3.5.3. Alternative souhaitée
Plusieurs tentatives de déguerpissement des «
occupants illégaux» de la FC de Dida ont été
entreprises ces dix (10) dernières années et se sont tous
soldées par des échecs. Les premières tentatives
réelles ont débuté en 2003 quand les services de
l'environnement ont tenté de déguerpir mani militari les
occupants de la FC. Cette date du 03 mai 2003, le chef du village de Mado s'en
souvient: « ils sont venus nous chasser sans même nous
prévenir. Ils ont brulé sous mes yeux le toit de ma maison.
Pendant des jours, nous étions obligés de dormir dehors (...)
sous la pluie ». D'autres actions seront entreprises en 2007 et 2009.
En 2013, des délais de déguerpissement pour le 31 janvier et le
28 février 2013 ont été annoncés et sont
restés sans suite.
Pour mieux comprendre ce statu quo, il faut remonter à
janvier et février 2012 où, les dernières missions de
sensibilisation en vue d'inciter les occupants au départ volontaire ont
été entreprises. Le 14 mars de la même année,
environ trois cents (300) occupants prennent d'assaut le Gouvernorat des
Cascades9. Ils sont reçus en entretien par le Gouverneur des
Cascades qui leur demande de formuler leurs doléances à lui
transmettre. Après une assemblée générale tenue
à Goté le 25 mars, plusieurs doléances sont
formulées par les occupants : (i) la détermination d'un site pour
l'ensemble des occupants; (ii) l'indemnisation des population à
concurrence de un million (1 000 000) de francs CFA par hectare d'anacardes,
deux cent mille (200 000) francs CFA pour les maisons en tôles, cinquante
mille
9 Journal Le Pays N°5073 du 19
mars 2012
60
(50 000) francs CFA pour les cases en chaume ou en paille;
(iii) l'octroi d'un délai de trois (03) mois minimum à compter de
la date du versement effectif de ces indemnités.
Par ailleurs, les occupants souhaitent l'arrêt et ce
jusqu'à la décision définitive sur leur sort par
l'état, des exactions, des spoliations, des brimades, de la terreur, des
tortures et des emprisonnements abusifs infligés aux populations par les
agents du SDEDD, sous peine de révolte populaire aux conséquences
imprévisibles10. Dans le même rapport, les occupants
estiment la population de seulement quatre villages (Wankoro, Goté,
Sassamba et Mado) à vingt trois mille quatre vingt quatorze (23 094)
habitants et les superficies exploitées dans la forêt à
quarante deux mille deux cent quatre vingt douze (42 292) hectares, comme
présenté dans le tableau 10 :
Tableau 10 : Situation des populations et superficies
exploitées dans la FC de Dida
Village
|
Nombre d'habitants
|
Superficies exploitées (en ha)
|
Sassamba
|
2 023
|
22 745
|
Goté
|
19 405
|
17 569
|
Mado
|
511
|
511
|
Wankoro
|
1 115
|
1467
|
Total
|
23 094
|
42 292
|
Sources: Rapport AG du 25 mars 2012
Nonobstant l'inexactitude de l'effectif total du nombre
d'habitants qui devrait être de 23054 (dû à certainement une
erreur de calcul pour un travail fait à la hâte), et le fait que
ces chiffres ne représentent que la situation dans seulement deux
villages et deux hameaux de cultures, ils sont loin de refléter la
réalité. D'abord, pour qui connait Goté et Sassamba, la
simple observation permet d'en déduire que le second est bien plus
peuplé que le premier. Or, dans cette évaluation telle que
présenté, Goté fait près de dix fois le village de
Sassamba. Paradoxalement, le ratio superficie exploitées par nombre
d'habitant est de 11.24 à Sassamba, 0,90 à Goté, 1
à Mado, et 1,31 à Wankoro. Si l'on considère la moyenne du
nombre de personnes par ménage au regard des données de terrain,
chaque ménage de quatorze (14) personnes à Sassamba
posséderait environ cent cinquante sept (157) ha toutes cultures
confondues contre seulement 12 ha à Goté.
Lors de la rencontre avec le conseiller du village de
Sassamba, ce dernier reconnaitra que cette évaluation a certes
été faite à la hâte, mais, reste certain qu'elle
peut être en deçà des réalités mais pas le
contraire. A la DREDD, on estime que ces chiffres sont loin d'être une
10 Rapport AG du 25 mars 2012
61
réalité dans la mesure où la
population de l'ensemble des habitants installés dans la FC de
Dida est estimée à 8164
habitants11.
Pour le chef de poste du SDEDD, le laxisme de
l'Etat et le manque de fermeté ont poussé les
populations à durcir davantage leur position et à exiger
des conditions, et ce depuis que toute action de la part des services
forestiers sans autorisation préalable du Gouverneur des Cascades dans
la FC de Dida leur a été formellement interdite.
A la question de savoir quelles seraient les
conditions préalables à leur départ de la forêt
classée, la position des occupants n'a pas vraiment varié. Ils
estiment que dédommagement et délocalisation vont de paire
à l'image de cette veuve de quarante (40) ans
dans le village de Diaradougou: « même si on me
montre un coin aujourd'hui pour aller, quels moyens j'ai pour pouvoir
construire un autre logement en dehors de ce que mon mari défunt a
laissé ? ». A défaut de pouvoir
bénéficier des deux options, majoritairement les exploitants
optent pour la délocalisation comme le montre
la figure 20:
83%
Préalable à l'apurement de la
FC
17%
Dédommagement Délocalisation
Figure 20 : Option voulue par les populations pour
libérer la FC de Dida
Environ 83% des enquêtés optent pour la
délocalisation, contre seulement 17% pour le
dédommagement. Elle reflète une volonté
de pouvoir trouver un endroit et continuer les activités. Cet
agriculteur originaire de la Région du Yatenga (une zone
sahélienne du Burkina) et installé dans la FC de Dida depuis 1983
explique: « même si on me donne aujourd'hui de
l'argent et que je dois retourner chez moi, je ne pourrai pas
produire parce que j'ai quitté à
11 Communication DR de janvier
2013
62
cause de la sécheresse. (...) si la situation
là-bas ne s'est pas empirée depuis que j'ai quitté, je
suis sûr que ca ne s'est pas non plus amélioré
».
Cependant, il reste aussi évident que le choix du
dédommagement est une option choisie par d'autres occupants. Un examen
du profil de ceux qui feraient cette option permet de comprendre davantage leur
position comme le montre le tableau 11 :
Tableau 11 : Option d'apurement de la FC en fonction du statut de
résidence
Option souhaitéeDédommagement
Statut de résidence
|
|
Délocalisation
|
Total
|
Allochtone
|
4
|
39
|
43
|
Autochtone
|
6
|
9
|
15
|
Total
|
10
|
48
|
58
|
Ce tableau montre que le dédommagement est
souhaité pour 40% des autochtones contre 9,3% seulement des allochtones.
Cela implique la possibilité que certains occupants, notamment les
autochtones, contrairement à ce qu'ils font croire, ont des
possibilités de pouvoir se réinstaller dans leur villages
d'origine. C'est du reste cet avis que partage le chef de service de la DDEDD
pour qui « beaucoup d'occupants ont des champs et des
résidences ailleurs ». Ceci pourrait être vrai pour
certains autochtones comme cet homme de quarante deux (42) ans installé
à Wankoro et disposant de terres cultivables mais non exploitées,
pour dit-il « parer à toute éventualité
».
Quant aux allochtones, le tableau a montré que
très peu sont favorables au dédommagement. Ceux qui le sont se
sont avérés être tous des peulhs qui mènent comme
activité principale l'élevage. Peuples nomades au Burkina et
constamment en quête de pâturage pour leurs animaux, il est bien
probable qu'une sédentarisation ne soit pas une bonne option pour eux.
D'ailleurs, la plupart d'entre eux s'est installée dans la FC de Dida
entre 2000 et 2010 en provenance de localités voisines comme Dissin,
Banfora, Sidéradougou ou la Côte d'Ivoire. Cet éleveur
installé dans le village de Mado depuis 2010 en provenance de
Sidéradougou et disposant de vingt (20) boeufs n'a pas caché son
intention de se retrouver en Côte d'Ivoire si le déguerpissement
devrait être une réalité.
La difficulté liée à la
délocalisation est de savoir où réinstaller les occupants
de la FC de Dida. Pour la DREDD, cette question ne doit pas être
d'actualité puisque « chacun est supposé avoir un lieu
de provenance ». La situation est d'autant plus complexe qu'aucun
enquêté ne s'est véritablement prononcé sur la
question, considérant qu'il appartient à l'Etat de faire des
63
propositions, mais aussi attrayant que les terres fertiles de
la FC de Dida. Les propriétaires terriens des villages de Diarakorosso,
Noumoukiedoudou, Mourkoudougougou et Tiebata dans la commune de Mangodora ont
unanimement émis de sérieuses réserves quant à
leurs capacités d'accorder des espaces cultivables aux éventuels
déguerpis. « Y a plus de terre. Où on va les
mettre?»: se demande le chef de terre de Mourkoudougou. Dans la
perspective du déguerpissement manqué de 2009, des concertations
avaient été entreprises avec l'ensemble des villages riverains
pour l'accueil des déplacés, avec échos favorables de la
part des propriétaires terriens. Mais le manque de suivi, selon le chef
du SDEDD, n'avait pas permis d'entériner cette alternative. Il est bien
possible qu'avec le temps certains soient amenés à se
rétracter si un véritable plaidoyer n'est pas entrepris
auprès de ces garants de la tradition.
Du coté des mairies c'est le même scepticisme est
parfois affiché. Le Maire de la commune de Mangodara, l'Adjoint au Maire
de la commune de Ouo et le Maire de Djigouè se disent peu enclins
à trouver des espaces pour les occupants de la FC de Dida, mais
considèrent qu'il y'a nécessité d'aborder la question avec
l'ensemble des acteurs pour en étudier la faisabilité. Or, la
densité12 des communes de Mangodara, de Ouo et de
Djigouè sont respectivement de 18,71 hbts/km2, 8,14
habitants/km2 et 20,97 habitants/km2 pour une moyenne
nationale de 51,4 habitants/km2. C'est dire que de façon
théorique, les possibilités sont grandes, surtout dans le
département de Ouo qui est le moins dense.
Pour autant tous les problèmes de la FC de Dida ne
seront pas résolus avec la délocalisation ou le
déguerpissement. Il conviendrait de se pencher sur les perspectives
d'une gestion à long terme de cette forêt.
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