B) La population migrante
1) Visibles mais peu nombreux
Les ARH, comme nous l'avons vu, ciblent indistinctement tout
ressortissant étranger dans une situation de grand dénuement, y
compris les citoyens européens. Or, depuis 2007, les ARH au
départ de la France sont versées, en grand nombre, à des
ressortissants roumains. Dans les documents de l'OFII, pour l'année
200829, les aides à la réinstallation ne sont pas
mentionnées mais 8 245 Roumains auraient bénéficié
d'une aide au retour humanitaire, sur un total, toutes nationalités
confondues, de 10 212 personnes. Les Roumains sont donc les premiers
bénéficiaires de ces programmes. De plus, les Roumains reconduits
dans le cadre d'ARH sont « quasi exclusivement des Roms30
».
Tableau 1 :
L'aide au retour humanitaire de 2006 à 2008.
10000
4000
8000
6000
2000
0
2006 2007 2008
TOTAL ROUMAINS ROUMAINS
TOTAL
Source : OFII. Réalisation : A. Guitton.
À l'inverse, les aides à la
réinstallation ne sont prévues que pour une liste bien
définie de pays. La Roumanie est le seul de ces pays appartenant
à l'Union européenne.
Le nombre des Roumains présents en France est largement
supérieur à celui des Bulgares. La présence des
ressortissants roumains en France peut donc justifier le fait qu'ils sont les
bénéficiaires majoritaires des ARH. Néanmoins, ceci
n'explique pas pourquoi la Roumanie est le seul membre de l'UE pour lequel des
aides à la réinstallation ont été mises en place.
Dès lors, il convient de questionner la notion de «
représentation ». L'imaginaire collectif des français
attribue des caractéristiques spécifiques aux Roumains. Un
amalgame est souvent opéré entre Roumains et Roms. De plus, les
Roms sont encore trop souvent qualifiés de « voleurs de poules
».
Une frontière culturelle serait-elle toujours
présente dans les représentations alors même que les
frontières matérielles tendent à disparaître ? La
théorie d'une « hiérarchie des assimilables »31
29 Annexe 4 : ARV, ARH, 2008.
30 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM, Rapport
2008.
31 Cette théorie eut une influence majeure, notamment au
XIXème siècle et au début du XXème.
15
fut, longtemps après les travaux de G.
Mauco32, remise au goût du jour par un club d'extrême
droite nommé « les bien-pensants ». Selon cette
théorie, les différences culturelles, (et/ou
phénotypiques) entre plusieurs communautés, peuvent expliquer des
niveaux d'assimilation33 différents. Ainsi, plus la culture
d'une communauté est considérée comme
éloignée de la culture dominante du pays d'accueil, moins cette
communauté serait en mesure d'être assimilée à la
communauté dominante. Bien que n'étant absolument pas
fondée sur des faits scientifiques, cette forme de pensée s'est
diffusée dans la société. Cette « théorie
» s'apparente donc à une idéologie xénophobe. Cette
« hiérarchie des assimilables » trouvant toujours un
écho aujourd'hui, il est possible de l'utiliser pour analyser
l'imaginaire collectif français. Ainsi, bien que Européens, les
Roms roumains seraient considérés comme trop
éloignés, culturellement, des français, pour être en
mesure de trouver leur place au sein de ce pays.
Enfin, ce titre de partie a été choisi en
référence à de l'ouvrage dirigé par Dana Diminescu
sur les circulations migratoires roumaines. Elle justifie elle-même ce
titre en expliquant que « c'est ainsi que l'on parle couramment des
migrants Roumains, de chancelleries en salles de rédaction de journaux.
Cela sans doute pour marquer la spécificité de cette migration,
mais aussi pour tempérer l'inquiétante impression due à la
couverture médiatique dont elle est l'objet. »34
L'opinion publique est en effet plus sensible à la visibilité des
étrangers qu'aux statistiques.35 Les médias ont un
rôle important dans la visibilité d'une communauté et la
création d'un imaginaire collectif sur cette communauté. En
effet, la presse est source de conversations, elles mêmes sources
d'opinions et de l'Opinion publique. « La presse unifie et vivifie les
conversations, les uniformise dans l'espace et les diversifie dans le temps.
Tous les matins, les journaux servent à leur public la conversation de
la journée. »36 Lorsque l'Opinion publique est
formée, la presse doit en tenir compte et lui apporter des sujets qui
l'intéresse et la nourrit. La presse et l'Opinion sont liées par
un ajustement mutuel. Ceci est également vrai pour les hommes politiques
et la presse, ainsi que pour les hommes politiques et l'Opinion.
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