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L'encadrement de l'histoire par le droit dans les démocraties européennes

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par Pierre RICAU
Université Paul Cézanne Aix- Marseille 3 - Master de sciences politiques 2009
  

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2) La création d'un environnement favorable à la recherche historique

La protection et l'accessibilité du patrimoine archivistique

Les archives constituent la première des sources permettant la recherche historique c'est pourquoi elles sont un enjeux majeur de la liberté et de l'efficacité du travail des historiens.

Comme l'écrit Vincent Duclert: « La valeur des archives et de leur politique dans la

150 Bernard Eric Jensen, op.cit.

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construction des Etats de droits et des libertés civiles a été très tôt reconnue »151. Par exemple « la naissance des Archives nationales et l'élaboration d'une première loi sur les archives constituèrent un des actifs importants mais peu reconnus de la Révolution française »152.

March Olivier Baruch distingue plusieurs intérêts publics recelés dans les archives153. Tout d'abord, elles placent les gouvernants et les membres de l'administration, c'est-à-dire tous les délégataires d'une autorité publique sous le regard, présent ou futur, des citoyens. Par ce biais elles garantissent le principe posé dans l'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 selon lequel: « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». D'autre part elles offrent une garantie juridique durable et par ce biais favorisent le bon fonctionnement de l'Etat de droit. Elles seront amenées à servir de preuves auprès des tribunaux que ce soit pour l'administration concernée si elle est attaquée ou pour les citoyens dans leurs actions vis-à-vis de l'administration ou éventuellement d'un tiers. Enfin, elles constituent un patrimoine mémoriel, potentiellement historisable, de la nation. Elles permettent aux citoyens directement ou par l'intermédiaire des historiens de retrouver leur passé, d'observer les évolutions de leur pays ou de leur région, et de chercher les moyens d'améliorer l'Etat dans l'observation de ses réussites et de ses échecs passés.

C'est donc les archives qui fondent une grande partie de la légitimité et de l'apport critique de l'histoire.

De même leur rôle pour l'apaisement des mémoires n'est pas négligeable. Comme l'écrivait en octobre 2008 Perrine Canavaggio, secrétaire général du International Conseil International des Archivistes (ICA): « Depuis les années 1990, le droit à l'information a pris une importance vitale dans les pays qui ont subi des dictatures et des violations graves des droits de l'Homme. Les documents d'archives sont ainsi devenus un outil et un enjeu essentiels dans les processus de transition politique et de réconciliation »154 .

151 Vincent Duclert, « La bataille des archives », Le Nouvel Observateur, op.cit, p. 78

152 Ibid, p. 78

153 March Olivier Baruch, « Archives, mémoire nationale et politique de l'Etat » , Les Cahiers français, op.cit., p. 28-29

154 Perrine Canavaggio, Secrétaire générale du International Council on Archives (ICA), conférence effectuée le 3 octobre 2008 lors du forum sur « les Droits de l'homme à l'âge de la

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Pour toutes ces raisons un droit des archives a du émerger à travers deux volets successifs :

«
· lois sur les archives d'abord pour répondre aux préoccupations de la recherche historique. Après la loi française de 1794 qui a fait de l'accès aux archives non plus un privilège mais un droit civique, ce droit a été progressivement mis en oeuvre dans toutes les législations nationales européennes, avec des délais de communication des documents plus ou moins longs selon les pays [...].

· lois sur l'accès aux documents administratifs ensuite. La Suède a été un pays pionnier avec sa loi de 1766 mais c'est après la Seconde guerre mondiale qu'a émergé le mouvement en faveur de la transparence administrative. Ce mouvement s'inspire de la Déclaration universelle des DH de 1948 qui garantit dans son article 19 à tout individu le droit de « chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ». »155

Le ICA constate au niveau international que 13 pays avaient une loi sur l'accès à

l'information en 1990, 70 en ont une aujourd'hui et 30 en ont une en cours d'élaboration. Si de nombreuses organisations internationales reconnaissent les principes de

protection des archives et de droit d'accès aux archives publiques, le Conseil Européen est jusqu'ici la seule à avoir établi une norme internationale dans ce domaine. Il s'agit d'une

recommandation du 13 juillet 2000 « sur une politique européenne en matière de communication des archives »156 qui même si elle n'a pas de force juridique contraignante

bénéficie d'un suivi du Comité des Ministres qui en fait une norme politique.

Parmi les mesures les plus avancées qu'elle recommande se trouve son article 5 qui considère que le droit d'accès aux archives s'étend aux personnes de nationalité étrangère,

l'article 7 qui demande l'existence obligatoire d'une limite de la durée des régimes

globalisation, le renforcement des partenariats » organisé par l'UNESCO disponible sur internet sur le site du ICA

155 Ibid.

156 Recommandation n° R (2000) 13 du Comité des Ministres aux États membres sur une politique européenne en matière de communication des archives, adoptée le 13 juillet 2000, lors de la 717e réunion des Délégués des Ministres

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d'exceptions pour les archives présentant un intérêt public particulier (défense nationale, politique étrangère, ordre public) ou relevant de la protection de la vie privée et l'article 11 qui considère comme obligatoire la motivation et la possibilité de faire appel des refus de dérogation pour la consultation d'archives non rendues publiques.

Au niveau des législations nationales l'accès aux archives en Europe même s'il est partout reconnu comme un droit, se décline sous diverses versions.

La majorité des pays européens ont opté pour un délai normal de trente ans avant l'ouverture des archives publiques, c'est le cas notamment de l'Allemagne, Chypre, la Grèce, le Luxembourg ou la République Tchèque. Mais l'ensemble des délais varient entre le principe de communicabilité immédiate valable en France depuis juillet 2008 et un délai de 50 ans en Estonie et Bulgarie.

Les régimes particuliers sont en général très nombreux comme le montre par exemple le tableau d'analyse de la réforme française de 2008 présenté en annexe 2.

La possibilité de dérogation discrétionnaire donnée aux administrations et aux services d'archives nationaux pour permettre la visualisation des documents d'archive avant le délai légal est essentielle. Comme l'écrit Bruno Delmas, ancien directeur de l'Institut National des Archives français: « cette procédure prémunit en même temps contre les dérives éventuelles. Elle est une approche pragmatique pour identifier des besoins et des problèmes et préparer la voie à des dérogations générales. »157

Globalement le régime de ces dérogations est d'ailleurs très libéral. Dans le cas français Bruno Delmas fait savoir que « une réponse favorable est donnée pour 96 % des 62 000 demandes annuelles ».

Une dérive considérable et encore peut encadrée, si ce n'est en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves où la tradition de transparence est forte, est la privatisation des archives publiques aux plus hauts postes de l'Etat. C'est une pratique auto-instituée et non-régulée qui voit les documents produits par les cabinets des ministères et des chefs d'Etat, ou par les exécutifs locaux, sortir du domaine public ou en y restant voir leur accès limité par leurs auteurs. Par exemple, en France, les archives des présidences de François Mitterrand ont été confiées à une fondation, structure de droit privé qui en contrôle l'accès

157 Bruno Delmas, « De nouveaux espaces pour la recherche : la nouvelle loi sur les archives », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N° 5, mai-août 2008, article disponible en ligne sur le site d'Histoire@Politique.

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et dont on peut douter des objectifs de transparence. Or, cette question de transparence des plus hauts niveaux du pouvoir a un rôle primordial, notamment pour la recherche historique, qui reste jusqu'à présent en marge du débat public.

Et comment obliger les administrations à conserver et à protéger leurs archives si comme l'écrit Marc Olivier Baruch: « le mauvais exemple viens d'en haut : il n'est pas une alternance ministérielle d`importance qui ne s'accompagne, à en croire la presse, d`un usage intensif des machines à broyer.»

C'est pourquoi, la lutte contre la destruction ou la disparition d'archives est un autre élément important de garantie pour le travail des historiens. La pratique est courante et difficilement contrôlable dans le secret des administrations. Le seul instrument efficace pour protéger les archives est la pénalisation de leur destruction. Une condamnation pénale sévère peut seule rendre la destruction d'archives plus risquée pour les administrations et les administrateurs que leur conservation. C'est pourquoi une réforme du droit des archives publiques comme celle de 2008 en France y a consacré une importante part. Des pays comme les anciennes démocraties populaires, qui ont vu la quasi-totalité de leurs archives disparaître avec l'URSS devraient y être d'autant plus sensible, mais globalement les pouvoirs publics restent très modérés dans ce domaine, et une certaine unanimité règne entre les partis politiques qui y trouvent tous un intérêt commun, c'est pourquoi la constitution de « lobbies » d'historiens, d'archivistes ou de simples défenseurs des libertés publiques est essentielle pour aller vers plus de transparence.

L'encouragement de la transmission de savoir historique

Valoriser les lieux de mémoire et les musées, en les fédérant, en créant des labels, en développant des concepts interactifs et ludiques, tout en les adossant à des organismes de recherche paraît aussi être le meilleur moyen de conserver l'histoire scientifique au centre de la démocratie.

Pour Bernard Accoyer: « Une telle politique permettrait d'envisager la création d'une filière professionnelle des métiers de l'histoire, au service des musées et des structures en charge du patrimoine: différente de la formation des historiens universitaires, elle comporterait ses propres diplômes et masters professionnels, sur le modèle de la public

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history américaine. »158

Toutefois un équilibre restera toujours à trouver entre la recherche du public et de l'intérêt des profanes et les exigences critiques d'une science sociale qui apporte une richesse de fond et de long terme à la politique et à l'épanouissement des individus. Une richesse que des démocraties trop axées sur leurs enjeux économiques de court terme risqueraient d'oublier, fascinées par la possible valorisation économique de l'histoire. C'est pourquoi on peut considérer qu'un enseignement et une recherche publique indépendante et libre, fondés sur l'amour des historiens pour la connaissance du passé doivent devenir, ou rester quand ils le sont déjà, le coeur, ou le cerveau, de l'histoire dans toutes ses dimensions politiques, narratives, émotionnelles, éducatives et scientifiques.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"