V- REVUE CRITIQUE DE LA LITTERATURE
Les ouvrages qui traitent de la gouvernance
multi-niveaux n'abondent pas dans les centres de documentations que nous avons
visités au cours de notre étude. La nouveauté du concept
peut justifier cette rareté.
Toute fois, concernant le projet sur lequel notre
recherche se penche, il existe environ deux rapports sur la gouvernance
rédigés par un expert recruté à cet effet qui
pourront nous servir d'éléments d'analyses.
Par ailleurs, grâce aux travaux de quelques
auteurs dans le domaine des sciences sociales, nous avons pu nous rendre compte
de ce que ceux-ci pensent de la gouvernance en général et de la
gouvernance multi-niveaux en particulier :
1. S'exprimant sur le sujet dans son article : «
Gouvernance, une mutation du pouvoir ? »,22 Philippes Moreau
Defarges pense que, la dynamique de la gouvernance est d'abord celle d'une
dévaluation du rôle de l'Etat face à l'accomplissement du
bonheur individuel. Le point marquant de la pensée de Moreau que
nous soulignons est celui qui fait constater que tous les discours sur le
développement recherchent d'abord un développement personnel,
même si on y parvient au détriment de l'Etat c'est-à-dire
en réduisant sa capacité à agir entant que puissance
publique.
2. Dans : « La politique internationale.
théories et enjeux contemporain »,23
De Senarclens Pierre et Ariffin Yohann montrent que,
la gouvernance occulte les conflits d'intérêt, les
contradictions et l'hégémonie ; elle occulte de plus le fait que
la politique soit d'abord une culture et une histoire. Elle met l'accent sur
les modes efficients de « gestions » de la
société. Ces auteurs se rangent du coté de ceux qui
estiment que la gouvernance est venue reformer l'Etat, mais ils ont la
faiblesse de voire dans la gouvernance un moyen parfait de gestion des affaires
de la cité. Cette approche s'éloigne un peu de la conception que
Marie-Claude Smouts a de la gouvernance.
3. Marie-Claude Smouts dans un article
intitulé : « Du bon usage de la gouvernance en relations
internationales »,24 affirme : « Le concept de
gouvernance est lié à ce
22 Philipe Moreau Defarges
: « Gouvernance, une mutation du pouvoir ? », Revue le
Débat, nO 155, mai-août 2001, pp165-172.
23 Pierre De Senarclens et
Yohann Ariffin : « La politique internationale. Théories et
enjeux contemporains » 5è édition, Armand Colin, 2006,
pp 184-188
14
que les grands organismes de financement en on
fait ; un outil idéologique pour une politique de l'Etat au minimum
». L'inquiétude de cet auteur sur l'usage de la gouvernance
est notre. Car comme le souligne l'auteur, d'autres analystes pensent que
l'usage de la gouvernance au sein des IFI est porteur d'une philosophie
idéologique très souvent dominante sur les Etats.
4. Tino Raphael Toupane (2009), dans un article
signé : « La gouvernance : évolution, approche
théorique et critique du concept », conclut en ces termes : «
il n'est pas étonnant de constater que le concept de gouvernance est
au centre de la réflexion théorique, sur les politiques
économiques des pays de l'OCDE, de la Banque mondiale, du Fonds
monétaire international (FMI) ou de la Banque Africaine de
développement (BAD), il est encore moins étonnant de relever que
le contenu théorique qu'elles déclinent à la gouvernance
traduit une vision du monde, leur vision du monde... », Cet analyste
s'accorde avec Marie-Claude Smouts sur les enjeux idéologiques de la
gouvernance.
5. Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum et
Philippe Braud, pensent de leur coté que, la gouvernance multi-niveaux
(multi-level governance) met l'accent sur le fait que les décisions dans
les organisations ne se prennent pas seulement sur une base de logiques
purement internes. Elles intègrent ce que les économistes
appellent les « coûts de transaction », c'est - à- dire
les règles et modes de comportement externes qui influencent les
rapports de l'organisation avec son environnement. En d'autres termes, avec
la gouvernance multi-niveaux on entend prendre en compte l'ensemble des
régulations formelles et informelles qui contraignent la liberté
de choix et le calcul rationnel du
décideur25.
On peut noter une idée forte de la
pensée des ces auteurs en ce qu'elle s'inscrit dans le
décentrement du centre de décision et en même temps
souligne l'influence externe que subit l'Etat.
6. David Alcaud, Laurent Bouvet, Jean-Gabriel
Contamin, Xavier Crettiez, Stéphanie Morel et Muriel Rouyer, soutiennent
pour leur part que, la gouvernance multi-niveaux se nourrit de plusieurs
facteurs : le discours démocratique consistant à rapprocher le
pouvoir du citoyen, processus que favorise la décentralisation ;
la
24 Marie-Claude Smouts
« Du bon usage de la gouvernance en relations internationales »,
Revue internationales des sciences sociales, n° 155, mars
1998.
25 Guy Hermet, Bertrand
Badie, Pierre Birnbaum et Philippe Braud : « Dictionnaire de la science
politique et des institutions politiques » 6è éd. Armand
Colin 2005, pp 139.
15
volonté d'associer étroitement les
acteurs territoriaux à la définition et la mise en oeuvre des
politiques publiques pertinentes.26
Nous pensons que ces auteurs ont le mérite de
reconnaitre à la gouvernance multi-niveaux la dimension du co-pilotage
des politiques publiques, mais ils ont la faiblesse de la concevoir plus sous
l'angle des rapports entre autorités décentralisées et
pouvoir central et de voire en elle un outil parfait de gestion
publique.
7. Concernant le processus de l'intégration de
la zone CEMAC, une étude de la Commission économique pour
l'Afrique menée par le Bureau sous régional pour l'Afrique
centrale en 2007, sous la supervision générale de son
président Mamadou Hachim Koumaré, conclut en recommandant aux
pays de la zone CEMAC de renforcer les infrastructures de transport et de
communication et en même temps de prévoir des mesures de
facilitation du commerce, y compris la sécurisation des routes et la
réduction du nombre de postes de contrôle sur les voies de
communication entre les différentes capitales. Le cadre de la
coopération devant être exploité pour la mobilisation des
ressources nécessaires aux investissements en
infrastructures.27
8. Analysant l'efficacité de l'aide au
développement Lavagnon A. IKA dans : « La gestion des projets
d'aide au développement : historique, bilan et perspective »,
démontre que le développement international fait l'objet de
recherche depuis une cinquantaine d'années. La plupart des auteurs
s'accordent sur l'échec global des projets d'aide au
développement, même si des résultats sont parfois
encourageants. Le taux d'échec très élevé de ces
projets force à la réflexion. Sans pour autant opposer à
l'optimisme exagéré du passé, un pessimisme de
circonstance, cet article propose de réconcilier l'avenir de la gestion
des projets de développement avec le présent, en gardant à
l'esprit les défis du 21ème siècle auxquels les peuples de
l'opulence et ceux de la pauvreté devront faire face ensemble. Il
appelle à une meilleure gestion des projets de développement
à l'intérieur d'un cadre conceptuel qui permet d'en
évaluer le succès.
26 David Alcaud, Laurent
Bouvet, Jean-Gabriel Contamin, Xavier Crettiez, Stéphanie Morel et
Muriel Rouyer, « Dictionnaire de science politique » Paris 2, SIREY,
2010, p 165.
27 Commission Economique
pour l'Afrique Centrale : « Convergence économique en Afrique
Centrale », octobre 2007, p 66.
16
9. René Dumont et Marie-France Mottin dans :
« L'Afrique étranglée », se penchant
sur la problématique du développement de
l'Afrique affirment sans ambages l'échec du modèle de la
civilisation occidentale et regrette que ce soit ce dernier qui soit à
nouveau proposer à l'Afrique , ils déclarent :« Nous avons
bâti une civilisation du gaspillage totalement aberrante sur
l'hypothèse-trop tardivement reconnue absurde - de ressources
illimitées d'énergie, à des prix que l'on prévoyait
sans cesse plus réduits. Ce drame devient absolument inacceptable
à partir du moment où ce même modèle de
développement, abusivement dénommé
`'civilisation», nous le propulsons dans les pays
dominés par nous... ». Dans la
même lancé, ces auteurs s'inscrivent en
faux vis-à-vis de l'universalité de la pensée occidentale
de développement : « S'efforcer de répandre ce
système est donc effroyable imposture ; et pourtant « nous » y
sommes largement parvenus. Nous avons persuadé la grande majorité
des dirigeants africains que notre progrès était le seul
désirable pour eux, le seul valable pour l'Afrique, sans jamais
demandé l'avis des principaux intéressés, les paysans ;
sans prendre soin d'étudier le milieu économique, historique,
sociologique, politique... » 28
Eu égard à ce qui précède
et concernant le cadre conceptuel de la notion de
gouvernance multi-niveaux, la faiblesse des ouvrages
consultés tient au fait que certains auteurs n'ont pas à
l'époque29 de leur analyse, pris en compte la dimension
multi-niveaux du concept de gouvernance dans la mise en oeuvre des
stratégies publiques de développement. Cependant certains ont le
mérite en abordant la question de la gestion de la chose publique de
mettre en exergue les avantages de la bonne gouvernance lorsque cette
dernière épouse un cadre de gouvernance dit
multi-niveaux.
|