S'agissant des moyens de lutte contre les
épidémies, Pierre Fadibo souligne que la lutte contre les
épidémies date de l'époque précoloniale. Mais selon
lui, cette lutte n'est jamais parfaite en raison des multiples facteurs
liés à la nature, aux hommes et à
l'épidémiologie de ces maladies. D'abord, les populations ne sont
pas assez éduquées et parfois ne se sentent pas concernées
par les campagnes d'éducation sanitaire. Les moyens adéquats ne
sont pas assez utilisés et lorsque le politique s'y mêle pour
justifier ses positions et ses budgets non utilisés à bon escient
en faisant un tapage médiatique sans action efficace sur le terrain,
c'est normal que les épidémies soient rebelles.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat Ph D, soutenue en
2006, et dont l'intitulé est Les
épidémies dans l'Extrême-Nord du Cameroun :
XIXème-XXème siècles, Pierre Fadibo
s'intéresse aux épidémies qui ont toujours jalonné
la Région de l'Extrême-Nord. Il faut souligner que cette
étude historique des épidémies dans l'Extrême-Nord
du Cameroun qui explore les facteurs épidémiologiques, les
manifestations, les conséquences et les réactions des populations
et des pouvoirs publics modernes est déjà amplement
développée dans l'ouvrage évoqué plus haut du
même auteur. Mais de manière tout à fait
particulière, il s'interroge sur les facteurs favorisant le
développement itératif des épidémies, leurs
origines et leurs manifestations. Par ailleurs, il questionne les perceptions
et les méthodes et moyens de prévention et de prophylaxie mis en
place tant par les populations locales que les pouvoirs publics modernes. Il en
résulte selon l'auteur que l'Extrême-Nord camerounais se
présente comme un champ épidémiologique actif de plusieurs
maladies transmissibles. Ce déterminisme géographique place la
région dans la ceinture de certaines endémies tropicales comme la
méningite cérébro-spinale, le choléra, la rougeole
et de la trypanosomiase humaine. Cependant, poursuit-il, ce déterminisme
est insuffisant, car l'épidémisation des maladies dans cette
région dépend également de la complexité des
interrelations existant entre les différents maillons de la chaîne
de transmission (réservoir, agent pathogène, vecteur et
hôte). En raison des facteurs morbides qui font de l'Extrême-Nord
camerounais un espace épidémiologique, les maladies tropicales
suscitées ont pu développer leurs effets néfastes pendant
les XIXème et XXème siècles. Les vieilles maladies comme
la variole et la trypanosomiase humaine ont été les plus
récurrentes avec des bilans catastrophiques. L'inventaire des
manifestations épidémiques de cette maladie laisse entrevoir plus
de neuf grandes phases épidémiques faisant chacune plus d'un
millier de victimes et plus de dix épidémies moins graves. Pierre
Fadibo conclut que sur le plan économique, les épidémies
ont aggravé la paupérisation des populations en ce sens qu'elles
les rendent invalides pour une longue période et entravent les
activités économiques. En plus du ralentissement des
activités économiques, les épidémies ont
arraché une grande partie de main d'oeuvre à l'Extrême-Nord
camerounais pendant plusieurs siècles. Elles constituent un frein aux
investissements divers, car elles mobilisent des moyens matériels
énormes de la part des populations, des pouvoirs publics et de la
communauté internationale. Au demeurant, les épidémies ont
toujours constitué un handicap au développement des
régions qu'elles parcourent. Elles se présentent donc comme l'une
des raisons que le retard économique du Cameroun septentrional en
général.
En fin de compte, cette étude fait un diagnostic de la
situation sanitaire des populations de l'Extrême-Nord camerounais de la
période précoloniale jusqu'à 1999. Elle explore les
forces et les faiblesses de la lutte entreprise tant par l'administration
coloniale que par le gouvernement camerounais et la communauté
internationale. Ainsi, pour une solution plus efficace contre l'éclosion
récurrente des épidémies, les pouvoirs doivent associer
à leur combat tous les spécialistes des sciences sociales qui
étudieront les peuples afin d'appliquer les stratégies
adaptées. Ils doivent en compte les études menées sur les
maladies et l'action médicale des pouvoirs publics. Pour ce faire, un
bon suivi des activités des comités de gestion de santé et
des comités de santé doit être fait par les structures
sanitaires. Si les différentes politiques de santé ont
échoué c'est à cause de la désinvolture de l'Etat
qui n'a pas renforcé le contrôle des structures
décentralisées et qui n'a pas mis les moyens suffisants pour
atteindre son objectif. Pour limiter considérablement
l'épidémisation des maladies, il faudra opérer une bonne
révolution des mentalités pour les décideurs et
gestionnaires afin d'éviter de servir des intérêts
égoïstes. Cette révolution des mentalités pourra
redonner confiance aux pays donateurs, ONG internationales nationales et
locales, et les amener à jouer pleinement leur rôle de
bienfaisance publique au lieu d'être des vaches à lait.
Dans le même ordre d'idées, Christian Seignobos a
réalisé une étude sur la variole, une autre
épidémie qui a causé des ravages dans le Nord-Cameroun
(SEIGNOBOS, C : 1995). Ce travail scientifique intitulé La
variole dans le Nord-Cameroun : Représentation de la maladie, soins
et gestion sociale de l'épidémie, révèle
que les populations du Nord-Cameroun eurent à subir les effets
de cette redoutable épidémie jusque dans les années de
l'indépendance. La variole souligne-t-il, « fut un
fléau dont les ravages dépassaient ceux de toute autre
épidémie ». Selon l'auteur, les appellations de la
variole expriment tout l'effroi qu'elle inspire. Il est allé puiser dans
plusieurs langues locales de la région pour trouver un nom à
cette épidémie. « En fulfulde, elle porte plusieurs
noms : ndagga, ataamu, gasrPdung, (...). Chez les Guiziga par exemple, la
variole était nommée Bi Mas-va, skwi biya = chose grande, en mafa
(mais aussi gidibir). vat nolda = la grande fin, en masa. Chez les Mofu et
apparentés (Gemzek, Mboku...), on parle de wow ma erlam = le feu de Dieu
à Duvangar, ou encore la langue du feu de Dieu à Durum, de awla
inpa bedam = le feu de la grotte chez les Mofu Gudur, de mo gara =la grande
maladie, chez les Mekeri' ».
Les articles qui traitent des épidémies ou de la
situation sanitaire au Cameroun ou au Nord-Cameroun sont nombreux. Les maladies
les plus traitées sont le choléra et la maladie du sommeil. Parmi
ces articles, les plus importants pour notre travail sont ceux de: Luc de
Backer, Francis J. Louis et Jean-Louis Ledecq traitent de la situation
sanitaire générale de l'Extrême-Nord du Cameroun (ATLAS
de la Province de l'Extrême-Nord : 2000). Ces auteurs mettent
en exergue la qualité des infrastructures médico-sanitaires, des
équipements, du personnel sanitaire et des médicaments de
l'Extrême-Nord du Cameroun de 1980 à 2000. En plus de ces
domaines, ils abordent la situation épidémiologique en faisant
allusion aux épidémies de choléra, la rougeole et la
méningite cérébro-spinale entre 1990 et 1992. Ces auteurs
traitent de l'évolution de l'organisation des services et des soins de
santé. Cet article très important pour notre travail ne traite
cependant pas de toutes les épidémies ayant sévi de 1960
à 2000. Il manque aussi un inventaire chronologique des
épidémies récurrentes et la réaction des
populations locales.
Une étude commandée par l'UNICEF en août
2001 retrace l'épidémiologie du cholera dans les quatre bassins
du lac Tchad de la période 1970-2003. Le rapport évoque la
progression de l'épidémie de l'Afrique de l'Ouest jusqu'au bassin
du Lac-Tchad. Il relève la récurrence des épidémies
dans cette zone écologique et pose le problème de l'accès
à l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène dans les pays
membres du bassin du Lac-Tchad. (Rapport UNICEF : pays du bassin du
Lac-Tchad, 2001).
2-2-TRAVAUX SUR LE CHOLERA
J. DUTERTRE et al. 3 étudient le choléra dans
l'ensemble du Cameroun (au Sud et au Nord). Ainsi ils présentent les
deux itinéraires utilisés par le choléra de Mopti pour
atteindre le Sud-Cameroun (février 1971) et le Nord-Cameroun (mai 1971).
DUTERTRE, J, HUET, C GATEFF, C. et DURAND, B : 1972). Ils
étudient les conditions particulières de chaque milieu ayant
favorisé la propagation rapide de l'épidémie. Ensuite, ils
abordent les conséquences humaines avant de relever les efforts
déployés pour enrayer le fléau dans chaque foyer.
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