1.3. LE DISCOURS-ENJEU
Après avoir défini les concepts clés de
communication pastorale, de marketing religieux et de médias tactiques,
nous en arrivons à l'opérationnalisation du groupe de mots
susmentionné, à savoir le discours-enjeu.
Nous allons ici nous focaliser pour l'essentiel sur les
recherches menées tour à tour par Richard Mugaruka30
et Uli Windisch31, respectivement sur la catéchèse
dans le champ de la communication et le K. - O. verbal comme
expression et pratique de la communication conflictuelle.
Le discours-enjeu est un discours
stratégique32. Il permet de parvenir à
l'institutionnalisation de l'organisation, c'est-à-dire à
confronter cette dernière sur différents plans :
- celui des mentalités (comme avec les
représentations du rôle de l'entreprise et de ses liens avec la
société) ;
- celui des discours ;
- celui des pratiques (comme celles qui sont
spécifiques, par exemple, à la formation de la stratégie)
;
- celui des institutions (comme celles qui participent
à la formation des managers, celles qui « font émerger
» des normes institutionnalisantes (...) et celles qui légitiment
comme,
30 Prêtre et Professeur des universités
et instituts supérieurs au Congo et dans la sous région des
grands lacs africains, Richard MUGARUKA est Docteur en
Théologie, Licencié en Philologie biblique et Philologie et
Histoires Orientales de l'Université Catholique de Louvain. Sur le plan
scientifique, principalement dans le champ de la communication, cet auteur se
fixe comme objectif « de monter, d'une part, comment s'articule la
connexion entre catéchèse et communication sociale, et d'autre
part, en quoi ces deux disciplines autonomes peuvent s'enrichir de leurs
spécificités du point de vue théorique et pratique »
(cf. Catéchèse et homilétique dans le champ de la
communication. Pragmatique de la communication de la foi, Kinshasa,
éd. Paulines, 2004).
31 Uli Windisch est Professeur à
l'Université de Genève...
32 Lire à ce sujet : La stratégie et
l'institution, « 3. Le discours stratégique comme
modalité d'institutionnalisation de l'organisation », AGISTR,
pp. 30-33. PDF.
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par exemple, les différents « regroupements »
qui prônent des normes en matière de gouvernance) ;
- celui des mythes et des rites soit du fait d'outils de
gestion dont la validation est considérée comme nécessaire
(un plan stratégique, par exemple), soit du fait de pratiques
spécifiques constitutives de la culture et de l'identité
organisationnelles
;
- celui des savoirs (comme sur la compréhension, par
exemple, de l'environnement stratégique). 33
Le discours stratégique repose alors sur des consensus
non discutables :
- l'adaptation permanente de l'organisation par la
mobilisation des moyens vers l'accomplissement de buts, dans les contours d'une
idéologie progressiste, mais sans avoir véritablement de
théorie du temps qui permette de situer l'avant et l'après ;
- l'exécution du processus de combinaison des moyens
vers les buts par des agents dont la dimension politique de sujet est
ignorée ;
- l'interaction de l'organisation avec d'autres
sous-systèmes tels que les institutions au travers d'une
réflexion rationnelle sur les buts attribués aux autres
sous-systèmes ;
- l'existence de logiques d'action dont la
répétition constitue le gage de l'existence et la garantie
légitime de leur énoncé sous forme de lois à
vocation « scientifique » et de discours à vocation
institutionnalisante ;
- l'organisation comme agent élémentaire de
l'économie et de la société, donc d'une «
société » constituée d'organisations. L'organisation
peut alors être considérée comme institutionnalisation de
rapports économiques et sociaux entre sujets par référence
à une structure hiérarchique en comblement du déficit des
« mécanismes » de marché ;
- l'organisation repose sur des concepts
générateurs (la hiérarchie, la délégation,
la coordination, etc.) et/ou sur des opérateurs (avec, par exemple, la
trilogie « stratégie - structure - comportement ») ;
- l'organisation est éternelle et
hégémonique car anachronique, synchronique et diachronique
à la fois : anachronique car « hors » du temps, synchronique
car globalisante
33 HATCHUEL A., « Quel horizon pour les sciences
de gestion ? Vers une théorie de l'action collective», in
DAVID A. & HATCHUEL A. & LAUFER R. (Eds.), Les nouvelles
fondations des sciences de gestion - Éléments
d'épistémologie de la recherche en management, Vuibert,
collection « FNEGE »,
Paris, 2000.
29
à la fois de ses éléments et de son
emprise sur le monde et diachronique car les sociétés
disposeraient des organisations de leur époque, d'où la
perspective évolutionniste qui pourrait leur être
appliquée. Éternité ambiguë car elle pose le
problème de savoir s'il y a une vie en dehors des
organisations.34
L'organisation recherche ainsi à assurer sa
pérennité en tant qu'objet et en tant que
téléologie. Les organisations se « battent » toutes en
tant que telles pour survivre.
Cela dit, le discours-enjeu est susceptible d'être
calqué sur la rhétorique classique, celle-ci étant
perçue comme art de convaincre reposant sur trois facteurs de persuasion
qui contribuent à la qualité du discours : l'autorité de
l'orateur (l'ethos), l'argumentation du discours (le logos)
et les émotions qu'il suscite dans l'auditoire (le
pathos)35.
Ainsi, le discours-enjeu doit prévoir un plan et se
constituer en un agencement d'arguments. C'est l'argumentation. Car pour
soutenir son point de vue, l'auteur doit produire des arguments qui peuvent
être soit de nature inductive et procéder en recourant à
des exemples ; soit ils peuvent être déductifs.
Pour Uli Windisch, l'enjeu de la lutte verbale est à
coup sûr, fonction de la capacité de faire valoir des
activités et des stratégies verbales. Sans gros capital
argumentatif et sans maitrise langagière, point de victoire aux mots.
C'est-à-dire que l'argumentation quotidienne consiste :
-en l'énonciation d'assertions visant à
instaurer un discours et une place de maitre de la joute verbale ;
-à développer des stratégies discursives
qui ont pour objet d'augmenter la crédibilité du discours et de
la place (sociale, politique ou autre) du locuteur ;
-en la mise en oeuvre d'un important travail argumentatif
effectué par le biais du langage36.
Pour passer de l'argumentation quotidienne à
l'argumentation conflictuelle via l'argumentation logique, on procède
à des évaluations bons/mauvais et ces dernières ont pour
objet de s'en prendre non seulement au discours de l'adversaire, mais à
sa place. Au stade de l'argumentation conflictuelle, la question du langage ne
peut plus rester centrée sur le seul sujet, émetteur ou
énonciateur ; elle nécessite la prise en compte de la nature
34AGISTR : La stratégie et
l'institution, « 3. Le discours stratégique comme
modalité d'institutionnalisation de l'organisation », AGISTR,
pp. 30-33. PDF.
35 MUGARUKA, R., Op. cit., p. 23.
36 WINDISCH, U., Le K.-O. verbal. La communication
conflictuelle, Genève, L'Age de l'homme, 2004, p. 68.
30
des relations que ce dernier entretient avec l'interlocuteur
et les représentations sociales que l'émetteur a de son
adversaire.
Dans son travail argumentatif, visant à
crédibiliser son discours et sa place, le sujet parlant-le sujet
manipulateur- ne peut pas ne pas tenir compte de l'adversaire et du public
visé. Il doit s'interroger sur le point de vue, la vision du monde, les
représentations sociales et l'identité sociale...
Cela étant dit, il sied de noter que l'action oratoire
doit s'exercer sur trois niveaux :
1) La voix : elle se rattache
à la fois au logos, au pathos et à l'ethos. En outre, elle n'est
pas un véhicule neutre du discours : elle est signifiante. Elle est
l'expression de bien des choses avant d'agir comme porteuse de messages
particuliers. Ce qui justifie la nécessité d'en faire bon usage.
La mesure de la voix s'effectue à deux niveaux : de son volume (fort,
moyen ou faible) et de son timbre (clair ou voilé, dur ou doux, plein ou
grêle, etc.) Enfin, l'emploi de la voix est approprié quand elle
se conforme à quatre lois suivantes : la clarté, la
variété, la convenance et la mesure).
2) Le geste doit répondre
aux règles qu'il importe d'éclaircir :
- La sincérité réside dans la
concordance entre gestes, regard et pensée ;
- La synchronie : l'adaptation du moyen non verbal
à l'idée ;
- La netteté : la bonne exécution du
geste ;
- La diversité : éviter de
paraître artificiel et mécanique ou monotone ;
- La sobriété : il
s'agit de laisser à la porte toute sa force.
Toutefois, les gestes corporels sont à ajuster au sujet
traité et aux effets et sentiments qu'on veut exprimer et faire
partager. On s'en tiendra particulièrement à la tête, la
physionomie ou visage, les yeux, les sourcils, les narines, les lèvres,
le cou, les épaules et enfin les mains et parfois les pieds...Obligation
sera faite aussi à une meilleure coordination avec la parole. Mugaruka
renseigne à ce sujet que cette bonne coordination amplifie la parole ;
par contre, un désaccord entre ces éléments et la parole
la disqualifie.
Aussi, la personne qui prononce un discours-enjeu doit tenir
compte des circonstances de temps, de lieu, du contexte social et
anthropologique ainsi que du sujet et du contenu de son discours pour y adapter
une multitude d'éléments non verbaux qui font partie du
procès de toute communication.
31
3) La tenue vestimentaire à
porter lors d'un discours-enjeu influe toujours sur ses
performances rhétoriques ou communicationnelles. Elle
tiendra donc des gouts et des convenances en la matière dans le milieu
des destinataires. C'est dire que la tenue vestimentaire doit être en
conformité avec les habitudes et les mentalités du
public-témoin ; bref, s'accorder avec le contexte général
de la cible.
Selon la plupart d'auteurs et de créateurs de modes,
pour un discours-enjeu officiel et solennel (en public), « une tenue et
des couleurs sobres, sombres (bleu, noir, gris...) et classiques, semblent les
mieux indiquées »37.
Certes, un discours-enjeu est de l'avis de Windisch un
discours conflictuel. Un discours conflictuel est « un discours qui
s'oppose à un autre discours : contre-discours, puisque
l'activité principale de l'auteur d'un discours conflictuel consiste
à reprendre, dans son propre discours, le discours de son adversaire
pour le rejeter, le nier, le réfuter, le disqualifier
»38.
Ainsi, l'auteur d'un tel discours adresse son discours
à deux cibles (interlocuteurs différents) :
- Son adversaire certes, mais aussi et surtout
- au public-témoin, le public-témoin du conflit.
L'objectif d'une telle démarche poursuivie par l'auteur
d'un discours conflictuel est de (3) :
i. Combattre les idées, les thèses émises
par son adversaire ;
ii. Faire triompher ses propres idées et thèses
;
iii. Les faire partager au public-témoin, au public
visé et concerné par les enjeux du conflit (les électeurs,
les adeptes d'une église, par exemple).
Le destinataire principal ou premier d'un discours conflictuel
est multiple. Dans sa démarche, l'auteur d'un tel discours poursuit
comme objet de séduire, de rendre complice et prendre à
témoin le public. Cela fait que le discours conflictuel doit presque
automatiquement revêtir un air de mise en scène, un aspect
spectaculaire, théâtral et parfois ludique. S'imposer, c'est aussi
séduire, et il est connu que les chemins de la séduction sont
innombrables. Dans cette théâtralisation, « l'adversaire est
un faire-valoir,
37 MUGARUKA, R., Op. cit., p. 29.
38 WINDISCH, U., Op. cit., p. 25.
32
malgré les virulentes attaques dont il peut faire
l'objet et l'acharnement mis en oeuvre pour contester et disqualifier ses
propos39.
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