Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?( Télécharger le fichier original )par Agnès Girard Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013 |
3 - « Les voix du poème »41DAVID François, Tirelivre, Op.cit. 2< http://motus.zanzibart.com>, « Livres-objets ». 3Enseignant, rédacteur de la revue Marginales, Philippe Geneste est l'auteur de nombreux articles publiés dans les revues L'École émancipée puis L'Émancipation, Plein Chant, Gazogène, a écrit un article sur Tes mots sur mes mots de François David dans : http://lisezjeunessepg.blogspot.fr/2011. 4Thème choisi par les manifestations du quinzième Printemps des poètes (2013). 87 Le partage de la poésie passe aussi et principalement par la mise en voix des poèmes. Si l'oralisation du poème permet à la poésie une dynamique, elle est aussi une occasion d'éprouver la réception de l'enfant en la confrontant à une poésie nouvelle, drôle ou grave. Les manières dont les poèmes peuvent rencontrer leurs publics sont multiples, les nombreux salons de poésie regorgent d'idées plus originales les unes que les autres. Dans le cadre de ce travail, deux expériences intéressantes ont permis de mettre en exergue la confrontation de la poésie et de l'enfant à partir des textes édités chez Møtus. La première est la mise en voix des poèmes de la collection Pommes Pirates Papillons par les Brigades d'Intervention Poétique (BIP)1 : groupes de comédiens et musiciens, qui entreprennent de nombreuses actions-surprises en tous lieux publics pour la diffusion orale de la poésie. Un corpus de textes d'auteurs contemporains principalement, d'ici et d'ailleurs, sont mis en voix et en musique. La BIP de Basse Normandie2 a proposé à plusieurs occasions de mettre en bouche les textes des éditions Møtus dans les écoles, collèges et lycées de la région. La soudaineté de l'intervention place encore une fois la poésie au coeur du quotidien, la surprise éveille les sens. Le spectacle mis en place de façon plus statique est aussi proposé dans les médiathèques ou des lieux de spectacle, dans la rue, lors d'occasion qui permettent la rencontre de la poésie avec le public. L'attrait principal de ces exhibitions est que la poésie sort des livres et prend vie. La mise en voix donne aux poèmes du corps, il devient la chair du poème. Lorsque la BIP de Basse Normandie interprète Le rap des rats3 le style Rap est musicalement restitué, les mots prennent une autre texture. Les artistes s'amusent de la musicalité du texte et donnent une interprétation personnelle de ce poème. Le texte vit, les mots se partagent, le public, conquis accueille à travers le rythme et la musique, les intonations et les accents, un texte qu'il n'aurait sans doute pas lu de la même manière individuellement. Alors les vers d'Andrée Chedid prennent sens : « Rythmes D'où vient le son Où va le sens Qui se dérobe 1Les Brigades d'Intervention Poétique ont été crées en 1998 dans le cadre des Langagières, quinzaine autour de la langue et de son usage organisée par la Comédie de Reims, Centre Dramatique National. Le concept a été mis en place par Christian Schiaretti et Jean-Pierre Siméon. 2BIP de Basse Normandie : une comédienne, Malika Labrume, une accordéoniste, Monique Lemoine et un contrebassiste, Renald Fleury. 3Op.cit. 88 D'où vient le mot La BIP permet une poésie vivante et joue son rôle de passeur dans la mesure où elle permet à l'enfant d'exercer son oreille poétique. La voix devient le vecteur incontournable qui donne vie au poème et qui permet à l'enfant ou à d'autres publics, les sens en alerte, l'invitation à la poésie. Une rencontre qui pourra se prolonger dans la lecture des recueils que les artistes prennent soin de montrer (livres, textes et illustrations). La promotion de la poésie est ainsi comblée, quand elle atteint son public par la voix, elle incite aussi à la lecture. La voix se fait alors le vecteur du texte « le chant qui nous entraîne ». Cette oralité place le lecteur dans le groupe, dans la rue, au coeur de la cité et la poésie est prétexte à l'échange dans ce groupe, elle tisse du lien social. « Ainsi chemine Le langage de terre en terre de voix en voix Ainsi nous devance La deuxième expérience est la rencontre d'un poète avec les enfants d'une classe. Quels sont les enjeux d'une telle rencontre ? Ils sont multiples et participent aussi à redonner vie à la poésie. Au début d'un atelier avec Thierry Cazals3, auteur publié chez Møtus, le poète se présente : poète mais homme avant tout. La présentation de sa pratique est ancrée dans le quotidien. La présentation du poète est longue, elle prend son temps, mais elle est rebondissante d'exemples concrets : sa vie parisienne, ses enfants, sa scolarité et ses cours de français, ses rencontres, ses émotions, sa pratique poétique. Cette introduction permet 1CHEDID Andrée, « Épreuves du langage », États provisoires du poème II, La Comédie de Reims et Cheyne Éditeur, 2000, page 13. 2CHEDID Andrée, « Épreuves du langage ». Op.cit. 3Atelier du vendredi 24 mai avec les enfants de la classe de 5ème de Mme Vastel du collège Jacques Monod à Caen. 89 indéniablement aux enfants de comprendre que le poète, celui-là, que l'on peut toucher, avec qui l'on parle est un homme comme les autres. L'accessibilité engendre la pratique : s'il écrit des poèmes, nous pouvons aussi le faire, d'ailleurs il nous en persuade. Petit à petit, un mot, une émotion, une sensation, mais aussi un sourire, un échange, un clin d'oeil, une main guidée le poète n'explique pas il guide. Il n'est plus seulement passeur, il devient « faiseur » de poésie. L'exercice est si simple et si difficile en même temps : aller chercher dans son expérience, dans son vécu des mots pour dire. Dire quoi ? Dire comment ? Sonder ses émotions intérieures est un exercice guère pratiqué dans l'expérience des jeunes apprentis poètes. Alors le poète accompagne, se fait « accoucheur » du mot, de la formule recherchés, sans jamais en proposer d'autres, attendant ceux qui provoqueront l'émotion. Dans cette démarche, Thierry Cazals permet une rencontre, qu'Alain Freixe définissait ainsi : « cet entre deux, cette dimension à chaque fois neuve et inouïe d'un je et d'un tu, cet espace tiers entre un toi et un moi, espace autre, par où passer est possible. C'est dans cette rencontre que je définirais volontiers par ses qualités - timbre, tons, résonances, couleurs... - que se joue la transmission. [...] Ne s'agit-il pas d'être des passeurs de poésie ? »1 Dans cette pratique de « faiseur » de poète Thierry Cazals emprunte cette citation à Ogiwara Seïsensui, poète japonais : « Le haïku est comme un cercle, une moitié fermée par le poète, l'autre moitié par le lecteur ». A travers cette rencontre, les élèves de la classe de cinquième ont tous été initiés à la pratique du haïku, l'espace d'un moment, ils ont offert leurs mots, leurs émotions aux autres et sont devenus un instant « poète ». Thierry Cazals a commencé cette rencontre en racontant son premier contact avec la poésie, à l'école, lorsqu'un professeur leur avait fait faire un cycle d'apprentissage sur la poésie, la découvrant et l'écrivant. La boucle est bouclée, eux aussi sont devenus « poètes » sur ce temps limité, mais peut-être ont-ils senti que la poésie est accessible, pouvant être faite par tous et pour tous. Pour ce poète il s'agit, comme le disait Montaigne d' « allumer des feux », non pas de « remplir des vases ». Ces manifestations autour de la poésie, les rencontres avec les poètes, les salons de poésie, la semaine de la poésie à travers le Printemps des poètes, témoignent d'un renouveau dans les pratiques permettant de rendre la poésie accessible. Elles sont aussi l'occasion pour les enfants de s'exercer à la pratique poétique « Les voix du poème » offrent une ouverture nouvelle sur le texte poétique, le rendant accessible autrement et invitant à devenir poète. 1FREIXE Alain, « L'heure des étoiles » dans La revue de l'AFL, Les actes de lecture n°67 septembre 1999. Texte rédigé par Alain Freixe, après son passage dans plusieurs écoles d'une ZEP. Alain Freixe est poète, enseignant et chargé de mission « Poésie » à la Délégation à l'Art et à la Culture du rectorat de l'académie de Nice. Il n'écrit pas de poésie pour la jeunesse. 90 |
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