CHAPITRE 4 : DISCUSSION
L'étude menée sur la FC de Dida met en relation
des acteurs guidés par des motivations complexes et orientées
surtout vers la protection de leurs intérêts et le renforcement de
leur mainmise sur les ressources naturelles. La problématique de cette
forêt pourrait s'articuler autour de trois thématiques : la
pression sur les ressources comme source de revenus, la question du respect des
lois et la gouvernance environnementale dans le contexte de la
décentralisation.
? La pression sur la forêt comme source de
revenus
Des résultats de cette étude, il ressort que
l'existence des populations aussi bien installées dans la FC de Dida que
riveraines dépend étroitement des ressources de la forêt,
par la pratique surtout de l'agriculture itinérante et du
pâturage. Ces populations sont attirées par les terres de la
forêt classée comme l'a tantôt affirmé MALDAGUE
(2003). Il est indéniable que les revenus tirés par ces
populations locales de ces ressources sont substantiels. C'est cette
rentabilité relative qui est à la base du degré actuel
d'anthropisation de cette forêt, et des échecs
répétitifs des tentatives de son apurement. Le mode de culture en
lui même, associant cultures vivrières et cultures de rente
(anacardes) tend à une sédentarisation des populations,
préjudiciable à l'espace forestier, et engendrant une
uniformisation de la biodiversité floristique. De plus, la dynamique des
exploitants en termes de pression sur les ressources, combinant intensification
à travers l'utilisation des engrais chimiques, et extensification par
l'emblavement quasi annuel de nouvelles superficies, compromet dangereusement
l'existence même de ce massif. Dans le cas d'un autre pays pauvre, la
République Démocratique du Congo (RDC), BAMBA (2010) soutient que
la forêt constitue un moyen de subsistance, une source de revenus
financiers, une source d'activités économiques et
d'investissements et un réservoir de terres arables pour l'agriculture
itinérante. Dans cette situation, se pose le dualisme entre les enjeux
économiques des populations et la conservation des ressources
forestières. Cette vision corrobore celle de HUYBENS et TCHAMBA (2012)
pour qui il est malheureusement à craindre que, dans le contexte actuel,
l'aspiration légitime des peuples au développement
économique et à l'amélioration de leurs conditions de vie
aille à l'encontre de la préservation de nos dernières
forêts, avec la disparition corollaire des services économiques et
environnementaux qu'elles parviennent encore tant bien que mal à nous
procurer. Il est aussi évident que les populations locales
perçoivent peu la rentabilité de la sauvegarde des espaces
forestiers, pourtant propice à l'agriculture. Cette forêt
empiète, de leur point de vue,
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sur leurs activités agricoles. Elle «
dérange ». D'où une remise en cause constante de
ses limites. Elle dérange d'autant plus qu'elle est souvent
perçue comme ayant une valeur moindre que celle que peut
générée une conversion en terres agricoles. Il y a alors
nécessité de trouver un juste milieu pour permettre à ces
espaces forestiers de remplir leurs fonctions écologique,
économique et social. C'est pourquoi KARSENTY (2008) estime que la
gestion des espaces forestiers ne peut alors se faire indépendamment de
celle des espaces agricoles car tous deux obéissent à la
même logique et, doivent participer aux mêmes objectifs de
développement durable.
? Le respect de règles de gestion en
question
Dida pose aussi la question de l'établissement des
règles et de leur respect par l'ensemble des acteurs. Le code de
l'environnement est assez explicite en matière de gestion des
forêts classées. Il stipule entre autre la matérialisation
des forêts ayant fait l'objet de classement, l'élaboration d'un
plan d'aménagement et la participation des populations dans la gestion.
Dans notre cas, aucune de ces règles n'a véritablement
été respectée par les structures étatiques. Pour
KONE et al. (2012), (citant LAUGINIE, 2007) bien souvent, «
les cadres législatifs sont solides et les causes de mauvaise
gestion sont à rechercher au niveau de l'application des lois
». Elles seraient donc consécutives soit à la
méconnaissance de ces lois, soit à leur violation
délibérée par les individus. Les villages et hameaux de
cultures illégalement installés dans la FC de Dida
dépeignent cette situation.
Aussi, les questions liées à la concertation des
acteurs contribuent aux difficultés de l'apurement de la forêt.
Dans la FC de Dida, la réalisation des infrastructures hydrauliques
(forages) et même des écoles est assez illustrative. Dans une
étude en RCI menée par KONE et al. (2012), la
même situation est constatée. Pour eux, alors que le
ministère en charge de l'environnement s'évertuait à
exfiltrer les populations installées dans certaines aires
protégées, le ministère en charge de l'éducation
nationale y soutenait la construction d'écoles et y affectait des
fonctionnaires. Il importe donc d'élaborer et de mettre en oeuvre une
bonne stratégie de communication et des stratégies d'action plus
cohérentes qui fédèrent toutes les institutions
concernées.
? La gouvernance environnementale dans le contexte de
décentralisation
Dans une perspective de gestion durable de la FC de Dida, les
personnes rencontrées sont unanimes sur la nécessité d'y
impliquer l'ensemble des acteurs. Au regard aussi des différents
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scenarii présentés, cette option demeure l'une
des meilleures pistes envisageables. Mais pour que cette cogestion soit
efficace, elle se doit d'être basée sur une forme d'entente
officielle, qui édicte clairement l'élaboration de politique, la
planification, l'établissement de règles, l'investissement, la
répartition des revenus, le suivi et l'exécution des
règlements, l'arbitrage des conflits, et le suivi des mesures (RIZZOTTI,
2012). Cela implique que les responsabilités et les devoirs de chacun
soient définis et validés par une structure étatique et
officielle, afin de transférer la légitimité de la gestion
aux communautés. C'est dans ce sens qu'il est impératif dans le
cas échéant d'élaborer un plan d'aménagement pour
la FC de Dida.
Les difficultés liées à la gestion de la
FC de Dida interviennent aussi dans un contexte national de
décentralisation. En reconnaissant aux collectivités
territoriales le droit de s'administrer librement et de gérer les
affaires locales en vue de leur développement, la loi a ouvert la voie
à la gouvernance locale des ressources naturelles communes. Pour RDB
(2008), Ce n'est qu'un juste retour des choses car les populations se sont
toujours considérées comme les propriétaires
légitimes de ces ressources. Même si dans le cas du Burkina le
transfert des ressources naturelles aux collectivités territoriales
n'est pas encore effectif, cette décentralisation pourrait vite se
trouver à l'épreuve de la gouvernance environnementale. Un des
handicaps majeurs des communes rurales en particulier est l'absence de
compétences. Les collectivités territoriales manquent de
ressources humaines dotées d'expertise suffisante pour la gestion des
compétences transférées. Pour RDB (2008), si ce processus
peut constituer une opportunité pour une bonne gestion, il pourrait, si
on n'y prend garde, receler des obstacles et des pièges susceptibles
d'hypothéquer la gestion durable des ressources renouvelables.
En effet, pense LEFEE (2005), en terme de gestion de
ressources naturelles, l'enjeu de pouvoir se focalise principalement sur la
question de savoir qui va contrôler les ressources. La mise en place
d'une gestion locale dans le cadre de la décentralisation va
redéfinir donc le système de pouvoir dans son ensemble, ce qui
déclenchera de fait un processus de redistribution des modes
d'autorités. Ce processus suscite d'autant plus d'intérêts
qu'il a pour objet central les ressources forestières, leur gestion
étant perçue comme une opportunité de contrôle.
Cette situation pourrait alors conduire à la « tragédie
des communs» de HARDIN (1968) cité par YELKOUNI (2005), pour
qui, la conjugaison des propriétés de «
non-exclusion» d'une ressource collective et de rivalité
dans son usage par les agents économiques peut conduire à sa
ruine. C'est pourquoi pour KOUAGIO (2012), la gouvernance
décentralisée pose des défis et des opportunités
pour le renforcement des
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capacités. Les communautés locales ont besoin de
connaissances techniques et de compétences pour une gestion durable de
leurs forêts. Quant à SEYNI (2012), s'appuyant sur des
études d'ANDERSON et al. (2006), AGRAWAL ET OSTROM (2001), et
AGRAWAL et RIBOT (1999), l'auteur en arrive à la conclusion que
plusieurs études ont souligné les vertus de la
décentralisation, considérée comme un moyen de donner aux
populations locales plus de droits sur les ressources et aussi comme un
processus de redistribution du pouvoir.
Cette vision optimiste des choses est cependant remise en
cause par AUBERTIN et al. (2008). Pour ces auteurs, les attentes
suscitées par la participation locale ont souvent été
déçues, remettant en cause les approches communautaires. Une
critique d'essence politique a montré que pour des raisons à la
fois propres aux structures sociopolitiques locales, aux influences politiques
nationales et aux réseaux économiques internationaux, la
conservation basée sur l'intéressement local est souvent un
échec. De ce fait, la présentation des milieux locaux comme
meilleure organisation politique de gestion de la biodiversité
s'apparente, pour AUBERTIN et al. (2008), « plus à une
construction rhétorique qu'à une réalité de terrain
». Dans le cas spécifique de Dida, cette forêt, se
situant à cheval entre plusieurs communes va nécessiter alors
d'imaginer et de construire une gestion concertée de ses richesses par
deux ou plusieurs collectivités territoriales, pour réduire les
risques de conflits entre populations, collectivités territoriales ayant
en partage lesdites ressources. C'est à juste titre qu'il faudra
soutenir avec TREFON (2008) que des efforts significatifs en matière de
prise de conscience, de communication, de renforcement des capacités et
du renforcement de la société civile seront nécessaires si
l'on veut véritablement espérer que tous les acteurs acceptent et
mettent en pratique les principes énoncés dans le cadre d'une
probable gestion participative.
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