· Mythe et connaissance
Les théories affirmant que le mythe constitue
une forme et un moyen de connaissance sont aussi anciennes que
l'interprétation du mythe lui-même. La superposition des modes
mythique et rationnel a été étudiée par les
philosophes grecs, et notamment par Origène, qui prétendait que
la révélation chrétienne de Dieu en Jésus pouvait
très bien être comprise en termes mythiques.
Deux orientations majeures reviennent à
propos de la relation entre mythe et connaissance. Selon la première, le
mythe est conçu comme un concept intellectuel et logique. Selon la
seconde, il est étudié dans sa signification imaginative,
intuitive -- soit comme un mode de perception différent des modes
de connaissance rationnelle et logique, soit comme un mode de connaissance
antérieur à la connaissance rationnelle.
L'un des pères de l'anthropologie britannique, sir
Edward Burnett Tylor, pense que dans les cultures archaïques le mythe
repose sur une illusion psychologique, sur une confusion de la
réalité objective et subjective, du réel et de
l'idéal. Il attribue au mythe une valeur morale. Un peu plus tard,
Robert Ranulph Marett voit dans le mythe une réponse émotionnelle
de la part des peuples primitifs à l'égard de leur environnement.
Il situe la signification du mythe à une étape intellectuelle
antérieure à la pensée rationnelle.
L'ethnographe Maurice Leenhardt explique le mythe comme
l'expression de l'expérience vécue par la communauté.
Ayant longtemps séjourné parmi les Mélanésiens, il
observe que ceux-ci répondent passivement aux réalités non
humaines, ne cherchant pas la maîtrise intellectuelle ou technologique de
leur environnement mais tentant de s'y adapter et de composer avec ses forces.
Il qualifie cette attitude de cosmographique et lie les mythes des
Mélanésiens à leur expérience cosmographique du
monde.
Lucien Lévy-Bruhl développe encore
davantage la notion de mentalité prélogique en avançant
que les peuples primitifs, en l'absence de toute catégorie logique,
acquièrent la connaissance du monde par une participation mystique
à la réalité et expriment cette connaissance dans leurs
mythes.
Andrew Lang (+ 1912) et Wilhelm Schmidt (+ 1954),
ayant noté la présence fréquente dans certains mythes d'un
« haut dieu », qui crée le monde avant de s'en
éloigner, établissent une distinction entre les mythes
présentant un dieu créateur et ceux qui n'en présentent
pas : pour eux, le concept de créateur provient d'une contemplation
métaphysique et non pas d'une évolution de la pensée du
prélogique au rationnel. Dans leur formulation, les mythes incorporent
simultanément le rationnel et l'intuitif.
Mircea Eliade expose une interprétation
du mythe à la fois rationnelle-logique et imaginative-intuitive. Selon
lui, le mythe révèle une ontologie primitive -- une
explication de la nature de l'être. Le mythe, par le biais des symboles,
exprime un savoir complet et cohérent ; malgré son apparence
triviale et sans fondement, il permet un retour aux origines, une
découverte ou redécouverte de la nature de l'homme. Paul Ricoeur
estime l'existence du mythe nécessaire pour appréhender justement
les origines, les processus et la profondeur de la pensée humaine.
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