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Penser la justice dans le monde, une urgence Rawlsienne

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par Eric Christian BONG NKOT
Université de Yaoundé 1 - Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un diplôme d'études approfondies ( DEA ) en philosophie.  2009
  

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2. La théorie non idéale.

La finalité de la « théorie non idéale » est d'imposer une organisation du monde en conformité avec un ensemble de règles politiques compatibles avec les procédures de la démocratie libérale. A cet effet, elle se réfère à la « théorie idéale » comme modèle politique à réaliser, car «  faute d'un idéal identifié au moins dans ses grandes lignes, la théorie non idéale ne peut se référer à aucun objectif pour résoudre les problèmes qu'elle soulève »111(*).

Les problèmes que soulève la « théorie non idéale » sont des « questions de transition », c'est-à-dire qu'elles débutent dans chaque cas par l'examen de l'état d'une société. Ensuite cherche les moyens acceptables par le droit des gens pour aider cette société à progresser en direction de l'objectif fixé : l'adhésion aux valeurs sociales libérales.

Deux temps principaux caractérisent le déploiement de la « théorie non idéale ». Un temps qui examine les conditions de la « non obéissance », c'est-à-dire le cas où certains régimes politiques (les régimes hors la loi) refusent de reconnaître un droit des gens raisonnable. L'autre temps définit les « limitations naturelles et les contingences historiques » 112(*) qui empêchent « les sociétés du monde les plus pauvres et les moins avancées technologiquement de réunir les conditions historiques et sociales susceptibles de leur permettre d'établir des institutions justes et valables. »113(*)

a. La « non obéissance »

Avec l'examen des conditions de la « non obéissance », c'est-à-dire l'attitude des sociétés bien ordonnées face aux régimes qui ne reconnaissent pas le droit des gens raisonnables, la « théorie non idéale » établit une civilité internationale fondée sur la rivalité, l'adversité. La « non obéissance » définit une aire politique au sein de laquelle l'autre est perçu comme un adversaire. Mais cette aire politique exige aussi la reconnaissance de l'autre. Les peuples bien ordonnés possèdent un devoir historique, celui de garantir le droit et la liberté des personnes, même des personnes évoluant sous la juridiction des régimes hors la loi. C'est la réalisation de ce devoir qui alimente la logique d'affrontement comme fondement de l'internationalisme rawlsien. Décrivant ce rapport d'affrontement entre la fédération des peuples bien ordonnés et les régimes hors la loi, Rawls écrit :

Ces peuples existent aux cotés des régimes hors la loi dans un état de nature, et possèdent un devoir envers l'intégrité et le bien-être de leurs propres sociétés comme envers ceux des autres peuples qui respectent le droit. Ce devoir existe aussi à l'égard du bien-être des peuples assujettis aux régimes hors la loi, mais non envers leurs dirigeants et leurs élites. »114(*)

La prémisse fondamentale qui se dégage de ce propos pose l'état de nature comme forme principale des rapports interétatiques. Elle s'enracine dans la pensée politique de la modernité. Kant, s'attachant à rectifier l'opinion commune sur la guerre, lui assigne une approche plus pragmatique, celle qui soumet la paix internationale à la question transcendantale de sa possibilité. C'est dans ce cadre critique qu'il faut comprendre le propos avec lequel il achève son Projet de paix perpétuel :

Les maximes des philosophes concernant les conditions de la possibilité de la paix politique doivent être consultées par les Etats armés pour la guerre. »115(*)

Se mettant à la suite de Kant, Hegel pense qu'en l'absence d'un souverain établi sur eux, les Etats entre eux sont comme dans un état de nature.

Il n'y a pas de préteurs, écrit-il, pour trancher les différends entre les Etats, mais tout au plus seulement des arbitres et des médiateurs, lesquels, toutefois, ne peuvent intervenir que de manière contingente, en accord avec la volonté particulière de chacun des Etats intéressés. »116(*)

Plus précisément, Hegel soutient que la guerre est indispensable dans la sauvegarde d'un minimum de lien entre les individualités politiques, lien qui interdit l'affirmation d'une totale absence du droit dans les rapports interétatiques. La guerre présuppose la reconnaissance mutuelle des belligérants117(*) et permet de « limiter les conduites par ailleurs sans frein des Etats à l'égard les uns des autres si bien que la paix demeure toujours possibles »118(*).

Ainsi, pour Kant comme pour Hegel, la présence nécessaire de la guerre dans les relations internationales fait apparaître dans le droit naturel une antinomie qui interdit de traiter le droit des gens dans les mêmes termes que ceux qu'on utilise pour penser le droit interne aux communautés politiques. Par contre, bien que se revendiquant kantien, Rawls rejette cette conception des rapports interétatiques fondée sur la glorification de la guerre comme nécessité historique et bien moral. L'approche qu'il donne aux relations internationales tend plutôt vers une « criminalisation de la guerre ». La guerre n'est plus un épisode nécessaire pour la paix et la stabilité mondiale. Son éradication est un objectif vers lequel Rawls veut parvenir par la promotion de la justice. L'approche méthodique adoptée pour la définition des principes et concepts du droit des gens est la même que celle utilisée pour la justification des principes de justice internes aux sociétés. Rawls affirme à cet effet :

Il n'y a aucune différence pertinente entre, disons, la façon dont la conception de la justice comme équité est élaborée pour les cas internes dans Théorie de la justice et celle dont le droit des gens est élaboré d'après les idées libérales de justice les plus générales. Dans les deux cas, nous utilisons la même idée fondamentale d'un procédé raisonnable de construction dans lequel les agent rationnels équitablement situés (...) choisissent les principes de justice pour l'objet qui est pertinent, que ce soient les institutions propres ou le droit partagés des peuples. »119(*)

L'universalité du droit des gens n'est plus légitimée par un quelconque état de nature dans lequel c'est la guerre constante entre les Etats qui conditionne la paix mondiale. Si le droit des gens est appelé à s'imposer à tous les Etats, c'est parce qu'il repose sur une conception libérale de la justice élaborée afin de s'étendre et de s'appliquer au droit international. Le droit des gens rawlsien est l'expression des principes et concepts de la raison pratique, « étant entendu que ceux-ci sont toujours ajustés de manière à s'appliquer aux différents objets à mesure qu'ils se présentent, et qu'ils sont toujours acceptés, à l'issue d'une réflexion appropriée par les agents raisonnables auxquels les principes de justice s'appliquent. »120(*)

En référence à la pensée politique moderne, la légitimation de la guerre comme nécessité historique et bien moral nous place devant une norme suprême des relations internationales astreinte au « devoir être ». Le droit des gens ne s'illustre comme droit applicable aux nations qu'avec le consentement des souverains particuliers. De même la reconnaissance mutuelle des parties en conflit limite la guerre à la quête d'un compromis entre les parties, excluant ainsi l'hypothèse d'un anéantissement de l'autre. On se trouve en face d'une théorie de l'internationalisme définie comme quête d'un équilibre entre guerre et droit.

La rupture de cet équilibre, notamment avec l'expérience de la première et de la deuxième guerre mondiale, a imposé une refondation du droit international, par le dépassement de la guerre. Ce nouveau « système des Etats » repose sur la justice, entendue comme expression d'un droit des gens raisonnables spécifiant  « le contenu d'une approche libérale de la justice élaborée afin de s'étendre et de s'appliquer au droit internationale »121(*).

Dans cette perspective, le droit des gens définit une tentative de reconstruire une théorie de la « guerre juste » dans un contexte intellectuel où la souveraineté et l'autonomie des Etats sont défendues. Avec la justice au fondement du « système des Etats », le droit à la guerre est restreint au seul cas de la défense, ce qui permet la sécurité collective. Cette prétention à la défense n'est valable que sous certaines conditions. Il doit s'agir d'une défense contre une attaque armée, ou contre un intérêt de sécurité absolument vital, tel la violation par un autre Etat d'un traité dont le rôle est de protéger l'Etat désormais menacé, ou encore la décision de refuser à un Etat des ressources naturelles sans lesquelles son économie s'effondrerait (ce que Henry Kissinger a appelé « l'étranglement économique »). Analysant le cas de la guerre de 1967, lorsque l'Etat d'Israël, après la décision du président égyptien Nasser de fermer le détroit de Tiran, décida d'attaquer l'Egypte, Michael Walzer tire le principe suivant :

Les Etats peuvent utiliser la force militaire lorsqu'ils font face à des menaces de guerres et que le non recours à la force risquerait d'entraîner des conséquences graves pour leur intégrité territoriale, ou leur indépendance politique. »122(*)

Le paradigme de la « guerre juste » dans la pensée politique libérale légitime, dans les relations internationales, le recours à la force selon trois modalités. Tout d'abord, la défense de l'autonomie politique devant la menace expansionniste d'un Etat qui veut annexer un autre Etat. Dans ce cas, le recours à la force peut être revendiqué par un Etat « partenaire » à l'Etat qui subit l'agression, ou par la communauté des Etats reconnaissant le droit des gens raisonnable. La seconde modalité est la contre intervention. Ce concept fait appel à un rétablissement de l'équilibre des forces entre deux fractions d'une même entité politique qui s'affrontent, et dont l'une bénéficie du soutien extérieur d'un régime hors la loi.

La troisième modalité est l'intervention humanitaire. Ici, le recourt à la force est justifié par la nécessité de mettre fin à des actes particulièrement atroces, tels les génocides, les épurations ethniques, les famines délibérément provoquées, l'asservissement des populations entières. L'intervention d'humanité fournit la possibilité d'intervenir par la force à l'intérieur d'un Etat pour faire respecter les droits de l'homme. Stanley Hoffmann s'exprimant là-dessus observe que

L'intervention humanitaire s'élève pour ainsi dire au-dessus du principe de souveraineté. Elle reconnaît qu'il existe des droits de l'homme fondamentaux tels que le droit à la vie, qui dépassent les limites de l'Etat. D'où la légitimité d'interventions extérieures dans le cas de génocide, de la famine, etc. »123(*)

La charte des Nations unis reconnaît à l'intervention humanitaire, le pouvoir de limiter le principe de la souveraineté des Etats au nom de la défense des droits de l'homme. Reconnaissance qui n'a pas manqué d'entraîner de formidables escalades. Certains Etats prenant pour prétexte la défense des droits de l'homme, se sont rendus coupables de plusieurs exactions à l'intérieur d'autres Etats. Parfois l'intervention humanitaire s'est transformée en une opération de force destinée, non pas à défendre les droits de l'homme en général, mais la personne et les biens des ressortissants nationaux en territoire étranger. Parfois, elle s'est transformée en un moyen efficace pour éliminer des dirigeants considérés comme des ennemis politiques. Bref, comme le remarque Franck Attar,

Quelques soit le regard que l'on porte sur l'intervention d'humanité, il faut constater que, dans la plupart des cas, elle s'opère en violation d'une souveraineté territoriale. »124(*)

Dans l'ensemble, l'option de la guerre dans le système international contemporain vise la suppression de toute contradiction dans les relations internationales. Se désolidarisant de la glorification moderne du conflit, le droit des gens rawlsien pose une organisation du monde conforme aux valeurs sociales et à un ensemble de règles politiques compatibles avec des procédures propres aux sociétés libérales. Seule la défense de ces valeurs, entre autres les libertés de base des citoyens et l'ordre constitutionnel défendu par des institutions politiques justes, peut justifier l'entrée en guerre d'une société libérale ; Rawls écrit à cet effet :

Lorsqu'une société libérale s'engage dans une guerre d'autodéfense, elle le fait pour protéger et préserver les libertés de base de ses citoyens et ses institutions politiques démocratiques constitutionnelles. En effet, une société libérale ne peut pas en justice exiger de ses citoyens qu'ils combattent pour augmenter sa richesse économique ou pour acquérir des ressources naturelles, encore moins pour conquérir le pouvoir et un empire. »125(*)

Ainsi la défense des valeurs politiques de la démocratie libérale conditionne la guerre à un universalisme rassembleur, ayant pour fonction de renforcer les liens entre les éléments d'un système international radicalement hétérogène. Une conception de la guerre que Robert W. Tucker décrit comme particulièrement américaine : la guerre dont l'origine est moralement acceptable (la défense), mais dont l'objectif devient rien moins que l'élimination définitive de toutes les guerres.126(*) Cela se fait par l'ajustement au modèle universel du libre échange, de tout autre projet politique. Aussi l'idée d'une démocratie libérale pacifiée dans ses contradictions internes, tout comme les droits de l'homme, en sont les éléments clés.

La défense des peuples bien ordonnés est la première et la plus urgente tache du droit des gens. Un autre objectif à long terme du droit des gens est d'amener au bout du compte toutes les sociétés à respecter ce droit et à devenir membres autonomes et à part entière de la société des peuples bien ordonnés et de garantir par là même et en tout lieu les droits de l'homme.127(*)

La réalisation d'une fin aussi ambitieuse passe d'abord par des pressions diplomatiques que les peuples bien ordonnés peuvent exercer sur les régimes hors-la-loi. L'accord des peuples bien ordonnés sur une politique commune envers les régimes hors-la-loi étant un élément clé dans la stabilisation du monde, c'est d'abord dans le cadre de forum public d'expression, tels les Nations unies, que devra se déployer la pression diplomatique, la dénonciation de la cruauté, de l'oppression qui caractérisent ces régimes. Mais vue que cette pression n'est pas suffisante par elle-même pour amener les régimes hors-la-loi à changer leurs pratiques, Rawls pense qu'elles doivent être renforcée par

Le refus ferme de toute aide militaire, économique ou autre ; et les régimes hors-la-loi ne doivent pas être admis par les peuples bien ordonnés comme membres respectables des pratiques de coopération visant leur bénéfice mutuels.128(*)

* 111 John Rawls, Droit des gens, p. 80.

* 112 John Rawls, Théorie de la justice, p. 282.

* 113 John Rawls, Le Droit des gens, p. 53.

* 114 Ibid., p. 81.

* 115 Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuel, p. 49.

* 116 G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1975, p. 330.

* 117 Ibid. p. 333.

* 118 G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, Paris, Gallimard, 1970, p. 547.

* 119 John Rawls, Le droit des gens, p. 73.

* 120 Ibid., p. 42.

* 121 Ibid., p. 51.

* 122 Michael WALZER, Just and Unjust Wars, New-York, Basic books, 1977, p. 85. ( C'est nous qui traduisons).

* 123 Stanley Hoffmann, Une morale pour les monstres froids. Pour une éthique des relations internationales, Paris, Seuil, 1982, p p. 74-75.

* 124 Franck Attar, Le Droit international, entre ordre et chaos, Paris, Hachette, 1994, p. 229.

* 125 John Rawls, Paix et démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, p. 113.

* 126 Robert W. Tucker, The Inequality of Nations, New-York, Basic books, 1977.

* 127 John Rawls, Le Droit des gens, p. 82.

* 128 Ibid., p. 82.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway