L'Afrique après sa colonisation qui s'est
soldée par l'indépendance de ses Etats, a connu beaucoup
d'événements, entre autres les différents mouvements qui
ont abouti à un rapprochement fondamental, voire à une
uniformisation du droit constitutionnel non seulement régional mais
aussi mondial. Ce rapprochement concerne aussi bien les institutions politiques
que la proclamation et la garantie des droits fondamentaux. Ce mouvement
unificateur a abouti à une forme de patrimoine constitutionnel non plus
simplement européen, mais mondial. Toutefois, cette uniformisation
s'accompagne quelquefois d'étranges paradoxes. Il en est ainsi du
paradoxe de la notion de constitution en Afrique.
C'est depuis le début des années 90
qu'émerge en Afrique le constitutionnalisme, à la faveur des
processus démocratiques et de l'adoption de nouvelles constitutions
très généreuses en matière de droits et de
libertés. Les Etats africains autrefois en proie à une cascade de
coups d'Etat ont fini par disqualifier ce procédé comme moyen
légitime d'accès au pouvoir. Même, l'Acte constitutif de
l'Union Africaine (article 4p) a adopté le principe du rejet des
gouvernements anticonstitutionnels, même si le cas des régimes
constitutionnels qui pervertissent les constitutions et les utilisent pour
tyranniser le peuple n'est pas en pratique réglé9 .
Cependant, seules les règles et la pratique de la
révision des constitutions, question certes fondamentale en droit
constitutionnel, mais pas unique, a semblé présenter un
intérêt pour les juristes tant africains
qu'occidentauxI0 . D'après Amougou, qu'en dehors de
l'actuelle hausse des prix des denrées alimentaires, l'Afrique connait
une autre inflation largement plus meurtrière à long terme en ce
sens qu'elle bloque l'émancipation politique et économique de ses
populationsII. Cette inflation de la révision constitutionnelle est
actuellement devenue monnaie courante, une hémorragie et même un
souffle de vie, dont elle constitue aussi l'unique offre politique des
dirigeants d'un continent qui reste pourtant l'incontestable lanterne rouge du
développement.
Les objectifs classiques de la révision
constitutionnelle en Afrique ont cédé la place à des
ambitions politiciennes des dirigeants africains. Cette révision est
sortie de
9 Centre pour la gouvernance démocratique du
Burkina-Faso (CGD), « Constitutionnalisme et révisions
constitutionnelles en Afrique de l'Ouest : le cas du Benin, du Burkina-Faso et
du Sénégal », http :// www .cgd .org,
(Consulté le samedi I8 décembre 20I0) .
I0 GONIDEC, P-F ., Les systèmes politiques,
LGDJ, Paris, I974, p . 86 .
II AMOUGOU, T ., « Afrique -- l'inflation de la
révision constitutionnelle : La nouvelle pathologie politique africaine
», http ://
www.camerounmonpays.over-blog.com,
(Consulté le mardi I4 décembre 20I0) .
5
6
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~
Cas de la République démocratique du
Congo"
son caractère utile et normal, elle est devenue
également un outil personnel de confiscation du pouvoir .I2
Ceci faisant état que lorsque les Etats africains avaient mimé le
constitutionnalisme de leurs colonisateurs, ils croyaient au bonheur politique
ou à un luxe. Pourtant, c'était une épée de
Damoclès suspendue sur la tête des dirigeants qui devaient tenir
bon à son respect. Malheureusement, il s'est avéré que la
culture politique occidentale était tout à fait différente
de celle de l'Afrique. Le constitutionnalisme ne pouvait pas être
respecté puisque certains de ses critères faisaient
défaut.
A l'origine, le recours à des pratiques
traditionnelles de pouvoir africain, lequel pouvoir était «
héréditaire, absolu »I3 . En effet, en Afrique,
le chef traditionnel devait demeurer le plus longtemps au pouvoir sans
restriction aucune. Or, avec ce mimétisme du constitutionnalisme, les
dirigeants africains se voyaient limiter dans leurs prérogatives ; leurs
compétences étaient limitées conformément à
la théorie de la séparation des pouvoirs. Comme il y aurait
l'absence de la culture constitutionnelle et ou du constitutionnalisme, ces
chefs d'Etats devenus chefs coutumiers au sommet de l'Etat se sont
illustrés dans la désacralisation des constitutions
africaines.
Les chefs d'Etats africains ne se demandent pas : « que
devons-nous faire pour nos populations et le développement de nos pays ?
» ; ils se disent plutôt : « nous devons modifier la
constitution pour rester longtemps au pouvoir » .I4
En effet, cette attitude révisionniste des
constitutions a gangréné la situation politique du continent. La
tendance générale est en faveur des modifications
constitutionnelles. Ces révisions portent généralement sur
les dispositions « jugées essentielles », en l'occurrence le
nombre des mandats présidentiels et ou les limitations concernant leur
renouvellement et même les modes de scrutin, l'indépendance de la
magistrature, etc. Cette tendance « révisionniste » des textes
constitutionnels a été qualifiée fort justement de «
délinquance normative »I5, en raison de ce qu'elle
participe à la négation absolue des droits essentiels à la
démocratie.
Ce noble mécanisme d'adaptation, de
créativité et de régénération de la
constitution suscite aujourd'hui un tôlé sur la scène
politique africaine. Ici, la constitution
I2 AMOUGOU, T ., Op. cit.
I3 KABUYA LUMANA, C ., Histoire du Congo. Les quatre
premiers présidents, éd . SECCO-CEDI, Kinshasa, 2002, p .9
.
I4 AMOUGOU, T ., Membres du code, chercheur, coordonateur
de territoire, développement et mondialisation, éd .
Syllepse, Paris, 2008, p . I97 .
I5MAMADOU KONATE, « Les dirigeants africains
et les constitutions : Tous des « violeurs », http ://
www.altervive.com/cameroun/po/rev.htm,
(Consulté mardi le I4 décembre 20I0) .
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~
Cas de la République démocratique du
Congo"
est au coeur des débats et la révision de la
loi fondamentale est sur toutes les lèvresI6 . Ces
révisions sont porteuses des crises politiques, notamment la crise de la
démocratie, la crise de la justice constitutionnelle, celle de
légitimité de la norme constitutionnelleI7, voire les
révolutions populaires en Afrique, lesquelles révolutions ont
comme cause lointaine des révisions constitutionnelles. Ces
revendications populaires se justifient par le principe du : « droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes », qui évoque une haute
idée de la liberté d'un groupe et de la maitrise de son destin au
regard de la Charte de l'ONU en son article Ier, paragraphe 2 .I8
Force est de constater que la révision
constitutionnelle vise toujours à adapter la constitution à
l'évolution des moeurs et des aspirations politiques et aussi à
permettre aux institutions politiques d'être stables. Elle se fait
toujours dans le cadre de l'intérêt supérieur de la nation
et non pas pour consolider les pouvoirs des dirigeants. Mais malheureusement,
les chefs d'Etats africains se cachent derrière la révision pour
réaliser leur calcul politicien, et atteindre ainsi des objectifs
personnels.
Or, la thèse ou la théorie de la
stabilité constitutionnelle ne veut pas dire que les dispositions
constitutionnelles sont immuables ; ces dispositions seraient immuables si
elles devaient rester identiques. Sur ce, Jean GICQUEL pense que les
constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil. Elles
subissent l'usure du temps, comme toutes les choses humaines. Vivre, n'est-ce
pas s'adapter ! I9
D'où, les modifications ou les révisions
constitutionnelles doivent se faire dans le but d'adapter les dispositions
constitutionnelles à l'évolution de la vie humaine dans la
société et non pour des intérêts
égoïstes ou des calculs politiciens des dirigeants. La
révision ne doit pas consister à la destruction ou à la
désacralisation de la constitution.
Malheureusement, ce mécanisme constitutionnel tel
qu'employé fait inéluctablement que les constitutions africaines
deviennent, comme les qualifie le professeur Jacques DJOLI, des «
constitutions de façade, une coquille vide, un panier à crabe
» .20
I6 CHERIF OUAZANI, « La constitution au coeur des
débats en Afrique », Jeune-Afrique
l'inteligent, 48ème année,
n°2466, du I3 au I9 avril 2008, pp . 62-63 .
I7 ASSANE MBAYE, Op. cit.
I8 Charte des Nations Unies,
http://www .wikipedia
.chartenationsunies .org, (Consulté le mardi I4
décembre 20I0) .
I9 GICQUEL, J ., Droit constitutionnel et institutions
politiques, 20ème éd ., Montchrestien, Paris,
2005, p . I77 .
20 DJOLI ESENG'EKELI, J ., Droit constitutionnel
congolais, Notes de cours polycopiées,
2ème Graduat, Faculté de Droit, UNIKIN,
2007-2008, p . 25 .
7
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~
Cas de la République démocratique du
Congo"
La constitution en Afrique n'est qu'une façade
derrière laquelle se cache un régime politique peu soucieux du
constitutionnalisme entant que technique de limitation du pouvoir. Et pourtant,
le constitutionnalisme, hier chanté, loué et même
canonisé par les dirigeants africains comme la voie royale pour leur
développement économique, politique et culturel est en
procès, accusé d'être responsable des difficultés
que rencontrent les Etats, notamment l'instabilité gouvernementale et
l'inefficacité du pouvoir politique. On l'accuse aussi d'être un
héritage artificiel de la métropole complètement
déconnecté des réalités africaines et d'être
le ferment de particularisme qui cristallise les oppositions d'ordre ethnique,
religieux ou culturel.2I
Les Etats ne se ressemblent pas mais les expériences
des uns peuvent servir de modèle ou d'exemple pour les autres. Ainsi, la
RDC a connu plusieurs textes fondamentaux qui ont régi le pays depuis
son indépendance jusqu'à ce jour, avec la constitution du I8
février 2006 telle que révisée.
Pour rappel, la deuxième République a connu une
histoire particulièrement mouvementée des révisions
constitutionnelles, parce que la seule, la constitution du 24 juin I967 a connu
un record de modifications, soit dix-sept fois au total. Ces incessantes
révisions ont eu un impact négatif sur le régime politique
qui a fatalement dégénéré en une dictature de
triste mémoire.
Cependant, la philosophie de la refondation de l'Etat
contenue dans le texte fondamental de 2006 voulait que celui-ci soit
préservé des tripatouillages et des grenouillages22,
comme l'a été la constitution de la deuxième
république. Malheureusement, le vieux démon de cette
dernière république et celui de certains Etats africains semblent
toujours hanter la classe politique congolaise. Voilà qu'il y a de cela
quatre ans que la constitution de 2006 vient d'être
éventrée.
Cette révision à quelques mois des scrutins
constituerait un test crucial sur le fondement moral de la démocratie au
Congo .23 Ne serait-ce pas une manière d'entraver la
démocratie dans ce genre de révision réputée
d'urgence selon les dirigeants actuels du régime, ladite révision
est sujette d'une frustration au sein de la classe politique congolaise.
2I BENGALY, A ., « Droit constitutionnel », http
:// www .efccnigeria .org, (Consulté mardi le I4 décembre
20I0) .
22 DJOLI ESENG'EKELI, J ., cité par PUNGA KUMAKINGA, P
., Constitutions et constitutionnalisme en Afrique. Cas de la RDC,
Mémoire de Licence, Faculté de Droit, Université de
Kinshasa, 2005, p . 8 .
23 DIKEBELAYI, J .M ., « Tentative de révision
constitutionnelle à quelques mois des scrutins : un test crucial sur le
fondement moral de la démocratie », http :// www .congolex,
(Consulté le dimanche, 30 janvier 20II) .
8
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~
Cas de la République démocratique du
Congo"
Face à cette situation constitutionnelle que
traverse les Etats africains en général et la RDC en particulier,
il nous parait loisible, pour dégager quelques pistes de solution, de
susciter des questions pouvant élucider ou orienter notre
démarche scientifique.
De ce qui précède, on peut logiquement
se demander quel impact les révisions constitutionnelles ont-elles sur
la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en Afrique et
plus particulièrement en RDC ? Ces révisions concourent-elles au
développement et au bien-être des populations du continent ?
Sont-elles un facteur de préservation de la paix ou simplement un
facteur provocateur des tensions dans les Etats ? A qui profitent vraiment les
révisions constitutionnelles en Afrique ?24 Enfin, quelles
sont les motivations qui conduisent aux propositions de révisions
constitutionnelles ?
Telles sont les questions principales auxquelles
cette recherche s'évertuera à répondre.