B - Les singularités
Une édition « soutenue », mais une
création poétique volontaire, exigeante qui ne perd pas son
âme face aux injonctions économiques, telle est la volonté
de François David. Cette exigence de qualité appelle des
procédés originaux qui constituent sa politique
éditoriale.
1 - Un catalogue original
La plupart des maisons d'édition proposent des
catalogues annuels très attractifs (illustration, qualité du
papier, choix des formats...) qui présentent les nouvelles publications
de la maison, en même temps que les ouvrages plus anciens,
soulignés d'une revue de presse. Certaines grandes maisons
d'édition sortent même plusieurs catalogues annuels, jouant des
thèmes, des saisons, de l'âge des lecteurs ou des attentes des
médiateurs. Le travail que cela représente est chronophage et les
coûts importants. Et on le sait, la majorité des catalogues
finiront avec la liasse familiale des papiers recyclés, dans une
poubelle. Cependant, c'est une devanture que les maisons d'édition ne
peuvent pas négliger. Véritables vitrines, avec les sites
internet, les catalogues sont l'outil indispensable de tous les
médiateurs du livre. Pour l'éditeur c'est une force de vente
qu'il ne faut pas rater, aussi les catalogues rivalisent-ils entre eux et
d'originalité et de beauté. Møtus confectionne son «
catalogue évolutif » de façon atypique.
1HELD Jacqueline, « Poésie jeunesse et
"petits éditeurs" » dans la revue Nous voulons lire
n°152, décembre 2003, p. 35.
60
Outre la fait de ne pas gaspiller du papier, ce catalogue a
l'avantage de témoigner d'une recherche créatrice et
d'économiser du temps de travail pour sa mise en page.
Il se présente comme un dossier. Une couverture rouge
à rabat cartonnée, où, en première de couverture
sont apposés le nom des éditions et son ø barré, et
le logo dessiné par Henri Galeron : une bouche avec la lèvre
supérieure en forme de livre ouvert. Les mots « Catalogue
évolutif » sont précisés par la mention « fonds
& nouveautés ». La quatrième de couverture nous explique
le fonctionnement du catalogue agrémenté d'une illustration
d'Henri Galeron.
« Si vous souhaitez avoir un oeil sur tous les ouvrages
publiés par Mtus il vous suffit de conserver ce catalogue et d'y glisser
les suppléments annuels »
Dans ce rabat se trouvent cinq petites brochures
agrafées où tout le fonds des éditions est regroupé
en plusieurs collections : « poésie » compte la
collection Pommes Pirates Papillons, comprenant vingt-deux recueils et
les rééditions de trois recueils adultes publiés aux
débuts de la maison d'édition ; la brochure « Albums et
Contes » regroupe douze albums ; La brochure « Mouchoir de
poche » présente les ouvrages de la collection du même
nom ; les pages consacrées aux « Inclassables »
présentent neuf ouvrages regroupés avec les «
Livres-objets » au nombre de douze ; puis, la dernière
brochure accueille les vingt-quatre « Poèmes-affiches
» et les vingt-neuf « cartes postales ».
Depuis l'année 2010, le caractère évolutif est
souligné par l'ajout d'une nouvelle brochure annuelle : les
suppléments 2010, 2011, 2012 présentent les nouveautés au
catalogue pour chaque année. Les brochures, de qualité identique
à celles des collections, reprennent une illustration choisie parmi les
nouveautés. La couverture apporte cependant le soin de faire
référence au logo des éditions Møtus. En 2010,
c'est l'illustration d'Henri Galeron pour le recueil Bouche
cousue1 qui est repris, en 2011, l'illustration de Lisa Nanni
pour l'album Du sucre sur la tête2 se complète
d'une petite pomme rouge barrée qui rappelle le ø scandinave et,
en 2012, l'illustration d'Olivier Thiébaut de la page de couverture
d'Un rêve sans faim3 nous propose une cuillère
en bois anthropomorphisée, bouche fermée. Cette volonté de
marquer chaque brochure révèle le travail de continuité
que l'éditeur veut donner à ses publications. C'est un point
nécessaire, nous semble-t-il, parce que le catalogue présente une
grande diversité qui peut déstabiliser le lecteur. Les
suppléments annuels empêchent la visibilité de la
collection des ouvrages, à part
1DAVID François, Bouche cousue,
ill. Henri GALERON, Landemer, Mtus, 2010. 2VINAU Thomas, Du
sucre sur la tête, ill. Lisa NANNI, Landemer, Mtus, 2011.
3DAVID François, Un rêve sans faim, ill.
Olivier THIEBAUT,Landemer, Mtus, 2012.
61
ceux de la collection « Mouchoir de poche »
qui est très visible. En effet cette collection se distingue par
son impression « en réserve » avec les textes et les
illustrations en blanc ou rouge (ou vert depuis 2011) sur des aplats noirs. Ces
choix graphiques différencient très nettement les livres de cette
collection des autres ouvrages. Cependant, le reste des ouvrages des feuillets
annuels du catalogue évolutif ne permet pas de situer les albums ou les
recueils dans les collections préexistantes. Un détour par le
site internet1 est nécessaire où l'on trouve une page
par collection. L'avantage de cette forme évolutive est
l'économie de papier, donc l'amoindrissement des coûts. Le travail
effectué concerne les dernières parutions de l'année et
ainsi ne demande pas une nouvelle mise en page qui pourrait paraître
fastidieuse, entremêlant les anciennes publications aux nouvelles. Le
fait d'avoir séparé le fonds des nouvelles parutions incite aussi
l'utilisateur de ce catalogue à le conserver. La nuisance du gaspillage
du papier est moins importante. Conservées dans son dossier rouge
cartonné et illustré de petite taille (12,5 cm sur 18,5 cm), les
nouvelles brochures annuelles s'encastrent les unes après les autres.
L'originalité de ce catalogue ne manque pas d'interroger le lecteur qui
a davantage l'habitude de tenir dans ses mains un catalogue classique,
François David souligne que « d'ailleurs la réaction de
presque tous les visiteurs dans les Salons est de trouver ce catalogue non
seulement original, mais beau, et aussi d'apprécier le côté
évolutif. Je ne sais combien de fois j'ai entendu la remarque "et en
plus, c'est écologique" »2. N'est-ce pas le début
d'une démarche créatrice que nous propose cet éditeur,
nous faisant nous interroger dès l'origine de ce catalogue sur sa place
dans le monde de l'édition ? La démarche du catalogue «
évolutif » est pour le moins atypique et présente des
aspects économiques et écologiques intéressants.
Cependant la différence entre certaines collections ne
semblent pas très nette. C'est le cas par exemple de la collection
« Albums et contes » et celles des « Inclassables »
où l'on trouve dans la première des livres très originaux
comme La tête dans les nuages qui ne raconte pas une
histoire illustrée mais des textes poétiques sur les
illustrations de Marc Solal, ou comme Nasr Eddin Hodja, un drôle
d'idiot qui appartient au patrimoine des contes et légendes du
monde et cependant catalogué dans les « Inclassables
». De même on trouve certains ouvrages comme Sens
dessus dessous qui propose, sur le principe des ambigrammes, un livre de
poésie dans la rubrique « Inclassables ». Ainsi, aussi du
recueil de poésies d'Alain Boudet, Le rire des cascades, qui
n'appartient pas à la collection Pommes Pirates Papillons. Les
nouvelles sorties des ouvrages dans les petites brochures annuelles ne
donnent
1<
www.motus.zanzibart.com>
2 Echanges de mails avec François David du 15
mai 2013, avec son aimable autorisation.
62
qu'exceptionnellement leur appartenance à telle ou
telle collection. La volonté de produire des livres uniques et
singuliers explique sans doute ce brouillage des frontières entre genres
littéraires. Ainsi, pour mettre en évidence les haïkus de
Thierry Cazals , la forme oblongue de Le petit cul tout blanc du
lièvre', ne convient pas au format de la collection Pommes Pirates
Papillons. Le recueil sera alors publié dans un format à
part, pensé comme un objet unique, classé dans les
Inclassables. Le lecteur, amateur de poésie, ne pourra pas se
contenter d'un coup d'oeil à la rubrique « Poésie » au
risque de passer à côté d'oeuvres de poésie dans les
autres fascicules, tant tous les livres de Møtus proposent des textes
poétiques.
Le catalogue des éditions Møtus a
été, comme chaque ouvrage de cette maison, pensé comme un
objet unique et une façon d'interpeller l'utilisateur sur sa fonction.
La catégorisation des ouvrages est floue. Mais n'est-ce pas sur la
question des collections que veut nous faire réfléchir
François David ?
|