II.2. CAUSES DU CONFLIT
A la suite de ce qui précède, les causes du
conflit en territoire de Masisi sont multiples et trouvent leur genèse
à partir de la colonisation belge. Toutefois nous parlerons des conflits
politiques.
II.2.1.Conflit foncier
Dans la culture Hunde, la terre appartient à toute la
communauté représentée par le chef coutumier et traduite
par cette expression « mwami ye nina butaka », « le chef est le
propriétaire terrien ».
En effet, il est chargé de la répartition de la
terre entre les sujets pour l'usage et non en propriété. Le chef
est toujours le « propriétaire des terres ». Ce droit est
ainsi appelé « Shumba » et le « Mutambo » ou notable
est le possesseur du pouvoir politique et le « mbana musingo », le
pouvoir foncier sous la supervision du chef coutumier.
47K. NUKBA., Op.cit, p.40.
48K. NKUBA, La fausse dynastie de Ndallla ou la
falsification de l'histoire du Kishali à l'époque du RCD
(1998-2003). Territoire de Masisi, Goma, décembre 2003, p.24
inédit.
32
Le notable est, de ce fait, redevable envers le chef d'un
tribut dit « mutulo » soit une peau animale, vivres, vache, boissons,
pointe d'ivoire, et un tribut en vivres est appelé « ngemu »
qu'on offre au mwami lors de son voyage. Le notable peut aussi accorder l'usage
d'un lopin de terre qu'il octroie à un ou plusieurs paysans qui payent
une redevance appelée « Kishoke », cadeau en vivres ou
participation au mitulo49, c'est-à-dire redevances
coutumières.
Le problème des terres ne se posait pas pendant la
colonisation, raison pour laquelle les autochtones ont perdu des terres qui
furent attribuées aux immigrés rwandais et l'EIC s'appropria
toutes les terres vacantes.
II.2.2. Conflit politique
Les conflits entre les Hunde et les immigrés
Banyarwanda tournent ensuite autour de la nationalité.
· La nationalité
La nationalité est un lien juridique et politique qui
rattache un individu à un Etat souverain50. Bon nombre
d'écrits d'intellectuels immigrés et réfugiés
rwandais sur la nationalité congolaise sèment la confusion tout
en citant les textes juridiques édictés par les colonisateurs.
Il faut noter en outre que l'administration coloniale belge
n'a jamais favorisé ou accepté les confusions entretenues entre
les ressortissants du Rwanda-Urundi et les sujet belges de statut congolais.
A cette période, le problème des
immigrés Banyarwanda et à plus forte raison celui des
réfugiés rwandais, clandestins ou infiltrés et autres,
n'avaient jamais reçu la nationalité belge de statut colonial.
De 1967 à 1972, le régime Mobutu avait
tenté de résoudre les conflits par :
- L'intégration des réfugiés aux
populations autochtones supprimant des camps gérés par le Haut
Commissariat des Réfugiés.
- La réunification de la province du Kivu quand le
Nord-Kivu redevient un district.
49P. MATHIEU - J.C. WILLAME., Conflits et guerres
au Kivu et dans la région des Grands Lacs, entre tensions, locales et
escalades régionales, Institut Africain, CEDAF, Bruxelles, 1999,
p.103.
50 P.MATHIEU- J.C.WILLAME., Op.cit, p.105.
33
- La promulgation de la N°2/02 accordant la
nationalité aux originaires du Rwanda-Urundi établis au Congo
à la date du 30 Juin 196051.
De 1972 à 1981, les tensions graves sont
observées sur toute l'entendue du territoire national à cause du
pouvoir dictatorial du Président Mobutu, les politiciens « natifs
» et « immigrés » qui se livrent à une lutte
contestèrent les députés de la région du Kivu quant
à la nomination des trois immigrés rwandais comme membres du
Comité Central du Mouvement Populaire de la Révolution en
1981.
Les démarches des députés autochtones
aboutirent à la promulgation de la loi N° 81/002 du 29/06/1981
relative à la « nationalité zaïroise ». Vu cette
protestation, les immigrés étaient insatisfaits et ne
tardèrent pas à le manifester par diverses voies.
· L'arrivée des réfugiés
rwandais et ses conséquences
La période de 1959 à 1962 affiche des troubles
socio-politiques entre les Hutu et Tutsi du Rwanda. Le parti Parmehutu chassa
les Tutsi qui se réfugièrent notamment dans les territoires de
Masisi et Walikale à Bibwe et à Thula.
A cette même période (1959-1962), les
ressortissants du Rwanda-Urundi recevaient la qualité d'électeurs
pour 10 ans de résidence temporaire au Congo.
En 1963, les réfugies Tutsi incitent les Hutu à la
violence, qui causa beaucoup de dégât auprès des
communautés Hunde, chassées de Goma vers Sake et où on
dénombra plusieurs victimes face à ces affrontements dont : -
Kashira Alphonse
- Antoine Mihio
- Lambert Ngendo respectivement président de
l'Assemblée provinciale. Ministre de l'Intérieur, chef de
groupement Luberike, tous ressortissant, du territoire de Walikale.
- Ruben MUNGO (Hunde) Ministre de l'économie et son
collègue des affaires sociales ;
51 MASUMBUKO D., Op. Cit. p.15
34
- Antoine KAYUMBA (Tembo) en territoire de Masisi.
La communauté Hunde dénonce ensuite le non
retour des réfugiés dans leur pays d'origine ((
le Rwanda » et la non participation du haut Commissariat pour les
Réfugiés (HCR) dans cette opération de rapatriement.
· La révolte de Karuba en 1962
C'est l'insurrection ou révolte de Karuba
organisée par les immigrés coalisés avec les
réfugies politiques de 1959-1960 contre l'autorité
coutumière et d'administration locale.
Les instigateurs de cette révolte furent :
BITEGETSIMANA, MVUYEKURE et NDIBURO qui prêchaient sans cesse
l'insurrection dans la chefferie des Bahunde surtout à Karuba, Bunyole,
Kibabi, Kashebere, Mema, Katale et Ngungu.
Par la suite, les réfugiés rwandais, en
complicité avec l'autorité ecclésiastique catholique du
Kivu et Rwanda, établirent à Bibwe (localité situé
à 50 Km de Mweso-Masisi52 sans l'avis l'aucune
autorité coutumière du territoire de Masisi.
Ainsi donc ladite révolte se soldera par des tueries
de plusieurs Hunde en l'occurrence Monsieur Bonane Jules, commissaire de
police, Mathias et ses deux enfants et un capita vendeur à Mema.
De ce fait, ce mouvement préparera un autre à
partir de l'année 1963-1965.
· La rébellion Kanyarwanda de
1963
Il convient de signaler qu'à partir de 1963-1965
s'était organisé un autre mouvement de rébellion
appelé Kanyarwanda à travers tout le territoire de Masisi. Ce
mouvement fut provoqué par les Batutsi agissant de connivence avec
quelques Hutu.
Cette situation était farouche, provoquée par
des tensions entre les groupes ethniques dans l'ensemble du territoire
où vivait cette (( peuplade » de souche rwandaise
dont un certain nombre de Tutsi.53
52J. KABATAMA. Informateur déjà
cité.
53 L. BAHATI., Interrogé à Sake, le
11/04/2011
35
Cette rébellion était aussi suivie des
massacres des autochtones par les Banyarwanda dont notamment le chef de poste
d'encadrement administratif de Mihanga, dans le Groupement des Bashali-Kaembe,
Monsieur Malira Polycarpe, assassiné par une grande masse de plus de
2000 rebelles Kanyarwanda au moyen d'armes blanches : lances et poignards.
Le gouvernement congolais, face à cette situation,
envisagea des mesures adéquats à cet état de choses.
· La contestation des élections
municipales par les populations Banyarwanda de 1987 à 1989.
Pour ces élections, il fallait être congolais
d'origine. Cette position entraîna le soulèvement des
immigrés Banyarwanda suivi des massacres des autochtones Hunde et de la
destruction méchante de bâtiments administratifs.
· La contestation de l'opération
d'identification des nationaux en 1991 par les banyarwanda
En 1991, les immigrés rwandais avaient
éparpillé des tracts sur toutes les collines du territoire de
Masisi, Bwito, dans le Rutsuru et Walikale suite au déclenchement de
l'opération de l'identification des nationaux.
· La guerre de 1993 et l'expulsion des autochtones
de leurs milieux
En date du 20 mars 1993, une guerre fut
déclenchée à Ntoto dans le territoire de Walikale. Elle
visait selon ses organisateurs Banyarwanda, à exterminer les autochtones
de Masisi, Walikale et ceux de Bwito.
Pour échapper à leur extermination, les
autochtones de ces entités visées s'organiseront autour des
forces d'auto-défense populaire appelées Maï Maï pour
défier les agresseurs.
Dans ce cadre, la jeunesse Hunde et Tembo de Masisi se
trouvant à Goma a pu rédiger une plainte à charge des
sieurs Nzabara Masetsa, alors secrétaire de l'UNTZA/Goma, Gatambi
Ndisetse, qui fut coordinateur de la CEBZE/Goma et Nyarubwa Léonard, qui
était Assistant à l'ISP/Rutshuru.
36
Cette plainte ambitionnait de dénoncer le complot
contre les autochtones de Masisi résidant à Goma dont notamment
les Hunde et les Tembo. Les initiateurs de ce plan s'étaient
partagé les tâches à ce que chacun s'occupe des Hunde et
Tembo socialement proches de lui de la manière suivante :
- Monsieur Gatambi Ndisetse se chargerait des Zaïrois
pasteurs ;
- Nzabara Masetsa : des Zaïrois administratifs ;
- Rubakare Nkunda, des Zaïrois agents de l'enseignement ;
et
- Nyarubwa léonard pour se charger des politiciens
Zaïrois et ainsi de suite.54
· Installation d'une administration mono
ethnique
Après avoir expulsé les autochtones de leurs
milieux, les immigrés se partagèrent les terres et
installèrent une administration mono ethnique sur tout le plan.
· Sur le plan politique
Les immigrés Rwandais occupèrent la
quasi-totalité de tous les postes administratifs des contrées
occupées par eux et procédèrent au remplacement
systématique des chefs coutumiers autochtones pour les empêcher
ainsi de rentrer dans leurs fiefs coutumiers.
· Sur le plan éducationnel
Les autorités scolaires sont en majorité,
issues des populations d'expression Kinyarwanda.
· Du Point de vue économique
Le Territoire de Masisi est une région à
vocation agricole. C'est pourquoi les immigrés ont envahi la
contrée afin de s'approprier les terres du territoire. Ils ont
procédé au pillage systématique des vaches, chèvres
et autres biens.
Ils ont pillé partout dans le territoire notamment
chez Monsieur NDAKOLA de Katale, Mwami BAHATI de Nyamitaba, RIGO de Katale,...
Ils ont détruit les hôpitaux, écoles et habitations.
54 Plainte du 12 mars 1996 pour menace de mort des
communautés Hunde et Tembo de Goma.
37
· Difficile cohabitation entre les deux
communautés
Ces immigrés et réfugiés Rwandais ont
exterminé les autochtones de Masisi et ceux de la région de l'Est
afin de ce créé un Etat indépendant, en l'occurrence la
république des Volcans proclamée par Laurent Nkunda à
Kitshanga, le 11 Août 2006.
Ils sont intolérants, ainsi il est difficile que les
deux communautés vivent ensemble.
Plusieurs confessions religieuses et associations ont
tenté d'organiser des journées de réflexion sur la
cohabitation pacifique entre les différentes communautés vivant
dans le Territoire de Masisi.
Ces organisations se positionnent, de ce fait, comme
médiatrices dans les affrontements qui eurent lieu en Territoire de
Walikale, Masisi et Rutshuru, depuis mars à juin 1993. Le mois suivant,
c'est-à-dire juillet 1993, une « commission régionale de
pacification était mise en place par les autorités provinciales
». Mais la commission n'est pas arrivée aux résultats
escomptés à cause de l'aggravation et de la persistance de la
crise politique qu'à connue le pays tout entier.
De ce fait, des journées dites de réflexion
étaient organisées par les ONG locales à Mweso du 25 au 28
novembre 1993, puis à Masisi du 13 au 17 février 1993.
Ci-après les résumés des résultats
de ces journées.
Tableau N°3 : Résumé des
résultats des journées de réflexion à
Mweso
Communauté
|
Problème central
|
Solution centrale
|
Hutu et Tutsi
|
Pouvoir abusif et mono ethnique
|
Partage du pouvoir entre ethnies
|
Nande
|
Course au pouvoir dans
une collectivité - chefferie
|
Que le pouvoir coutumier se fasse accepter par tous et que les
chefs soient crédibles et instruits
|
Hunde et
Nyanga
|
Conquête du pouvoir et des terres
|
Mettre fin à la conquête du pouvoir et des terres
dans le respect absolu de l'autorité coutumière.
|
Source : Diocèse de Goma et Acodri
« journées de réflexion et de sensibilisation à
la réconciliation et à la cohabitation pacifique des ethnies
», « tenues à ETM/Mweso du 25 au 28 Novembre 1993, rapport
final », Goma, S.D, cité par MASUMBUKO, D, Op.cit, p.17
38
Tableau N°4 : Synthèse des journées
de réflexion à Masisi
Problème
|
Position de Hunde et Nyanga
|
Position de Hutu et Tutsi
|
Hostilité
|
Cessez-le-feu
|
Arrêt des hostilités
|
Pillage
|
Cessez les pillages
|
Arrêt immédiat des pillages
|
Chefs
coutumiers
|
Retour de chefs dans leurs juridictions
|
Retour de ceux qui n'ont pas trempé dans les massacres
|
Nationalité
|
Respect de la loi en matière de demande de
nationalité
|
Respect de la loi de 1972
|
La conquête du pouvoir
|
Existence des moyens honnêtes
|
Partage du pouvoir
|
Pouvoir coutumier
|
Pouvoir héréditaire
|
Plus des chefferies mais des secteurs
|
Ordre public
|
Suppression des comités de paix » institués
pendant les hostilités
|
1. Retrait des militaires appartenant aux groupes ethniques de
la région.
2. Désarmement de milices privées.
3. voies d'accès à la région
contrôlée par des équipes interethniques.
|
Déplacés
|
-
|
Retour dans leurs ressorts respectifs
|
Source : « Journées de
réflexion sur la pacification des zones de Masisi et Walikale »,
Masisi du 13 au 17 février 1994, annexe 19, cité par MASUMBUKO,
Op.cit, p.18
Commentaire :
Nous constatons que le bilan de deux rencontres et beaucoup
d'autres qui ne sont pas cités est plus au moins positif pour un moment
en ce sens que la tension a pu baisser presque partout, les plaies ont
été fermées sans être nettoyées ; les
belligérants se sont rencontrés malgré eux, pour partager
à manger et même prendre un verre d'amitié comme par le
passé. Chaque
39
représentant du groupe avait le souci et le courage de
vulgariser, à sa manière, le message sur la soi-disant
pacification et décisions prises sans procéder aux massacres.
Un autre élément, quant aux pistes de solutions en
est que :
- Les populations du territoire se méfient de toute
tentative d'adhérer aux mauvais idéaux, c'est-à-dire ceux
basés sur les guerres, le tribalisme, etc.
- S'impliquer dans la participation du processus de
reconstruction de la paix et du développement du territoire.
Il est important que toutes les autorités s'engagent
à :
- Sécuriser les régions qu'ils administrent et
s'occuper du développement.
- Mettre fin aux manipulations politiciennes et toutes
tracasseries, tout en faisant respecter le droit de tout un chacun, sa culture,
le problème foncier, coutumier, etc.
Comme évoqué ci-haut, ces résolutions
n'ont pas abouti. Les protagonistes ne sont pas arrivés à se
mettre autour d'une même table pour régler leurs différents
sans aucune interférence. Nous l'avons constaté lorsque nous
avons posé certaines questions relatives à l'existence des
conflits interethniques ou non, malgré d'énormes efforts
consentis pour les résoudre. En voici quelques résultats :
40
Tableau n°5 : Existence des conflits
interethnique
Catégories
|
Réponses
|
Nombre
|
Pourcentage
|
Hunde
|
Oui
|
64
|
37,7
|
Non
|
23
|
13,5
|
Indécis
|
0
|
0
|
Hutu
|
Oui
|
50
|
29,4
|
Non
|
13
|
7,7
|
Indécis
|
0
|
0
|
Tutsi
|
Oui
|
58
|
34,1
|
Non
|
31
|
18,2
|
Indécis
|
0
|
0
|
Tembo
|
Oui
|
58
|
34,1
|
Non
|
23
|
13,5
|
Indécis
|
0
|
0
|
Nande
|
Oui
|
37
|
21,8
|
Non
|
34
|
20
|
Indécis
|
17
|
10
|
Twa
|
Oui
|
82
|
48,2
|
Non
|
0
|
0
|
Indécis
|
10
|
5,9
|
Total
|
|
500
|
100
|
Source : voir annexe
Ce tableau montre que 64 personnes de la communauté
Hunde sur 500 personnes enquêtées (36,5%) affirment qu' il y a des
conflits interethnique dans le territoire contre 23 (13,5%) qui disent le
contraire ; 50 personnes de la communauté Hutu 29,4% affirment qu'il y a
des conflits contre 13 (7,7%) qui de leur côtés disent autres
choses ; 58 personnes de la communauté Tutsi (34,1%) affirment aussi
l'existence des conflits contre 31 (18,2%) qui ne soutiennent pas cette
affirmation ; 58 personnes de la communauté Tembo (34,1%) affirment
aussi la même chose contre 23 (13,5%) qui pour eux il n'y a pas des
conflits ; 37 personnes de la communauté Nande (21,8%) affirment
l'existence des conflits interethnique
41
contre 34 (20%) qui nient cela et 82 personnes de la
communauté Twa 48,2% affirment enfin que les conflits interethniques
existent bel et bien contre 10 (5,99%) qui pour eux, les conflits ne leur
concernent pas.
II.3 Conclusion partielle
Vu ce qui précède, nous pouvons affirmer
sans risque d'être contredit que les conflits interethniques dans le
territoire de Masisi sont bel et bien une réalité. C'est pourquoi
nous devons chercher les voies et moyens pour mettre fin aux cycles des
violences qui caractérisent ce territoire. Ceci nous amène
à entamer notre dernier chapitre, le noeud de notre travail qui va nous
aider à proposer un mécanisme approprié pour arriver
à mettre fin à ces conflits interethniques en territoire de
Masisi.
42
|