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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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Chapitre II - Quelles sont les

particularités de Møtus ?

(c)Mtus

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On le voit nettement dans la place que la poésie prend dans les publications pour la jeunesse, elle est un genre que certains ont pris le parti de « sauver ». C'est par des démarches engagées, que la poésie contemporaine, vigoureuse mais souffrant d'une crise médiatique, trouvera le moyen de se hisser à la portée des petites mains d'enfants qui grandiront. L'aspect économique peu porteur du secteur et paradoxalement la vigueur de sa création se trouvent relayés par des structures qui ne présentent pas toujours une « étiquette » de normalité. Les singularités des éditions Møtus placent cette maison aux frontières de la chaîne éditoriale contemporaine. A l'exercice de l'analyse de ces fonctionnements « atypiques », nous interrogerons la place du livre de poésie afin de rendre compte de l'impact de ces particularités sur la reconnaissance de ce genre.

A - Une structure associative engagée

En mettant l'accent sur le côté artisanal de ses productions à ses débuts, Møtus fait le pari de donner à la poésie une certaine place dans le monde éditorial. L'enjeu est le même : faire vivre la poésie et même si les chemins pour y parvenir sont semés d'embûches, les sentiers de traverses sont souvent l'occasion d'arriver à bon port.

1 - Des débuts difficiles

Pour les éditions Møtus l'aventure de la littérature jeunesse prend naissance en 1992. Cette date explique notre volonté de situer cette recherche à partir de cette année précise. Mais « au début, il y a bien failli ne pas y avoir de début »1 souligne François David.

Avant la création des éditions Møtus , François David lance la revue VOIX / E / S , revue du texte court. Le projet regroupait un auteur de nouvelle, « genre méprisé » selon François David, deux comédiens et un musicien qui enregistraient la nouvelle et la musique car le support était une cassette, un illustrateur pour la couverture et le petit livret de la revue. Le constat d'échec est rapide : « Trop difficile. Trop d'ennuis. Trop coûteux »2. Cette expérience a duré à peu près un an, avec la parution de cinq numéros. Mais deux tendances apparaissent : l'amour du texte court, et la collaboration avec des illustrateurs comme André François ou Claude Lapointe, et des auteurs comme Jean L'Anselme.

1DAVID François, « Møtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.6. 2Ibjd.

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Malgré cette rude expérience, les éditions Møtus sont fondées en 1988, à la suite de deux évènements. Le premier est l'acquisition d'une imprimante à marguerite1 qui permettait une jolie impression sur des supports épais. Le deuxième événement est l'envie d'éditer les textes d'un ami, poète, que les éditeurs ne prenaient pas le risque d'éditer parce que la poésie ne se vendait pas trop. Malgré les difficultés de la revue VOIX / E / S naît le projet d'éditer ces textes courts de façon artisanale : imprimante à marguerite, reliure des feuillets à la machine à coudre et couverture au papier fabriqué feuille à feuille. Le premier texte inédit édité est Littorines2 de Michel Besnier3, proposé d'une part dans une belle édition publique, d'autre part dans un coffret avec une gravure originale en frontispice. Les éditions avant 1992, publient donc des textes de poésie générale. L'accueil des ouvrages est chaleureux mais le travail artisanal ne permet pas une production en grand nombre. L'investissement dans un matériel un peu plus performant permet des publications plus nombreuses mais encore réalisées de façon artisanale. Les éditions ne se fixent pas d'objectifs chiffrés, elles comptent sur les ventes d'un ouvrage publié pour tenter d'en publier un nouveau. L'édition se fait prudemment, au jour le jour, et l'intérêt des textes et la beauté des ouvrages fabriqués plaisent : la couverture est en papier vélin de Rives et les pages intérieures en Centaure ivoire. Le tirage public se doublait d'un tirage de tête encore plus sophistiqué. Treize recueils sont édités. L'aventure dure cinq années, trois textes réédités sont à nouveau au catalogue : Littorines de Michel Besnier, Eclats de LoIc Herry et Fugue de François David. Les années sont difficiles, et François David souligne : « même les poètes les plus ardents à saluer la qualité de nos livres n'allaient pas jusqu'à les acheter »4. les exemplaires se vendent peu mais la volonté de publier de la poésie inédite, le plaisir du texte et l'accueil chaleureux donnent l'élan nécessaire pour faire perdurer cette aventure.

Puis, en 1992, à l'occasion d'une soirée organisée à Cherbourg avec les deux derniers auteurs publiés, des textes que Jean-Louis Maunoury avaient écrits pour les jeunes lecteurs sont mis en voix par des élèves de théâtre. La salle est enthousiaste et l'envie de publier ces textes se concrétise. Bestiole et bestiaux5 paraît en 1992 et marque le début des éditions pour

1Imprimante qui se caractérise par la disposition, sur un disque plat rotatif (marguerite), des caractères à frapper. Pour imprimer, un ruban imbibé d'encre est placé entre la marguerite et la feuille de telle façon que lorsque la matrice frappe le ruban, celui-ci dépose de l'encre uniquement au niveau du relief du caractère.

2BESNIER Michel, Littorines, Landemer, Mtus, 1988.

3Michel Besnier est né à Cherbourg en 1945, professeur de lettres, il est l'auteur de poèmes, essais, nouvelles et romans dont le premier, Le bateau de mariage (Seuil, 1988), a fait l'objet d'une adaptation au cinéma.

4DAVID François, « Mtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.7. 5MAUNOURY Jean-Louis, Bestioles et bestiaux, ill. de MONT-MARIN Consuelo, Landemer, Mtus, 1992.

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la jeunesse. C'est donc « sans but » que ce tournant se fait, né du hasard d'une rencontre entre un public, des auteurs et un éditeur. La confection artisanale perdure : le peu de moyens financiers oblige les éditions à fabriquer eux mêmes leurs ouvrages. La collection Pommes Pirates Papillons propose des livres publiés au fur et à mesure des demandes, avec une avance d'une vingtaine d'ouvrages seulement. La mise en page est réalisée par François David, les couvertures en couleurs sont commandées chez un imprimeur, les pages intérieures sont imprimées par les éditions Møtus en quantité minime et réimprimées à la demande en assurant une petite avance, la reliure est faite par les membres de la maison d'édition. Le produit est conçu de façon encore artisanale. François David évoque lui-même la « présentation [alors] un peu frustre » (reliure en spirales visible)des deux premiers ouvrages s'agissant de la littérature jeunesse où le public est habitué, durant ces années, aux couleurs vives et aux grands formats. En parallèle de la qualité des textes et des illustrations, par un travail déjà engagé sur l'esthétique, le travail sur l'objet-livre se poursuit donc car l'aspect formel du livre de poésie est un atout indéniable de médiation. Pourtant déjà...

Les ventes des ouvrages de poésie pour la jeunesse se développent, la poésie se lit, les livres de Møtus s'achètent. La surprise est heureuse mais la première difficulté se fait alors sentir : il faut répondre à la demande ; un choix s'impose alors : les éditions ne peuvent continuer à publier à la fois des livres de poésie tout public et des livres de littérature pour la jeunesse. Le dernier recueil de poésie « adulte » est publié en 1988. Le choix éditorial est fait, même si la douleur d'arrêter d'éditer les auteurs pour « adulte » est encore décelable dans les propos de François David. Les éditions Møtus se spécialisent dans la littérature pour la jeunesse. Avec ce tournant, s'anime le débat de la reconnaissance d'une littérature destinée à la jeunesse. Face à la réaction d'un auteur, amer de voir s'envoler ses espoirs d'être publié en poésie adulte par Møtus et lançant que cela donnera à la maison peut-être plus de « clients », l'éditeur répond « que Møtus n'avait certainement pas pour objet de viser un puissant chiffre d'affaires, mais que voir un nombre de lecteurs grandissant témoigner de leur intérêt en achetant [leurs] livres était pour [eux] un chaleureux et précieux encouragement »1. Le texte et les illustrations choisis dans ces recueils expliquent le succès rencontré par les ouvrages édités. Certes, les publications n'avoisinent pas les grands chiffres des sorties des albums à succès, mais s'agissant de poésie, les chiffres sont très bons et dépassent les éditions de poésie

1DAVID François, « Møtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.7.

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pour adulte : aujourd'hui la plupart des titres sortent entre 2 000 et 3000 exemplaires et la réédition de certains ouvrages atteint les 13 000 exemplaires.

Les débuts de cette maison d'édition atypique, née sous le signe du hasard, ont été difficiles, mais la prise de risque et l'engagement sont deux facteurs qui ont consolidé cette structure associative, lui permettant de faire évoluer la conception de la poésie pour la jeunesse et sa médiation.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo