3.2. La théorie des marques de subjectivité
de Catherine Kerbrat-Orecchioni48
Dans cette théorie, l'auteur tente de décrire
systématiquement, à partir d'exemples concrets, les traces de
l'inscription du sujet parlant dans l'énoncé, c'est-à-dire
« la subjectivité dans le langage ».
Au niveau de cette théorie, l'auteure met l'accent sur
quelques-uns des lieux d'inscription du langage : les «
déictiques » ou « shifters
»49 et les subjectivèmes, « affectif
» et « évaluatif », axiologiques et modalisateurs.
47 EKAMBO, D., J.-C., Nouvelle Anthropologie de la
communication, Kinshasa, IFASIC éditions, 2006, p. 174.
48 KERBRAT-ORECCHIONI C., L'énonciation. De
la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1999.
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1) LES DÉICTIQUES
Définis provisoirement comme « une classe de mots
dont le sens varie avec la situation »50, les déictiques
posent problème au niveau d'une définition précise. Ils
font appel aux différents types de mécanismes
référentiels : c'set la fonction référentielle du
langage. Par référence, il faut entendre, selon la conception
partagée par Orecchioni et les autres auteurs de son école, le
processus de mise en relation de l'énoncé au
référent, c'est-à-dire l'ensemble des mécanismes
qui font correspondre à certaines unités linguistiques certains
éléments de la réalité extralinguistique.
Cette fonction référentielle peut se
présenter schématiquement comme suit :
Sé
Sa --------- ------- référent
(dénoté, denotatum) (réel ou imaginaire)
Ce triangle sémiotique doit être orienté dans
le sens : référent Sé Sa.
Encodage : la perception du dénoté et
l'identification en son sein de certaines propriétés
linguistiquement pertinentes permettant d'associer à cet objet
extralinguistique un concept abstrait.
Le décodage : « la perception acoustique ou
visuelle du signifiant -plus précisément l'extraction dans la
substance d'expression des traits distinctifs qui le constituent. Cela renvoie
le récepteur à un certain signifié qu'il identifie
grâce à sa compétence lexicale ».
Catherine Kerbrat-Orecchioni affirme que « ce soit
à l'encodage ou au décodage, le sujet utilise conjointement trois
types de mécanismes référentiels, que nous appellerons
49 Ce terme est généralement traduit par
« embrayeurs » par Jakobson. Il a aussi d'autres
équivalents terminologiques « index » (Peirce) et
« indexical expression » (Bar-Hillel).
50 Cf. O. JESPERSON, Language, Londres, 1922,
p. 123-124 cité par KERBRAT-ORECCHIONI C., Op. cit., p. 39.
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respectivement : référence absolue/
référence relative au contexte linguistique (cotexte)/
référence relative à la situation de communication, ou
référence « déictique ».51
Enfin de compte, notre auteure définit les
déictiques comme « les unités linguistiques dont le
fonctionnement sémantico-référentiel (sélection
à l'encodage, l'interprétation au décodage) implique une
prise en considération de certains des éléments
constitutifs de la situation de communication. On relève à ce
sujet deux types des démonstratifs :
- ceux constitués à l'aide des particules
-ci/-là : leur répartition se fait selon l'axe
proximité/éloignement du dénoté par rapport au
locuteur. On peut y assimiler le cas des adverbes de lieu.
Là (neutre)
Ici (proximité) là-bas (éloignement)
- Le cas de démonstratif simple : qui a valeur
temporelle et valeur spatiale.52.
Cette localisation s'effectue en français grâce
au double jeu des formes temporelles de la conjugaison verbale, et des adverbes
et locutions adverbiales.53
a) Les désinences verbales :
problème de l'emploi des « temps » : le choix
d'une forme de passé/présent/futur est de nature
évidemment déictique.
b) Adverbes et locutions adverbiales
: en ce moment, hier, demain, aujourd'hui, à ce
moment-là, la veille, le lendemain, un autre jour ...
c) Prépositions temporelles
: depuis..., à partir de...,
d) Adjectifs temporels : actuel,
modernité, futur, prochain, etc.
51 KERBRAT-ORECCHIONI C., Op. cit., p. 40.
52 Ce démonstratif est indirectement
déictique ; et on parle alors de deixis par ostension.
Nous empruntons ici deux exemples à Orecchioni pour expliquer ce
concept, parce qu'avec certains mots appelés déictiques, le geste
(le geste imitatif ou allégorique) est absolument requis : « «
le poisson que j'ai pêché était de cette taille-ci
(écart entre les mains) ; voilà la rivière
en question ; vous franchirez ici (geste de l'index sur carte).
53 KERBRAT-ORECCHIONI C., Op. cit., p.
51-52.
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- Le cas de démonstratif simple qui a valeur
spatiale. Il faut ici envisager ces
déictiques en termes des sous-segments :
- Ici/là/ là-bas ; celui-ci, celui-là
;
- Près de y/ loin de y ;
- Devant/derrière : « x est
devant/ derrière y » ;
- À droite/ à gauche ;
- Les verbes aller/ venir54.
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