Enracinements polynésiens d'hier et d'aujourd'hui dans l'archipel de Nouvelle Calédonie( Télécharger le fichier original )par Tomasi TAUTU'U Université de Nouvelle Calédonie - Master 2 arts, lettres et civilisations option francophonie 2012 |
3. Autres points d'ancrages :A. Arrivée de Tongiens à Mu (Lifou, Iles Loyauté)Pour aborder ce sujet, il nous semble intéressant de nous référer à l'une des plus imminentes linguistes ayant longuement travaillé sur le fagaouvéa, la seule langue polynésienne dans l'archipel calédonien. Elle nous livre un récit intéressant de l'arrivée des Tongiens à Ile Des Pins et à Lifou et en réalise un commentaire tout à fait passionnant : « Plusieurs récits relatent l'arrivée de migrations polynésiennes en provenance des îles Tonga, Samoa, Wallis ou Futuna, vraisemblablement entre le XVIe et le tout début du XIXe siècle. De telles migrations ont sans doute existé aussi à des dates plus anciennes. Ce récit relate l'arrivée d'une migration tongienne qui se serait fixée à Mu (Lifou) après une brève halte à Walpole et un séjour de plusieurs années à l'île des Pins. M. J. Dubois, dans Kwènyii, l'île des Pins aux temps anciens, SEHNC, évoque le naufrage, vers 1810, d'un bateau ayant à son bord des matelots tongiens, à Wania (notée Ouigna par le Père Lambert), près de la baie de la Corbeille à l'île des Pins. Auparavant, vers 1770, du temps du chef Këëwa, une pirogue venue de Tonga se serait déjà brisée dans la baie d'Ayogi. Selon Glaumont (Ethnogénie des insulaires de Kunié (îles des Pins), Revue d'Ethnographie, Paris, 1887), dix hommes et six femmes venus de Tonga se seraient échoués à l'île des Pins, après être passés par Walpole. Quelques années plus tard, ces Tongiens se seraient effectivement installés à Lifou, dans la baie de Mu, où leurs descendants vivent encore, et portent le nom d'angetre Tonga "gens de Tonga". La narratrice de ce récit est l'épouse de l'un de ces descendants, décédé il y a quelques années. Elle attribue à un dénommé Taufa la reconnaissance de l'évangéliste Fao à son arrivée à Ahmelewedr, faisant, selon J. Guiart, une confusion avec un personnage du même nom qui aurait accueilli à Maré, en 1841, le navire missionnaire de la L.M.S., le Camden. A juste titre, Guiart (Structure de la chefferie en Mélanésie du Sud, 1963, pp. 205-209) relève la similitude des raisons avancées pour le départ des Tongiens s'étant installés à Lifou, et pour celui des Wallisiens parvenus à Ouvéa : suite à un accident, ou à une guerre, le fils d'un chef est blessé ou tué. Par peur de représailles, les coupables s'enfuient en pirogue. Au-delà d'un incident mettant en cause le fils d'un chef, ces migrations pouvaient être dues à un ensemble de causes plus complexes : manque de terres, dissensions entre chefferies, recherche de nouvelles relations matrimoniales166(*). « Je vais vous parler de ces Tongiens qui, un jour, quittèrent Tonga. Dans leur île, ils s'occupaient à divers travaux. Il y avait Caiye, Nyie, et d'autres encore ; ils vivaient à la façon tongienne. A la suite d'un conflit, ils durent quitter leur île ; ils partirent en pirogue, Ils laissèrent leurs deux pirogues au bord de mer, et montèrent sur les hauteurs de l'île. Toutefois, deux hommes restèrent pour garder les pirogues. Les autres s'installèrent à Walpole. Ils n'y restèrent pas très longtemps, à peine une année. Ils avaient pour habitude de grimper au sommet de grands arbres, d'où ils apercevaient parfois des choses qui avoir l'air de flotter au loin, très loin. Un jour, alors que deux des femmes étaient justement perchées en haut d'un arbre, elles crurent voir à nouveau quelque chose qui flottait. Elles allèrent chercher deux autres personnes, deux hommes, pour qu'ils regardent à leur tour. A force de scruter l'horizon, ils comprirent qu'il s'agissait d'une île. Et ils pensèrent que ce serait une bonne chose d'aller dans cette île. Mais comment s'y rendre! Les deux pirogues avaient été abandonnées. Ils se mirent en route. Il fallait que l'un d'eux parte à la recherche des deux pirogues. Il trouva les deux hommes qui étaient restés au bord de mer, ils étaient tous deux encore en vie. Après avoir discuté un moment, il leur dit : "Vous allez venir avec nous, nous allons tous partir là-bas, vers cette île que nous avons aperçue." Nous n'avons pas d'autre moyen pour reprendre la route, il n'y a pas d'autres pirogues que les vôtres. Alors ils partirent, tous ceux de Tonga qui s'étaient installés à Walpole. Ils partirent tous, hommes et femmes, tous ceux qui étaient arrivés à Walpole. C'est ainsi qu'ils atteignirent l'île des Pins et débarquèrent à Winia. Ils restèrent un moment assis sur le rivage. Un couple qui s'en était allé au bord de mer ramasser des coquillages aperçut les Tongiens, et s'en alla aussitôt prévenir le chef. A l'époque, le chef de l'île des Pins, c'était Troulu . Des gens de l'île étaient arrivés au bord de mer et ils les trouvaient très beaux bien que d'allure différente. Avec ses sujets armés de leurs sagaies et de toutes leurs autres armes, le chef Troulu se mit immédiatement en route pour aller voir ces Tongiens, dans la ferme intention de les tuer, et de les manger..., Arrivés auprès des Tongiens, le chef de l'île des Pins et ses sujets leur adressèrent la parole, mais les Tongiens ne comprenaient rien à la langue du pays. "Qu'allons-nous donc pouvoir faire de ces gens ?" se dirent les habitants de l'île des Pins. Quelqu'un eut alors l'idée de faire venir la femme du chef Kamejo Troulu, pour qu'elle essaie de leur parler en langue de Winia, au cas où ils la connaitraient. C'est ainsi que l'épouse du chef s'adressa aux Tongiens dans sa langue à elle, en leur demandant : "D'où venez-vous ?" A ces mots, les Tongiens coururent l'enlacer. L'épouse du chef s'écria alors : "Mes frères ! ce sont mes frères !" "Emmenez-les chez moi" dit le chef. C'est ainsi qu'on les emmena chez le chef Kamejo, qui résidait à l'intérieur de l'île. Les Tongiens restèrent chez lui plusieurs années durant. Puis voilà qu'un jour, Troulu s'en alla rendre visite au grand chef Coqatr, à Mu, à la chefferie de Hnaja. Troulu était accompagné de trois Tongiens, venus avec lui depuis Winia. Coqatr vit arriver ces trois hommes dans la force de l'âge, si beaux et si différents des siens. Le grand chef Coqatr demanda au chef Troulu de l'île des Pins : "Mais d'où viennent-ils, ces hommes ? Troulu lui répondit : "Ce sont mes sujets, ils sont arrivés en pirogue chez moi, ce sont des Tongiens. "Coqatr lui dit : "Laisse-les moi, je voudrais bien qu'ils deviennent mes sujets, des hommes de cette facture !". Mais Troulu lui rétorqua : "Oh non, je ne vais pas te les donner ; " je vais repartir avec eux, et j'en ai beaucoup là-bas chez moi, de ces gens, de ces Tongiens. Ils retournèrent à Winia. Après leur départ, Coqatr garda au fond de lui le désir de récupérer ces hommes pour en faire ses sujets. Coqatr fit venir, parmi les habitants de Lossi, les guérisseurs, pour qu'ils préparent un médicament capable d'arracher les Tongiens à l'île des Pins, afin qu'ils deviennent ses sujets ; en effet, malgré le refus du chef de l'île des Pins, il désirait toujours les avoir comme sujets. Ses guérisseurs préparèrent des médicaments et lui dirent : "Coqatr, après-demain, quand tu t'éveilleras à Hnaja, les hommes seront là, sur ton terrain du bord de mer. Le jour, Coqatr se réveilla, et dans le ciel, il vit comme un immense arbre, un faux-manguier écarlate. Il y avait des hommes partout depuis Feneluenu jusqu'aux environs de Olan. La totalité des Tongiens de l'île des Pins était là, ils étaient venus jusqu'ici. Le grand chef Coqatr s'écria : "Voici mes sujets !" Il alla les chercher et ramena les Tongiens dans son domaine, chez lui. Et c'est ici qu'ils sont restés. Une année peut-être après leur installation, Fao arriva. Fao, c'est celui qui a apporté la religion ; il débarqua avec sa pirogue à Ahmelewedr, chez Hnaweo. Il arriva ici à Ahmelewedr, à la hauteur de Huan, chez les gens d'Ahmelewedr. Ces derniers accoururent en criant : "là en bas, en bas, il y a un bateau ; allons voir s'il y a quelqu'un à tuer et à manger !" Ils coururent et encerclèrent Fao, resté dans sa pirogue. Ils entourèrent Fao et ils lui parlèrent, mais Fao ne comprenait pas un mot de ce qu'on lui demandait... On lui parla en Nengone, Fao ne comprit rien. Pour toute réponse, Fao montrait la Bible en levant un doigt vers le ciel. Alors on lui parla dans des langues de la Grande-Terre, mais ces langues, Fao ne les comprenait pas non plus. La seule chose qu'il faisait, c'était de montrer le livre en levant le doigt vers le ciel. Les sujets de Hnaweo dirent alors : "Les manières de cet homme sont incompréhensibles. Il n'y a pas une langue du pays qu'il entende. La seule solution, c'est peut-être d'aller chez Coqatr lui demander un de ses sujets Tongiens qui pourrait essayer de communiquer avec cet homme et savoir d'où il vient. C'est ainsi que le conseiller du chef Hnaweo s'en alla trouver le grand chef, le vieux Coqatr "Je suis venu chercher un de tes sujets pour qu'il vienne parler à un homme là en bas, un homme qui est arrivé dans la baie, mais qui ne parle pas comme nous. Nous avons essayé toutes les langues, mais il ne sait en parler aucune, il ne fait que désigner quelque chose dans le ciel. " On vient te demander un de tes Tongiens, car peut-être parlent-ils la même langue, ou la connaissent-ils un peu." Le chef Coqatr dit en désignant quelqu'un : "Vas-y, Taufa". Taufa était l'un des Tongiens. Taufa arriva au bord de mer ici et s'adressa à Fao "D'où viens-tu ?" Fao sursauta et se jeta au cou de Taufa, le jeune Tongien. Ce dernier lui dit : "toi et moi nous sommes frères, nous sommes du même pays. Toi, tu es Rarotongien, et moi je suis Tongien, nous sommes de la même région !" C'est ainsi que fut accueilli Fao, on l'emmena, et on apprit que Fao apportait avec lui la religion. Le jeune Tongien traduisit :"La religion que nous apporte Fao, c'est pour que la paix règne dans notre pays. Il est venu vers nous avec le livre sacré, pour que le pays vive dans la réconciliation, pour que nous soyons en paix. Voilà la mission de Fao." Cette version du mythe est intéressante dans la mesure où elle confirme les chemins coutumiers crées de toute pièce par ces navigateurs venus des mers du sud qui facilitera les infiltrations ultérieures de groupes dits « polynésiens » et par la suite les infiltrations coloniales ou religieuses. Ces marins d'outre mers se sont peu à peu « enracinés » sans pour autant rester figés ; un paradoxe que l'on abordera plus loin . * 166 Claire Moyse-Faurie (lacito 2000) |
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