère le nombre d'études théoriques visant à
expliquer cet effet de causalité), qu'au niveau empirique (où les
études dont les résultats diffèrent en fonction de
l'échantillon observé, les variables contrôlées
etc.). On voit ainsi que d'autres facteurs qui y sont liés entrent en
jeux.
L'évolution des inégalités suite à
l'introduction d'un pays au libre échange s'opère donc par le
biais de plusieurs canaux. Anderson E. (2005) en distingue cinq:
- ouverture et part des facteurs relatifs
- ouverture et inégalité des actifs
- ouverture et inégalité géographique
- ouverture et inégalité de sexes
- ouverture et redistribution
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Cependant, bien qu'il apparaisse fondamental de mener une
étude microéconomique visant à évaluer l`effet de
l`ouverture sur l`évolution du salaire relatif et ce, par le biais de
plusieurs créneaux (à titre d`exemple la proposition d`Anderson
présentée plus haut), il est nécessaire d'analyser
l'impact, statistiquement significatif ou non, du commerce extérieur sur
les inégalités, au niveau macroéconomique. Pour cela nous
nous intéresserons à l'indice de Gini et non plus au salaire
relatif.
Après s'être penché sur les modèles
théoriques, nous allons présenter certains des travaux
récents portant sur cette question. Pour cela, il sera
intéressant d'étudier l'évolution de l'indice de Gini dans
les PED.
Bilan de l'évolution des revenus et des
inégalités :
La première carte (Figure 1) représente le
coefficient de Gini qui, rappelons-le, permet de voir les
inégalités de distribution du revenu au sein des pays. Dans cette
carte le coefficient varie entre 0 et 100, où 0 désigne
l'égalité parfaite et 100 l'inégalité parfaite. Il
est intéressant de commencer par s'intéresser aux 26 pays que
nous avons choisi d'étudier et d'effectuer par la suite une comparaison
avec le reste du monde. Ainsi, en Amérique latine et notamment au
Brésil, au Chili, en Colombie, au Mexique... Pour l'ensemble des pays de
la zone que nous avons choisi d'étudier, le coefficient de Gini est
très élevé variant entre 44.2 et 62.3. Dans la
région Asie, le constat est tout autre. En effet on remarque que les
deux pays les plus peuplés de la planète, la Chine et l'Inde et
de grands pays tels que le Pakistan et la Thaïlande ont un coefficient de
Gini qui varie entre 30.06 et 34.66 reflétant des
inégalités moins importantes que des pays
développés tels que les Etats-Unis ou la France. En Asie du
sud-est, le constat est différent. Les Philippines et la Malaisie
possèdent des coefficients de Gini assez inégalitaires compris
entre 44.2 et 51.51. En Europe de l'Est, on va également faire un
constat différent des précédents. En effet, les pays tels
que la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie font partie des pays les
moins inégalitaires du monde loin devant la France, les Etats-Unis,
l'Australie ou encore l'Italie. Enfin, en Afrique du Nord, la Tunisie
possède un coefficient de Gini compris entre 39 et 44.2 alors que
l'Algérie se situe entre 34.66 et 39. On remarque que l'ensemble des
pays de cette région (bassin méditerranéen) excepté
l'Espagne oscille autour des mêmes valeurs.
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Les données UTIP (UTIP data: University of Texas
Inequality Project), permettent une révision sur l'évolution des
inégalités à l'échelle mondiale à la fois
entre les nations et au travers du temps. Cela reste impossible à
réaliser avec les ensembles de données de Deninger et Squire.
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Ainsi, dans la carte ci-dessus (figure2), on observe les
inégalités globales dans le monde d'après les
données de l'UTIP. On observe pour commencer qu'en Europe de l'Est les
données sont à peu de choses près semblables à
celles que nous avons vu précédemment, à savoir que les
inégalités sont très faibles. En Amérique du Sud,
le constat est différent et varie entre chaque pays. Le Mexique est le
moins inégalitaire de la région avec un coefficient variant entre
0.0178 et 0.03742. Ensuite, nous avons le Venezuela et l'Argentine avec un
coefficient variant entre 0.03742 et 0.05281 suivis du Chili et de la Colombie
avec un coefficient compris entre 0.05281 et 0.07439. Le Brésil, le
Panama, le Pérou, le Costa Rica, la Jamaïque, le Salvador et a
République Dominicaine sont les pays les plus inégalitaires de la
région avec un coefficient variant entre 0.07439 et 0.09872. Concernant
l'Asie, c'est la Chine « communiste » qui est le seul pays à
se démarquer en terme de faible inégalité. En effet son
coefficient est inférieur à 0 .0178. Suivent les Philippines avec
un coefficient variant entre 0.0178 et 0.03742 puis le Pakistan avec un
coefficient compris entre 0.03742 et 0.05281. Le reste des pays de la zone Asie
que nous étudions arrivent ensuite avec des coefficients fortement
inégalitaires compris entre 0.07439 et 0.09872. Enfin, en Afrique du
Nord, l'Algérie se démarque du reste du continent avec un
coefficient compris entre 0.0178 et 0.03742 alors que la Tunisie fait figure de
mauvais élève avec un coefficient variant entre 0.07439 et
0.09872.
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« The age of globalization... (1988-1994)
Now the largest increases in inequality in are the post-communist
states; an exception is in booming Southeast Asia, before 1997... »
La carte qui suit (FigureA2) a pour but de montrer la
façon dont les inégalités on évolué au sein
des pays, le but étant de voir si les pays sont parvenus ou non à
réduire leurs inégalités sur le temps. Le premier constat
que nous pouvons faire concerne les pays d'Europe de l'Est que nous
étudions et plus généralement
l'homogénéité de l'ex-bloc communiste dont ces derniers
faisaient partis. On observe que ces pays ont les plus mauvais résultats
à l'échelle de la planète avec des coefficients variant
entre 88.32 et 303.2. Concernant l'Asie, l'Indonésie se démarque
du reste avec un coefficient inférieur à -11.2 et donc une forte
réduction de ses inégalités. Viennent ensuite l'Inde, la
Chine et les Philippines avec une réduction moins importante des
inégalités (entre -0.1068 et 10.64). Le Pakistan arrive
après avec un coefficient compris entre 10.64 et 38.78, signe d'un
accroissement des inégalités. Pour finir, on retrouve la
Thailande et la Malaisie avec des coefficients compris entre 38.78 et 88.32. En
Amérique latine, le meilleur élève est le Chili avec le
coefficient le plus élevé inférieur à -11.2 suivi
de la Colombie avec un coefficient compris entre -11.2 et
11
-0.1068. Le Mexique et le Brésil, pour leur part, arrivent
après avec un coefficient compris entre 10.64 et 38.78. Le reste des
pays sud-américains que nous étudions sont à la traine
avec des coefficients compris entre 38.78 et 88.32 sauf le Pérou qui est
bon dernier avec un coefficient variant entre 88.32 et 303.2. Enfin, en Afrique
du Nord, les données sont absentes pour la Tunisie et l'Algérie
possède un coefficient compris entre -0.1068 et 10.64.
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