2. La dissolution de l'institution
La Soderiz face à l'étranglement
financière, et à la mauvaise politique de gestion était
dans une situation de crise. En 1977, tout comme la Soderiz, certaines
sociétés d'Etat étaient en crise. Ainsi des critiques
s'élevèrent partout pour dénoncer la mauvaise politique
des sociétés de développement notamment celle de la
Soderiz.
Par ailleurs, la Banque Mondiale avait décriée
l'augmentation des prix du paddy à la production en 1974. Elle
considérait les politiques de prix et d'usinage comme inopportuns et
malsains. Elle a donc incité les bailleurs de fonds à ne plus
intervenir dans le secteur riz. En 1975, elle s'est retirée du projet de
développement de la riziculture en zone forestière, constituant
ainsi un tournant indéniable dans l'intérêt
manifesté jusqu'alors par les bailleurs de fonds. Elle
préconisait un abaissement de ces prix pour les mettre en harmonie avec
les cours du riz importé, ce qui aurait entre autres permis de
rééquilibrer les comptes de la
société229.
Le 7 octobre 1977, par décret présidentiel, le
président de la République Félix Houphouët Boigny
décide de dissoudre la Soderiz230. Cette dissolution survient
dans un contexte où l'Etat Ivoirien procède à un vaste
mouvement de réforme des sociétés de développement.
D'autres organismes ont été reformés ou supprimés.
C'est le cas de la SOCATCI (Société des Caoutchoucs de Côte
d'Ivoire). Quelques temps avant, la dissolution de la Soderiz, le ministre de
l'Agriculture Abdoulaye Sawadogo fut évincé lors du remaniement
ministériel du 20 juillet 1977 et remplacé par Denis Bra Kanon,
ancien directeur de la Satmaci231. Ahmed Timité, ancien cadre
de la Soderiz souligne que : « Dans sa première communication
en conseil de Ministre Monsieur Bra Kanon a dit que
229 S, J, NIEMBA, op.cit p132
230 JOCI 1977 P1633
231 Denis Bra Kanon a été ancien directeur de la
Satmaci de 1963 à 1977, puis Ministre de l'agriculture de 1977 à
1989.
la Soderiz était mal gérée. Il n'a
jamais voulu qu'on lui retire l'opération riz de la Satmaci. Il en a
profité pour se venger, en dissolvant la Soderiz
»232.
La dissolution de la Soderiz constitue une étape
décisive dans la politique vivrière en particulier et la
politique de développement de l'agriculture de la Côte d'Ivoire en
général. Elle marque l'échec d'une tentative
d'autosuffisance rizicole. Par la suite, les actions de la
société ont été redistribuées entre trois
structures d'encadrements que sont : la Satmaci, la Sodepalm, la CIDT.
Les difficultés de fonctionnements constatées au
niveau de la Soderiz, tant au niveau industriel qu'au niveau de la
commercialisation ont été préjudiciables à la vie
de l'entreprise.
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232 A, TIMITE, directeur chargé de la production à
la Soderiz 1970- 1977, entretien réalisé le 13 Décembre
2011 à Abidjan.
CONCLUSION GENERALE
135
136
En 1970, quand les autorités ivoiriennes mettaient en
place la Soderiz, la production des cultures vivrières
particulièrement celle du riz était déficitaire. Pendant
ce temps on assistait à une évolution démographique et
à une croissance urbaine auxquelles l'Etat devrait faire face. Ainsi, le
président Félix Houphouët Boigny pour combler ces
déficits alimentaires, décida de créer une entreprise
rizicole. Cette mise en place de la Soderiz est l'aboutissement d'un long
processus entamé depuis la période coloniale. Faut-il le savoir,
le développement de la riziculture a été la
préoccupation de l'administration coloniale depuis 1908, avec
l'intensification de la culture dans les différents cercles. Elle a
engagé des actions pour la diffusion de cette culture dans la colonie de
Côte d'Ivoire.
Après l'indépendance, le président
Félix Houphouët Boigny, à travers la politique agricole
décide de poursuivre l'action coloniale de la culture du riz. Ces
actions se sont traduites par la création d'une section ayant en charge
le développement de la culture du riz, au sein de la Satmaci en 1963.
Poursuivant l'objectif de l'auto suffisance en riz, le gouvernement jugeait
primordiale la naissance d'une société chargée
spécialement du développement de la riziculture.
Dès sa création en 1970, elle fut
organisée en se fixant des objectifs bien précis qu'elle devait
atteindre. Cela marquait ainsi les débuts de son intervention dans le
paysage rizicole. L'entreprise rizicole au début de son intervention,
s'est engagée à mettre en valeur les bas-fonds, et à
participer au développement, à la modernisation de la culture du
riz, à travers l'encadrement technique des paysans. Aussi a-t-elle
incité les paysans à former des groupements de
coopératives, de sorte à rendre son action plus performante. Avec
ce vaste programme de modernisation de la culture du riz, les bas-fonds
devenaient des
137
zones de prédilection pour la Soderiz. Ils ont servi
à l'intensification de la riziculture irriguée, nouvelle culture
vulgarisée par l'institution.
A partir de 1972, grâce des initiatives ambitieuses, la
Soderiz décida d'instaurer une nouvelle politique de production
basée essentiellement sur le contrat de culture. Le contrat consistait
à rassurer les paysans, quant à l'écoulement de leur
production par la société. Aussi avec ce contrat, les paysans
étaient fournis en intrant, permettant une meilleure production de
paddy. Ce qui favorisa d'ailleurs l'augmentation de la production du paddy
à 406 000 tonnes en 1974.
Cette performance réalisée par la Soderiz
était due au fait qu'elle avait opté pour le développement
de la riziculture irriguée. Ce type de culture était jugé
productif par les autorités étatiques car permettant
l'évolution rapide de la production rizicole du pays. La Soderiz pour
ravitailler les ivoiriens en riz blanchi de qualité ; a installé
des rizeries dans les grandes régions où était
exécuté le programme rizicole. L'usinage du paddy par la Soderiz
était perçu comme une innovation et marquait ainsi
l'industrialisation véritable de l'entreprise. Cette activité
industrielle était organisée autour d'un système de
collecte bien défini qui visait à collecter le maximum de paddy
afin d'alimenter les rizeries.
La société proposait des prix d'achat en
fonction de la qualité du paddy fourni et aussi selon le lieu de
livraison du produit. Le prix du paddy livré à l'usine
était majoré de 10 francs. Le bonus de 10 francs servait aux
paysans d'assurer le transport. Le système de collecte mis en place par
la Soderiz a favorisé une augmentation de la quantité du paddy,
qui est passée de 160 000 tonnes en 1971 à 300 000 tonnes en
1974.
La transformation du paddy se faisait à travers les
unités industrielles installées par la Soderiz. Celles-ci avaient
une capacité d'usinage variant entre 1 et 4 tonnes par heure.
L'entreprise rizicole produisait un riz de qualité qui était
138
commercialisé sur les marchés du pays. La
commercialisation et la distribution du riz ont été possibles
grâce à la mise en place de structures s'occupant de la gestion du
riz. La Chambre de Commerce gérait le stock du riz blanchi par la
Soderiz. Elle était chargée de le distribuer aux grossistes qui,
à leur tour le fournissait aux détaillants y compris le riz
importé. En 1973, plus de 120.000 tonnes de riz ont été
commercialisées par la Chambre de Commerce.
Outre l'action de la Chambre de Commerce, un autre organisme,
la Caisse Générale de Péréquation et des Prix
(CGPP) créé en mars 1971, intervenait dans la commercialisation
du riz de la Soderiz. Elle avait pour rôle principal de
régulariser et stabiliser le prix de vente de riz avec celui du riz
importé. La CGPP a joué un rôle capital dans la
commercialisation du riz. Cet appui de la CGPP a permis à la
société rizicole de réaliser des performances notables
surtout au niveau commercial et économique.
Les retombées sociales des actions de la Soderiz ont
été ressenties sur le plan de la création d'emploi et la
distribution de revenus. L'entreprise rizicole a donc eu pour action,
d'insérer les jeunes paysans dans le tissu social. Entre 1971 et 1974,
elle a créé plus de 6000 emplois tout en facilitant
l'amélioration des revenus des paysans. La Soderiz, dans
l'exécution de son programme avait recruté des jeunes stagiaires
qui devaient former et encadrer les paysans.
La réalisation de villages Soderiz venait
démontrer la portée sociale de l'action Soderiz. Plusieurs
villages ont été créés dans les zones où
était présente la Soderiz. Ces villages, avec toutes les
commodités, c'est-à-dire, l'électricité,
l'adduction d'eau et maison « en dur », rentraient dans le
cadre de la mission de développement économique et social du pays
initiée par la Soderiz. Entre 1971 et 1977, l'entreprise a construit
plus de 6000 maisons. Mais les paysans, animés par le souci de faire
d'énormes bénéfices, ont rempli les usines de paddy, avec
un taux d'impureté élevé. La mauvaise qualité de
paddy rendait l'usinage difficile. Ainsi, le riz usiné était de
mauvaises qualités, avec un taux de brisure
139
atteignant 60%. Les difficultés de fonctionnement
furent perçues en amont, pour le stockage. La surcharge des rizeries
suivie du problème d'usinage ne pouvait qu'engendrer un
dysfonctionnement lié au stockage des produits.
A partir de 1976, tous les silos et entrepôts construits
pour recevoir le paddy sont devenus très exigües du fait de la
ruée des paysans vers les usines Soderiz en 1974, avec leurs productions
rizicoles. La Soderiz n'ayant pas prévu cette situation fut
exposée à un manque d'infrastructures. Le paddy était
exposé aux intempéries, tels que la pluie et le soleil, faisant
perdre à la Soderiz plusieurs millions de francs CFA. Outre les
problèmes de stockage, la sacherie faisait défaut. Elle
était, supposée insuffisante. Cette insuffisance de la sacherie,
s'expliquait aussi par le non respect des engagements pris avec la
société FIBAKO qui fournissait la Soderiz en sac. Toutes ces
difficultés constatées dans le secteur industriel de la
société rizicole, vont être ressentis au niveau
commercial.
La responsabilité de produire et vendre le riz,
était une lourde tâche pour la Soderiz car elle était
concurrencée par un circuit parallèle puissant existant depuis la
période coloniale. Le circuit traditionnel composé
essentiellement de « dioula » a profité des moments
sombres de la société pour s'imposer sur le marché
national. Un autre circuit, renforçant la concurrence s'était
affiché. Il s'agissait du circuit libanais qui disposait de
micro-rizeries et d'un réseau de collecte composés de pisteurs
compétents, fournissant les petites rizeries en paddy. Pendant que le
circuit parallèle devenait de plus en plus puissant, le réseau de
distribution de la Soderiz connaissait des défaillances. La Chambre de
commerce qui devrait distribuer le riz produit par la Société, a
privilégié la distribution du riz importé, tout en
protégeant les intérêts des groupes d'importateurs au
détriment de l'intérêt national. L'action de sabotage a
entrainé un problème d'approvisionnement des centres urbains. Les
principales villes furent confrontées à une pénurie de
riz. Cette volonté des structures de
140
distribution du riz de la Soderiz à protéger les
intérêts privés, a fortement affecté la
société rizicole, la conduisant même au déclin en
1977.
La politique conduite par la Soderiz, depuis 1970 fut
éteinte en 1977. A cette époque on assistait à une
mauvaise gestion de l'entreprise suivie d'une légèreté
constatée dans les nominations des responsables et l'exécution
des taches administratives. Toutes ces actions mettaient à mal le
fonctionnement de l'institution rizicole.
L'Etat ivoirien, dans l'objectif de mettre fin à ces
manquements et dysfonctionnements observés au sein des
sociétés d'Etat et particulièrement au sein de la Soderiz,
a décidé de faire une réforme. La Soderiz fut dissoute le
07 octobre 1977, trois ans avant la tenue de cette réforme. Elle fut
remplacée par des structures pour continuer la politique de
développement rizicole.
Aujourd'hui la question du riz demeure et est à la
recherche d'une solution. Avec la mise en place de la Stratégie
Nationale de Développement de la Riziculture (SNDR) en février
2012, les autorités ivoiriennes devraient tirer les leçons de
l'opération rizicole effectuée par la Soderiz, afin que celle de
la SNDR soit une réussite totale.
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