2.2.2.2. La théorie liée aux facteurs
culturels
Elle est élaborée par P. Bourdieu et J-C
Passeron (1964, 1970). Selon ces auteurs, le système éducatif,
fonctionne comme s'il servait à reproduire la domination de la «
classe dominante ». Sous couvert de neutralité et
d'égalité des chances, l'institution scolaire conduit à
exclure les enfants des classes populaires, « classes dominées
». Le système exerce, en effet, un « arbitraire
culturel » permettant cette sélection. L'école valorise
et légitime une culture dite savante acquise en dehors de ses murs par
la classe dominante. Cette « violence
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symbolique » exercée par le
système éducatif est à l'origine des écarts entre
les taux de réussite des enfants (Bourdieu et Passeron, 1964).
Pour rendre compte du lien entre inégalité
sociale et inégalité scolaire, Bourdieu et Passeron (1970) ont
créé le concept de « reproduction ».
D'après Crahay (1996), lorsqu'on parle de la « théorie
de la reproduction », c'est à eux que l'on fait avant tout
référence.
Pour Bourdieu et Passeron (1964 : 19-22),
« Les obstacles économiques ne suffisent pas
à expliquer que les taux de « mortalité scolaire »
puissent différer autant selon les classes sociales. N'en aurait-on
aucun autre indice et ignorerait-on les voies multiples et souvent
détournées par lesquelles l'école élimine
continûment les enfants originaires des milieux les plus
défavorisés, on trouverait une preuve de l'importance des
obstacles culturels que doivent surmonter ces sujets dans le fait que l'on
constate encore au niveau de l'enseignement supérieur des
différences d'attitudes et d'aptitudes significativement liées
à l'origine sociale, bien que les étudiants qu'elles
séparent aient tous subi pendant quinze à vingt années
l'action homogénéisante de l'école et que les plus
défavorisés d'entre eux n'aient dû qu'à une plus
grande adaptabilité ou à un milieu familial plus favorable
d'échapper à l'élimination ».
Par ailleurs, Bourdieu et Passeron (1964 : 30) écrivent
que :
« La culture « libre », condition implicite de
la réussite universitaire en certaines disciplines, est très
inégalement répartie entre les étudiants originaires de
milieux
différents sans que l'inégalité des revenus
puisse expliquer les écarts constatés »
Pour Duru-Bellat et Van Zanten (2007 : 202),
« Bourdieu et Passeron proposent une analyse des
inégalités sociales d'accès et de réussite à
l'Université, et plus largement à l'école,
privilégiant les mécanismes de type culturel sur les contraintes
économiques. A côté du « capital culturel » dont
disposent les jeunes de milieu aisé (livres, voyages, accès aux
médias...), c'est plus largement l' « héritage culturel
» qui s'avère le plus décisif en termes de réussite
scolaire ».
De plus, pour Bourdieu et Passeron 1964, 1970) :
« L'école évalue les compétences des
individus à l'aune de normes propres aux classes dominantes et par voie
de conséquence, les enfants des autres classes sociales se situent
à une distance inégale de la culture scolaire et
réussissent moins bien que les enfants des classes «
privilégiées ». Ainsi, l'école reproduit la
hiérarchie des positions sociales » (Crahay, 1996 : 113).
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Pour eux, l'école « ne fait à la limite que
confirmer et renforcer un habitus de classe et qu'il est difficile de briser le
cercle qui fait que le capital culturel va au capital culturel » (Synders,
1976 : 23-24)
Précurseur de la théorie de la reproduction,
Weber (1922) estime que :
« Les acteurs sociaux apprennent en particulier à
donner un sens aux inégalités sociales en intériorisant
une hiérarchie de valeurs ou de critères de classement,
permettant de définir les personnes dont on estiment qu'il est
légitime qu'elles occupent une place dominante dans la
société. Pour lui, ce sont les groupes qui sont en position de
force, qui définissent ces valeurs et ces critères, et tentent de
les imposer comme s'ils étaient dotés d'une
légitimité intrinsèque » (Duru-Bellat et Van
Zanten, 2007 : 202).
Cette théorie a fait l'objet de nombreuses critiques
notamment par les sociologues britanniques, les sociologues hollandais et les
sociologues américains.
D'abord, le sociologue britannique Sullivan (2001) estime que
:
« Ce que les parents transmettent à leurs enfants
et qui, notion de capital oblige, est corrélé avec la
réussite scolaire, c'est, bien plus qu'une proximité avec la
« grande culture » à savoir : les habitudes de lecture et des
pratiques télévisuelles qui dotent l'enfant de connaissances
générales et langagières de fait « rentables »
scolairement » (Duru-Bellat et Van Zanten, 2007 : 205-206).
Ensuite, pour les sociologues hollandais (de Graaf, de Graaf
et Kraaykamp, 2000), « ce serait par les compétences cognitives et
linguistiques que les parents transmettent à leurs enfants qu'ils les
avantagent, plus que par les « affinités culturelles » dont
ils les dotent » (Duru-Bellat et Van Zanten, 2007 : 206).
Enfin, le sociologue américain Dumais, (2002) a
montré que :
« lorsqu'on introduit dans un même modèle
explicatif de la réussite scolaire à la fois les pratiques
culturelles structo sensu et les aspirations scolaires et
professionnelles, les secondes ont un impact bien plus important que les
premières qui cessent même de jouer significativement »
(Duru-Bellat et Van Zanten, 2007 : 206).
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Toutes ces critiques révèlent que les
réalités scolaires diffèrent selon les pays. A cet effet,
ce qui est valorisé de fait à l'école dans tel pays, peut
ne pas l'être dans tel autre.
Comme la théorie liée aux facteurs
économiques, la théorie liée aux facteurs culturels ne
peut pas expliquer entièrement nos résultats d'où le
recours à d'autres théories.
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