CHAPITRE I LES ETAPES DE LA CREATION DE LA SODERIZ.
L'avènement de la Soderiz est intervenu après
plusieurs étapes qui ont favorisé la mise en place de
l'institution rizicole. En effet, depuis la période coloniale, les bases
du développement de la culture de riz furent jetées. D'abord, le
grand intérêt accordé au riz par les colons, montre bien
l'importance de cette denrée alimentaire aux yeux du colonisateur.
Ensuite, après la lutte pour l'indépendance, les autorités
ivoiriennes ont cherché à développer la riziculture au
pays. Aussi, un accent particulier fut-il mis sur la culture du riz lors du
plan décennal de 1961-1970.
I- LA POLITIQUE RIZICOLE AVANT 1970
A partir de 1893, avec l'installation coloniale, une nouvelle
vision est donnée à la riziculture. Les autorités
coloniales ont intensifié leurs actions en faveur de la riziculture
jusqu'en 1960. A la veille de l'indépendance, l'Etat ivoirien poursuit
la politique rizicole antérieure en créant la
Société d'Assistance Technique et pour la Motorisation en
Côte d'Ivoire (SATMACI) en 1963.
1. La question du riz pendant la colonisation
Dès le début de la colonisation française
en Côte d'Ivoire, la culture du riz occupait une place marginale dans
l'agriculture. Très tôt, les principes de l'autonomie
financière de chaque territoire et du financement maximal des
coûts de la colonisation par les colonies elles mêmes
orientèrent l'action administrative vers un développement
planifié et une intervention sur les structures de production et de
commercialisation, de manière à limiter les importations de biens
de subsistance par un développement de la production locale. Une
politique d'autosuffisance alimentaire a été donc de ce fait
très rapidement associée à l'action coloniale. Ainsi, pour
prémunir en générale les colonies d'Afrique occidentale
Française et en particulier la Côte d'Ivoire des
27
dangers de la seule exploitation des produits de caoutchouc,
cola et l'acajou, l'administration coloniale s'est préoccupée de
développer les cultures nouvelles notamment la riziculture. Cet
engagement visait à mettre le pays à l'abri d'éventuelle
crise économique. C'est pourquoi s'adressant aux administrateurs,
commandants des cercles, le sous directeur à l'agriculture Bervas disait
« Je crois utile aujourd'hui d'attirer spécialement votre
attention sur le développement de la culture du riz
»16. A cette période, la riziculture était
pour ainsi dire localisée à la région ouest de la colonie
et sur le littoral dans la région de Grand Lahou. Le baoulé nord
en possédait également quelques rizières, mais
éprouvait les plus grandes difficultés à mieux pratiquer
la culture du riz. La production ne suffisait pas à la consommation
locale. La riziculture gagnait progressivement la forêt à partir
des deux foyers du sud et du nord, malgré le refus de certains peuples
à la pratiquer. Ce refus était pour les populations de la colonie
un moyen de marquer leur opposition à l'action coloniale.
La riziculture fut la préoccupation des
autorités coloniales dès 1908. Avec les nombreux essais
effectués dans le jardin botanique de Bingerville, l'administration
coloniale a réussi à hâter la culture du riz dans le pays
notamment dans les cercles du baoulé sud et du baoulé
nord17.
De 1908 à 1912, il s'agissait pour le colonat
d'intensifier la culture du riz et d'augmenter les surfaces cultivées
tout en tenant compte de la qualité et des efforts pour imposer la
culture du riz18. Mais c'est aussi la période des cultures
obligatoires de riz et des réquisitions de paddy. Selon Yayat
d'Alepé Hubert, « avec la diffusion rapide de la culture du
riz, les autorités décidèrent d'en faire une
céréale d'exportation »19 . L'administration
coloniale n'a donc pas hésité à distribuer gratuitement du
paddy pour les semences afin d'accélérer la diffusion
16Archive Nationale de Côte d'Ivoire (ANCI) :
1912, 1RR80, circulaire n°81 à messieurs les administrateurs
commandant des cercles au sujet de la culture du riz irrigué
17 ANCI : 1RR 76, rapport agricole et
économique du troisième trimestre 1905
18 J, P CHAUVEAU : 1985, « l'avenir d'une
illusion, histoire de la production et des politiques vivrières en
Côte d'Ivoire », Etudes rurales Orstom, Paris, n°
99 - 100, pp77 - 123
19 Hubert Yayat D'ALEPE, op. cit p 303
28
et l'adoption de la culture du riz. A cet effet le lieutenant
gouverneur Angoulvant a encouragé par une note circulaire en date du 29
février 1912, le développement de la riziculture notamment celle
du riz irriguée20. Cette note, adressée aux
administrateurs des cercles et des subdivisions recommandait l'installation des
rizières dans les dépressions humides a proximité des
villages. Mais si des progrès sont constatés dans
l'étendue consacrée à la culture du riz ; l'on doit noter
les conditions défectueuses dans lesquelles les peuples ivoiriens
pratiquaient cette culture. Pour Bervas sous inspecteur chargé de
l'agriculture de la colonie de côte d'Ivoire, «
l'indigène ne cultive le riz que sous la forme sèche, dite de
montagne ou non irriguée encore moins inondée
»21. Selon le colonat, ce type de culture ne permettait
pas un progrès rapide. Les rendements étaient faibles. Ils
pouvaient être nuls si les pluies sont insuffisantes car soumis seulement
aux conditions climatiques.
En plus de ces conditions défavorables, la culture
sèche présentait plusieurs inconvénients tels que, le
choix et l'entretien de la zone de production qui rendait difficile le travail
de la culture sèche de riz. En 1911, un essai important concluait que la
culture du riz irriguée est parfaitement réalisable dans la
colonie de Côte d'Ivoire et que son rendement était
supérieur à celui de la culture sèche. Sur 1 hectare de
riz cultivé on avait 2 tonnes dans les rizières irriguées
contre 1,074 tonne en culture sèche22. Cet essai a
été réalisé au poste de Diakpo (Boca N'da) par le
lieutenant Pravaz qui avait fait un long séjour en Indochine où
il avait acquis une connaissance pratique de la culture du riz
irrigué23. Les populations locales témoins de cet
essai ont reconnu l'énorme supériorité de ce
système cultural. A cet effet, les rizières, les
dépressions humides, les sols à consistance forte chargé
de matières organique étaient mis en valeur pour la riziculture
irriguée. Les terrains choisis étaient délimités en
compartiment
20 Journal Officiel de Côte d'Ivoire (JOCI) :
1912, Du 29 février 1912, au sujet de la culture irriguée du
riz.
21 ANCI : 1912, 1RR80, circulaire n°81 à
messieurs les administrateurs commandant des cercles au sujet de la culture du
riz irrigué.
22 H, Y, D'ALEPE, op. Cit, p 305
23 Chef de poste de Diapko (Boca N' da) en 1912
29
destiné à retenir l'eau. Ensuite, des digues
étaient formées, entassées jusqu'à 0,40 à
0,50 mètres de hauteur et sur une largeur un peu plus grande.
Par ailleurs, l'installation de la rizerie de la Compagnie
Générale de l'Afrique Française à Bouaké
pour la transformation du paddy, constituait le couronnement de la campagne de
développement de la production de riz en 1913. Elle marque aussi
l'ouverture d'une nouvelle ère caractérisée par la
volonté de réduire les importations de riz24. Le
fonctionnement de la rizerie permettait de centraliser le décorticage du
paddy de la colonie et facilitait le ravitaillement des services et corps qui
relevaient de l'administration.
Aussi avec l'intensification de la culture du riz, la
métropole fut-elle servie en cette denrée. Comme l'indique le
tableau n°1, plusieurs tonnes de riz produit en Côte d'Ivoire ont pu
être rassemblées puis exportées vers la France par le
Ministère du ravitaillement. Près de 600 tonnes au total de riz
fut exportées vers la France entre 1916 et 1918. Cette action rentrait
dans le cadre du soutien apporté à la métropole qui
était en guerre.
Tableau n°1 : paddy exporté par la Côte
d'Ivoire vers la France 1916 - 1918
Années
|
1916
|
1917
|
1918
|
Quantité en tonnes
|
8
|
540
|
53
|
Source : Yayat Hubert d'ALEPE, op. cit p 301
En outre, en 1922, dans le cade du plan Sarraut25
de mise en valeur méthodique et l'exploitation rationnelle des sols et
sous sols coloniaux, un accent particulier a été mis sur
l'irrigation26. Ce programme de portée économique
préconisa la multiplication des petits barrages, favorisant ainsi
24 H, Y, D'ALEPE, op. Cit, p 297
25 Albert SARRAUT a été ancien
Gouverneur Général de l'Indochine de 1911 à 1914 et de
1915 à 1919. En 1920 il est nommé ministre des colonies. Il,
rédigea et soumit à l'approbation du Parlement Français un
projet de loi qui fixait un programme général de mise en valeur
des colonies.
26 Semi Bi ZAN : 1973, La politique coloniale
des travaux publics en Côte d'Ivoire 1900- 1940, Thèse de
doctorat de 3e cycle, Université Paris VII, p 39
30
l'essor de la production rizicole. Le poste de Yamoussoukro
dans le Baoulé permet de se faire une idée des résultats
de ce programme. Un an après, les marigots du poste furent
défrichés, dessouchés et 800 hectares furent
ensemencés en rizières irriguée dont l'on espérait
récolter 1800 à 2000 tonnes de paddy27. Au cours de
l'exécution du programme du plan Sarraut, l'administration coloniale a
même tenté d'améliorer les techniques de production de
riz.
Plus de 130 tonnes furent produites lors de la campagne
192328. Cette production permettait de ravitailler en vivre les
manoeuvres des chantiers publics et privés tel que le chantier de la
voie ferrée. A cette période, l'on note la tentative de
transformation de vastes régions et les abords de la voie ferrée
en grenier pour le ravitaillement de ces chantiers.
En outre, le riz fournissait les revenus nécessaires
pour payer l'impôt de capitation et faire des achats des produits
manufacturés pour les indigènes29. Malgré le
développement et la prépondérance de la riziculture
jusqu'en 1944, la colonie fut plongé dans une situation de
déficit alimentaire chronique due à une sècheresse qui
sévissait dans presque toutes les régions productrices. Ce
déficit était aussi le fait de l'exportation du riz produit dans
la colonie pour ravitailler les soldats. Durant toute cette période de
diffusion du riz les autorités coloniales continuèrent d'importer
le riz de l'Indochine.
Comme l'indique le tableau n°2 Qp 28), de 1906 à
1920, le total de riz importé furent de 28 068 tonnes pour une
dépense de 10 713 512 de francs. De 1906 à 1910, la
quantité de riz importé oscille entre 2000 et 2800 tonnes. Cela
s'explique par le fait que le riz n'était pas encore entré dans
les habitudes
27 JOCI : 1924, Rapport de tournée dans le
cercle du Baoulé sud du secrétaire du Gouverneur, du 14 janvier
1924, p 5
28 Archive Nationale du Sénégal et
d'Outre Mer (ANSOM) :1925, Rapport n°46 de l'inspecteur Kair de la
31/03/1925 affaire politique carton n° 3047, cité par Hubert Yayat
D'ALEPE, op.cit p390
29 J, L, CHALEARD : 1996, Temps des
villes, temps des vivres l'essor du vivrier marchand en Côte
d'Ivoire, Paris, Karthala, p 89
31
alimentaires des populations. De 1911 à 1914,
l'importation de riz atteint un niveau élevé dont la moyenne est
de 3000 tonnes par an. C'est le résultat de l'intensification de la
riziculture. Pendant cette période la colonie est en chantier, le riz
est consommé aussi bien par les colons que par les ouvriers sur les
chantiers. Entre 1919 et 1920, les importations de riz varient entre 400 et
2000 tonnes, d'où la volonté de faire face aux importations.
Tableau n°2 : Importation de riz par la Côte
d'Ivoire de 1906-192030
Années
|
Quantité en tonnes
|
Valeur en francs
|
1906
|
1 678
|
_
|
1907
|
1 560
|
_
|
1908
|
2 564
|
517 881
|
1909
|
2 186
|
513 597
|
1910
|
2 749
|
669 299
|
1911
|
4 377
|
1 102 913
|
1912
|
3 852
|
1 111 049
|
1913
|
3 814
|
1 222 254
|
1914
|
1996
|
576 519
|
1919
|
471
|
_
|
1920
|
2208
|
_
|
Sources : Archive Nationale de Côte d'Ivoire (ANCI),
1912, 1RR80.
Ministère de l'agriculture et des eaux et forêts,
annuaire rétrospectif de statistiques agricoles et forestières
1900 - 1983, tome 3, p 74
A partir de 1954, lors du deuxième plan quadriennal,
l'administration coloniale s'est fixé comme objectif la suppression des
importations de riz. Ce même objectif fut réaffirmé au
cours du troisième plan quadriennal 1958 -1962, car les importations
avaient dépassé plus de 10 000 tonnes par an en 1953. En outre,
pour faire face à ce déficit, un important investissement est
fait par le
30 Le tableau n°2 a été
modifié car les archives nationales de Côte d'Ivoire(ANCI), 1912,
1RR80 ne nous fournissent pas les valeurs en francs des importations.
32
Fond d'Investissement pour le Développement Economique
et Social de l'Outre Mer (FIDES). Plus de 41% des crédits du FIDES
étaient consacrés au développement de la riziculture soit
près de 750 millions de francs31. Avec ce crédit les
producteurs et commerçants de riz se sont organisés en
coopératives. A cette même occasion, une caisse de
péréquation fut créée en 1955. Elle fut
chargée de rétablir l'équilibre entre le prix du riz local
et celui du riz importé32.
Dans l'ensemble, l'administration coloniale a donné une
place importante au riz, particulièrement à la riziculture
irriguée. Au lendemain de l'indépendance, le bilan de la
production du riz parait moins catastrophique. Les nouvelles autorités
ivoiriennes décidèrent alors de s'en inspirer et de poursuivre la
politique rizicole antérieure, cette fois ci avec la mise en place de
structures spécialisées d'encadrement.
Durant la première guerre mondiale, la colonie de
Côte d'Ivoire a servie de grenier à la France. Elle a
ravitaillé la métropole avec des centaines de tonnes de paddy
dans le but de contribuer à l'effort de guerre.
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