La grossesse n'est pas seulement un état physiologique
particulier, elle représente aussi sur le plan psychique une phase de
remaniement des équilibres acquis comportant à la fois le risque
de décompensation psychologique et la chance d'une réorganisation
enrichissante de la personnalité (FAURE, J. 2005). Cette étape du
développement féminin est aussi appelée en psychologie :
crise de la "maternalité" (concept développé par RACAMIER,
P.C.). Crise à la fois corporelle, relationnelle, sociale et psychique
qui entraîne une vulnérabilité particulière, une
femme enceinte est fragilisée et très réactive. Cette
période émotionnelle intense rend la femme
particulièrement réceptive. Comme l'adolescence, la
"maternalité" représente une crise d'identité et constitue
une crise de la personnalité. En effet cet auteur a distingué les
différents aspects de la crise qui sont entre autres :
- Transformation corporelle et hormonale,
changement de statut social, importantes fluctuations pulsionnelles,
réactivation et remaniement des conflits infantiles - conflits
précoces oraux et conflits oedipiens, dissolution et reconstruction des
identifications précoces, remise en cause des systèmes
défensifs antérieurement organisés,
- Transformation de l'image du corps
vécu,
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- Transformation du sentiment
d'identité personnelle, l'identification mère/enfant est double :
l'enfant est vécu à la fois comme une partie de la mère et
en tant qu'entité autonome.
Cette crise de la maternalité débute pendant la
grossesse, se poursuit et reprend avec et après la naissance (et au
cours des autres grossesses). La fin de grossesse, le moment de l'accouchement
et les jours suivants correspondent à une période de mutation, au
cours de laquelle la femme est particulièrement réactive et
vulnérable.
Ainsi, pendant la grossesse, la femme est parachutée
au coeur de tous ces conflits, parce qu'en elle résonne toute son
enfance. Certaines femmes enceintes semblent présenter les traits
cliniques d'une structure psychotique, ces traits qui ne s'accompagnent pas des
symptômes correspondants varient rapidement et disparaissent
spontanément. (FAURE, J., Ibid.)
En outre, la question du désir d'enfant peut
être vécue comme un paradoxe : la femme drépanocytaire qui
se sent inconsciemment menacée de mort, aspire à donner la vie ;
donc le désir d'enfant dans ce contexte peut être entendu comme un
moyen d'éviter une destruction et de lutter contre l'angoisse de
mort.
Selon le Dr ALOVOR, G. (1986) « certaines femmes ont en
mémoire ''l'interdiction de la grossesse» ;
'c'est-à-dire la contre-indication médicale ou la
réticence vécue ou entendue comme interdiction de la part de tel
médecin, de tel gynécologue qui déconseillent fortement la
grossesse ; ils connaissent peut-être mal la drépanocytose et
l'existence d'un suivi de grossesse spécifique. En début de
grossesse, la proposition médicale d'une interruption de grossesse leur
a souvent été faite, en évoquant un risque vital ou pour
la femme ou pour le foetus ; on sait avec quelle acuité la femme
enceinte peut entendre tout ce qui est dit sur sa grossesse ».
En effet, le désir d'enfant peut être
perçu comme l'expression d'un défi pour contredire le discours
médical, pour exprimer une révolte, un refus face à toutes
les limitations que la maladie (et par extension la société
à travers les médecins) a déjà imposées, une
manière de s'opposer en particulier chez les femmes
drépanocytaires jeunes. Il faut noter au passage qu'il est souvent
conseillé aux femmes drépanocytaires
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qui souhaitent avoir des enfants, d'être enceintes entre
20-25 ans plutôt qu'entre 30-35 ans. (ALAVOR, G. ; ibid.).
Par conséquent, lorsqu'il y a désir d'enfant,
la question du risque de transmission de la maladie est, pour la femme
drépanocytaire, inévitablement évoquée du fait du
caractère héréditaire de la drépanocytose. Il est
alors nécessaire que le conjoint fasse un dépistage à
travers l'examen sanguin, l'électrophorèse de
l'hémoglobine. A ce niveau plusieurs cas de figure sont avancés.
Cette question de la transmission qui se pose parfois en début de
grossesse, peut ne pas être résolue car il arrive que le conjoint,
du fait d'une mauvaise compréhension de la maladie et de ses
modalités de transmission, (ou pour d'autres raisons plus obscures)
refuse l'examen sanguin. Enfin, l'attitude des femmes drépanocytaires
face à la question du risque génétique de la transmission
dépend principalement de leur culture d'origine, de leur appartenance
religieuse, mais il faut aussi se rappeler la variabilité de la maladie
qui peut ne pas être invalidante voire même asymptomatique.