2 - Les comptines
Les comptines se déclinent en albums, où texte
et image se répondent, avec souvent une prédominance de l'image
(malheureusement souvent criarde à outrance sous prétexte qu'elle
s'adresse aux petits). Elles s'accompagnent souvent d'un support « audio
», cassette au temps jadis et cédérom aujourd'hui. Genre
hybride par excellence, la comptine, entre patrimoine oral et patrimoine
écrit, représente souvent un des premiers contacts des
tout-petits avec les sons de notre langue. En ce sens, elle appartient donc
à ce territoire immense qu'est la poésie, mais aussi parce
qu'elles sont invitation à l'imaginaire, elles permettent à
l'enfant d'expérimenter des entorses au langage normé : non-sens,
mots inventés, mots allongés par des syllabes, ou tout simplement
absurdité des mots collés les uns aux autres, elles rappellent
une des fonctions de la poésie : échapper à la norme,
s'autoriser la magie, s'ouvrir vers un ailleurs. C'est souvent dans ce genre de
formulettes que l'on retrouve les « gros mots », les effets paillards
des phrases, les propos scabreux. Mais, dans cette profusion de publications de
comptines « tout n'est pas littérature »1, et la
qualité littéraire des textes publiés dans ce domaine est
parfois sacrifiée à la quête du profit. La plupart des
éditeurs de jeunesse à forte représentation sur le
marché du livre de jeunesse ont une collection de comptines. La
finalité est double : perpétuer une culture de la comptine
appartenant au patrimoine culturel, et créer de nouvelles formulettes,
favorisant ainsi la création et le divertissement chez l'enfant. Sous
prétexte que « tout ce qui est dit, cadencé et rimé
semble particulièrement toucher l'enfant qui ne sait pas lire
»2 on assiste à une formidable inflation de
créations de comptines et formulettes, de qualité tout à
fait inégale, où les seuls aspects poétiques sont souvent
des allitérations, rimes, utilisations d'onomatopées plus ou
moins judicieuses. La réduction du poétique à ces seuls
paramètres sert souvent une commande éditoriale en panne
d'idées innovantes, emportée dans des contraintes de publications
régulières portant le nom de « collection ». Depuis la
reconnaissance du bébé comme une personne, la littérature
et les jeux autour de cette classe d'âge se développent. Les
comptines et formulettes, si elles sont une forme de poésie, ont aussi
des fonctions linguistiques, psychologiques et symboliques. Les
possibilités des champs éditoriaux sont larges et l'on voit se
multiplier des productions de comptines, jeux de doigts ou formulettes sous la
forme de
1Expression empruntée à M. FERRIER
Bertrand, titre de son ouvrage publié aux Presses Universitaires de
Rennes, collection « Interférences », Rennes, 2009.
2CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, La
littérature de jeunesse, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2007, p.
27.
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publications de plus en plus diverses, qu'il s'agisse de
livres, de jeux ou d'objets : rééditions de comptines sur support
de plus en plus coloré et de plus en plus ludique, éveillant les
sens chez l'enfant. L'ouïe est sollicitée grâce au support
auditif, la vue grâce aux images et aux couleurs, le toucher grâce
aux diverses matières utilisées1 et aux formes
multiples2 (rondes, cubiques, en forme de ...) données aux
objets-livres, et même l'odorat est convoqué par des incrustations
d'odeurs dans le support3. Certaines collections utilisent aussi les
comptines comme support psycho-éducatif4. On ne sait plus
très bien si on a à affaire à un livre, à un jeu,
à un jouet ou à un objet pédagogique d'éveil...
mais on est souvent bien loin de la poésie. Certaines maisons
d'édition choisissent le support de l'album, association de l'image et
du texte, quelquefois accompagné d'un cédérom pour
valoriser l'oralité de ces comptines et pour rééditer des
comptines du patrimoine. Un autre phénomène participe de cette
inflation de publications. Il s'agit des rééditions comportant de
nouvelles mises en page, des qualités de papiers différentes ou
des modifications d'illustrations. C'est le cas par exemple de Comptines et
chansons pour s'endormir5 qui en est à sa
quatrième édition. N'oublions pas que ces textes du patrimoine
sont tombés dans le domaine public. C'est pourquoi tous les
éditeurs peuvent les utiliser pour de nouvelles publications.
De nombreux éditeurs spécialisés «
jeunesse », sont amenés ainsi à développer une
collection « comptines », laquelle comptera parmi les lignes les plus
rentables de la littérature pour la jeunesse, tant la place du «
bébé-lecteur » se développe : les comptines
constituent un patrimoine incontournable de notre société
dès l'âge de la crèche.
Dans les anthologies de poèmes ou de comptines, il est
rare de trouver les noms d'auteurs contemporains. En raison de leur fonction de
transmission de la poésie, les anthologies, qui se renouvellent
malgré tout, ne proposent que rarement de la poésie
contemporaine. Il faut en effet du temps à un poète avant
d'être édité, et davantage encore
1Mon tout premier livre de comptines, Ill.
F. LAND Collection : Petit Nathan, 2005 : Les premières comptines et les
premières notions adaptées aux tout-petits et proposées
sous forme de livres-matières.
27 comptines à jouer, Ill.
Oréli, Bayard Jeunesse, 2011, coll. Ma toute petite bibliothèque
: Sept comptines et jeux de doigts qu'on a plaisir à chanter et à
mimer avec les tout-petits, mises en images et réunies dans un joli
cube.
3LALLEMAND Orianne, Mon premier livre des odeurs
et des couleurs, éditions Auzou, 2009. Voici des fruits à
découvrir grâce à leur couleur et à leur odeur. Une
comptine amusante et facile à retenir donne des indices. Cet
éditeur décline toute une collection de livres des odeurs et des
couleurs.
4DIEDERICHS G., concepteur, Mes
premières comptines de relaxation, Ill. E. Hayashi Collection :
Petit Nathan, 2007 : Couplant l'écoute de sons de la nature (cri des
animaux, bruits de vagues...) et des comptines avec indications de mimes ou de
massage, ce livre-CD accompagne l'enfant dans la découverte de son
corps, l'éveillant en douceur ou lui permettant de trouver le sommeil
plus facilement. En quatrième de couverture, on trouve une
présentation de Gilles Diederichs, musicothérapeute, sur
l'importance de la musique, des sons et des massages dans le
développement de l'enfant.
5Comptines et chansons pour s'endormir,
ill. LE GOFF Hervé, Père Castor/flammarion, Coll. Les p'tits
Albums, Paris, 2008.
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avant que sa valeur ne fasse de lui un auteur reconnu. Certes,
les nouvelles formes d'anthologies de poésie pour la jeunesse sont sans
doute le signe précurseur d'un nouveau statut de la poésie pour
la jeunesse. Mais, la poésie contemporaine, elle, doit trouver, pour
l'instant, d'autres chemins pour faire entendre sa voix, et le recueil est un
support plus porteur de renouveau dans ce domaine.
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