Selon F. MAYOR, « les communautés ont besoin de
repérer dans la complexité et la brume du présent, le
chemin d'un avenir de paix et de justice. N'oublions jamais que la recherche
d'une solution doit se faire par la parole et non par l'épée, par
le dialogue et non par la contrainte. Il faut construire l'avenir du territoire
et non vivre seulement du passé ».60
La réconciliation, par-dessus tout, consiste à
communiquer, écouter attentivement et avoir des conversations profondes
à tous les niveaux de la société. Elle implique une
conversation inclusive. Il s'agit de créer des espaces d'écoute
mutuelle ou individus et communautés qui puissent commencer le travail
difficile de compréhension même si cette conversation soit parfois
conflictuelle et marquée par des désaccords, elle est
également une alternative à la violence et un moyen de trouver
des solutions à des problèmes qui paraissent
insolubles.61
60 Federico Mayor ; Discours d'ouverture lors de
la conférence de Paris, sur le Burundi : construire l'avenir du Burundi,
26-28/09/1998, par UNESCO.
61 VILLA C., La réconciliation : Apprendre
à s'asseoir sous un même arbre, colloque international au Burundi,
du 2-22/09/2005, p.65
57
Accepter ce qui s'est passé est parfois plus important
que reconnaître les faits en cause. Bien qu'une partie seulement de ceux
qui ont souffert aient nécessairement besoin d'excuses formelles pour
laisser derrière eux les conflits du passé, les recherches sur le
processus d'amnistie de la CVR démontrent que l'acceptation de ses
résultats augmente de manière significative lorsque la victime ou
la famille des victimes obtiennent une reconnaissance et des excuses
légitimes.
On suggère parfois que le nouvel ordre ne puisse se
construire en laissant un passé douloureux. Le problème est qu'en
commençant quelque chose de nouveau, on ne repart jamais à
zéro. L'histoire poursuit sa course, façonnant le présent
tout en faisant planer son ombre sur le futur. La mémoire muette crie
pour se faire entendre. Il est nécessaire que l'on y soit attentif, non
seulement pour découvrir la vérité du passé, mais
aussi pour affronter le futur. Beaucoup d'histoires racontées par les
victimes à la CVR lors de la transition en RDC ne concernaient pas tant
ce qui s'est passé réellement que l'impact de ce qui
s'était passé sur les vies présentes et futures des
victimes.
Les débats sur la nature et l'ampleur des
réparations pour les victimes de violations massives des droits de
l'homme n'est pas prêt de s'éteindre. Exclure la justice
socio-économique du processus de réconciliation revient à
mettre en danger les perspectives de consolidation démocratique.
Au milieu, le but des réparations est
d'intégrer l'objectif et le subjectif et de transcender les divisions
matérielles et émotionnelles du passé. Il s'agit de
créer une forme de société différente (de
l'ancienne société).
La réconciliation est un long processus qui prend du
temps et implique de confronter le passé. C'est un travail qui exige
deuil, écoute, entente, guérison, reconnaissance et
réparations. C'est un commencement, un fondement pour créer une
nouvelle façon de vivre.62
L'on peut dire aussi que le deuil est le cheminement qui
mène de la mort à la vie. Ainsi l'orientation fondamentale de la
mémoire et du pardon s'inscrit dans la trajectoire de la
réorganisation de la vie, du « davantage de vie encore ».
62 D. TUTU, No future without forgiveness, Canada,
Rider, 1999, p.20
58
A contrario, l'oubli et le maintien de la souffrance de
l'offense (haine, vengeance, violence) s'inscrivent dans la trajectoire
opposée, celle de la désorganisation de la vie, mais les opposer
de façon figeante ne peut conduire qu'à la création des
catégories antagonistes.
La conservation et la reproduction des faits et gestes
douloureux, comme c'est le cas pour le génocide, font mal. Il en va de
même des paroles et des discours, des vestiges et autres
conséquences ou retombées d'une action, d'un
phénomène douloureux.
Conservation et reproduction restent supportables pendant un
certain temps proche du moment des faits et gestes, des paroles et discours des
actions et des événements. Mais au fur et à mesure que ces
choses commencent à reparaître entrent dans l'histoire et font
partie du passé, leur reproduction est mal supportée et
rejetée quand il s'agit des choses douloureuses. Le pardon est
impossible aussi longtemps que la mémoire est conservation et
reproduction.
Lorsque les souffrances persistent, le processus de
pacification ne peut pas se mettre en route. Mais en quoi consiste au juste ce
processus de pacification ? Quelles sont les caractéristiques du pardon
?
Le pardon est au coeur du deuil et par voie de
conséquence au coeur de la vie. Il l'y est comme moment d'aboutissement
de la réorganisation de l'histoire personnelle et comme démarrage
du voyage vers l'autre.
Il est l'espace émouvant des retrouvailles avec soi
unifié, de cheminement alterné vers soi et vers autrui. Il est
l'horizon des retrouvailles avec les autres au plus profonds de
soi-même.
Voilà pourquoi il est le processus de pacification
avec soi-même, les morts les vivants, l'environnement physique et social,
Dieu ou l'Etre Suprême ou le Tout Autre, ce qui empêche de se
retrouver avec soi-même et avec autrui, c'est la perte des repères
culturels, l'insécurité matérielle, sociale et mentale,
l'incapacité à se décaler du moment présent, le
mélange des sentiments et de la culpabilité. Ce qui permet de se
retrouver avec soi-même et avec autrui, c'est l'opportunité de
raconter et de mettre les mots sur ce que l'on a vécu, de trouver
quelqu'un qui écoute sans se lasser, ni interférer, ni juger,
59
communier, compatir et partager. Mais raconter comme s'il
s'agissait d'une histoire à la quelle on a assisté ne suffit
pas.
C'est donc l'opportunité d'exprimer sa souffrance et
tous les sentiments qu'elles charrient.
Exprimer est certes une bonne chose, mais il ne suffit pas
non plus pour accéder au pardon, à la paix ; c'est donc aussi
l'opportunité de trouver un sens à l'expérience
vécue, de la reconnaître et de l'assumer63.
Le sens est à la fois une direction et la destination,
un horizon et la marche qui y mènent. Il fait accéder à la
responsabilité, à la sienne et à celle des autres. Se
percevoir et se reconnaître comme responsable, c'est ce prévaloir
et se reconnaître comme sujet libre, acteur si pas de ce qui s'est
passé, mais au moins des conséquences64.
La responsabilité apparaît ainsi au coeur du
travail de mémoire : non pas comme conservation ou reproduction
(culpabilité), mais comme production et transformation du
sens65.
C'est l'homme responsable qui est sujet de la mémoire
de vie passée (héritage), présente (adaptation) et future
(projet). Mais, tant qu'on est englué dans la culpabilité et
empêtré dans le mélange des sentiments, on ne peut pas
accéder au pardon.
On a peur de trahir en oubliant, et l'intensité des
sentiments entremêlés donne le vertige, brouille la perception des
événements et des êtres, des paroles et des actes,
épuise l'énergie nécessaire pour accéder à
la responsabilité et en assumer les conséquences.