CONCLUSION GÉNÉRALE
La nuit est une période marquée surtout par
l'obscurité. Mais comment comprendre qu'elle ait autant de succès
auprès des hommes en général et ceux de la ville de
Ngaoundéré en particulier ? Le succès de la nuit
vient du fait que les hommes qui y vivent ne peuvent justement pas être
vus et surtout ne veulent pas être vus. Ils profitent de cette
obscurité pour pouvoir mieux laisser s'exprimer leur être.
Pour la clientèle des commerçants qui exercent
de nuit, la vie à ce moment-là représente un espace
avantageux de par son obscurité. Où on peut agir sans se soucier
des règles sociales, sans se soucier du regard des autres, parfois plus
enclin à nous juger que notre propre conscience. Le fait même
d'être dans une ville où les interdits traditionnels et religieux
sont assez forts ne fait alors qu'augmenter ce sentiment de liberté
qu'offre la nuit.
Ainsi, notre travail sur la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré s'est porté sur les travailleurs de nuit. Les
difficultés sociales contraignent de plus en plus de personnes à
trouver leur pain quotidien pendant cet espace de temps. Ce n'est guère
de gaieté de coeur que les travailleurs de nuit font leurs
activités. Trois explications s'offrent à l'observateur
attentif : ces activités de nuit sont menées dans l'espoir
d'un mieux être (cas de Pierre, gérant de call box) ; elles
apparaissent aussi comme une alternative, faute de mieux (la
prostitution) ; enfin, pour certaines personnes, les revenus tirés
ici sont tout simplement une bouée de sauvetage (Mme Ngan Jeanne et la
vente de beignets).
La similitude des histoires de vies des travailleurs de nuit
nous permet de nous rendre compte de fait, que la vie de nuit dans la ville de
Ngaoundéré n'est que la résultante d'une situation
économique désastreuse dans le pays. En effet, l'augmentation du
nombre de travailleurs de nuit peut aisément être associée
à la conjoncture ambiante. Les premières vagues migratoires
importantes, comme nous l'avons souligné, interviennent bien avant les
années 1950 avec l'arrivée des bamiléké qui aura
pour conséquence la création du quartier Baladji en 1952. Mais,
les migrations ne sont pas ici plus importantes qu'ailleurs. La plupart des
activités vont véritablement prendre racines à partir des
années 1980. L'inauguration du Transcamerounais de 1974 facilite
déjà les déplacements et permet aux populations du Sud du
pays de découvrir cette localité pleine de promesses. Le bitumage
de l'axe Garoua-Ngaoundéré a le même effet par rapport aux
populations du Grand-Nord. Il faut noter que c'est aussi à cette
période que les premières guerres en Centrafrique et au Tchad
commencent à sévir. Ce qui aura pour effet de drainer une
importante population d'étrangers sans le moindre revenu dans la ville
de Ngaoundéré.
La crise économique qui touche le Cameroun intervient
à la fin des années 1980-début de la décennie 90.
Elle est la conséquence de la baisse des prix des matières
premières tels que le cacao, le café et la baisse de la
production pétrolière. Face aux exigences du FMI (Fonds
Monétaire International) et de la Banque Mondiale, le pays sera
obligé de se plier aux P.A.S. (Programme d'Ajustement Structurel).
Ainsi, il s'agira de compresser considérablement dans la fonction
publique, de baisser les salaires, et de mettre un frein aux recrutements du
personnel. Le secteur informel va donc de plus en plus prendre une place
importante, face aux difficultés qu'éprouve le secteur
privé à réembaucher toutes ces personnes sans emplois.
Cette décennie va voir les populations quitter
progressivement les grandes villes que sont Douala et Yaoundé, pour se
diriger vers les villes jusqu'ici négligées telles que celles du
Grand-Nord. Ces migrations s'accentueront avec la récession
économique des années 2000. Aujourd'hui, il apparaît que la
plupart des personnes travaillant de nuit dans la ville de
Ngaoundéré s'y sont installés entre 1990 et 2004.
Ces difficultés économiques ont aussi
facilité la criminalité et la dépravation des moeurs. Les
individus deviennent près à tout pour avoir de quoi manger. La
démission du rôle parental n'est pas en reste dans ce lot de
problèmes que pose la vie de nuit. Notre travail nous a permis d'arriver
à la conclusion que se sont les vicissitudes de la vie qui obligent les
hommes à travailler de nuit. Tout le monde veut pouvoir dormir de nuit,
tout le monde veut pouvoir se reposer ou s'amuser pendant ce moment-là.
Mais, l'idée du lendemain ramène très rapidement à
la réalité.
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