B. Une définition est-elle vraie en vertu de la
signification des termes?
Assigner des caractéristiques générales
à un concept est une convention, i.e. une décision arbitraire.
C'est sur la base de l'induction que nous estimons que « tout corbeau est
un oiseau noir » ; et c'est par accoutumance à cette
définition qu'il nous devient impossible de penser qu'un corbeau puisse
être blanc. Nous pouvons faire les mêmes remarques pour une
assertion telle que « l'eau ça mouille » ou « le feu
ça brûle ». Par induction, nous inférons que toute eau
(à l'état liquide) doit mouiller ou que tout feu doit
brûler, et nous sommes accoutumés à tenir ces
caractéristiques générales pour établies ; en sorte
que la négation de ces propositions, à savoir « l'eau
ça ne mouille pas » ou « le feu ça ne brûle pas
», nous paraît inconcevable.
Rappelons qu'une vérité analytique consiste en
un énoncé vrai en vertu de sa signification. Sous son influence
kantienne, Von Mises pense que les définitions sont vraies
analytiquement car constituent de simples tautologies, i.e.
répétitions du sens d'un concept. Kant ne reconnaissait pas un
contenu factuel aux définitions, i.e. un contenu
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portant sur les faits de la réalité; Von Mises
n'hésite pas à franchir ce pas, sauf exception pour les concepts
mathématiques et géométriques. Sa thèse est donc:
(1) que les définitions sont vraies analytiquement; et (2) qu'elles nous
informent sur les faits de la réalité, cette information
étant vraie analytiquement, i.e. vraie en vertu de la signification des
termes, et du coup vraie a priori, i.e. sans qu'il ne soit besoin de tester
empiriquement cette information pour s'assurer qu'elle est conforme à la
réalité et non pas fausse.
Il paraît difficile, en effet, de ne pas
reconnaître une information factuelle (relative aux faits de la
réalité) contenue dans les définitions. Ce qui est tout
à fait contestable, c'est que cette information soit vraie
analytiquement, i.e. en vertu de la signification des termes; et du coup vraie
a priori, i.e. indépendamment de toute confirmation empirique. C'est par
accoutumance à une définition que celle-ci nous paraît
vraie a priori : les raisons sont psychologiques et non pas
sémantiques.
Du reste, Von Mises est bien obligé de
reconnaître que c'est une expérience intérieure, i.e.
introspective, qui fonde la vérité du tout premier aspect de la
définition apportée au concept d'action humaine. Car nous dit Von
Mises, chaque homme fait l'expérience de son intentionnalité,
à moins d'être dans un état végétatif; et
c'est par conformité avec cette expérience
élémentaire et intersubjective que l'assertion qui
décrit l'action humaine comme un comportement intentionnel nous informe
objectivement sur la réalité. Von Mises est donc obligé de
reconnaître qu'il y a un élément de définition qui
est vrai non pas a priori mais vrai proprement a posteriori, i.e. par
conformité avec l'expérience.
Malgré ces difficultés, peut-être peut-on
trouver une solution satisfaisante pour le problème central
soulevé par la notion d'analyticité dans
l'épistémologie de Von Mises?
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