Le discours comme enjeu du marketing religieux. Analyse du discours de l'archevêque de Kinshasa( Télécharger le fichier original )par John NSHOLE Mely-IBAA Institut facultaire des sciences de l'information et de la communication ( IFASIC ) Kinshasa - Licence 2009 |
1.2.2. Le contexte social de prolifération des Églises de RéveilAu cours de ces deux dernières décennies, la République Démocratique du Congo a amorcé une véritable descente aux enfers, et le moins que l'on puisse dire est que le 22 Entretien avec le Pasteur François MALEBA Mpankia MAY, Président-Représentant Légal de l'Eglise Baptiste de l'Esprit de Vérité (EBEV), entretien tenu le 20 février 2009 à Kinshasa. 21 commun du peuple ne sait plus à quel saint se vouer. Aux crises sociales, militaires et politiques, s'est greffée une sévère crise économique dont les issues demeurent loin d'être perceptibles. L'ouverture ressente du pays au système démocratique, ayant débouché sur l'installation des institutions issues des premières élections libres et démocratiques, ne génère pas encore des signaux forts susceptibles de servir d'indicateurs d'un véritable changement social. C'est dans un tel contexte de crise chronique que prolifère les cultes dans les bidonvilles de la plupart des milieux urbains au Congo. En réalité, le terrain s'avère plus que jamais réceptif à toute nouveauté. Dans ce contexte, les innovations à caractère religieux rencontrent de manière particulière bien d'interlocuteurs surtout dans les cercles des jeunes dans la mesure où elles apportent des réponses aux attentes de cette clientèle, ne serait-ce sur le plan discursif. Dans la mégapole de Kinshasa, on perçoit la perte des repères familiaux, l'ébranlement des valeurs de l'organisation paysanne, le chômage déguisé, le célibat prolongé, la prolifération des fléaux comme le sida, la fièvre typhoïde, la tuberculose, l'entrée sur scène du phénomène « enfants de la rue », « enfants-sorciers », « enfants soldats », « kuluna », « mpomba », etc. Le rêve d'exode vers l'eldorado européen ou sud africain, demeure au centre des préoccupations de la nouvelle génération, dans presque toutes les villes du pays. Sur le plan pédagogique, il se développe donc un « discours tragi-comique des télévangélistes qui répond à la naïveté désespérée des fidèles »23. Des nouvelles églises, fruits d'un croisement hybride de pentecôtisme "born again" à l'américaine et de croyances traditionnelles africaines. A leur tête, les "pasteurs", "prophètes" ou "apôtres" messianiques distillent des promesses de guérison de maladies incurables, d'obtention de visa pour l'Eldorado européen, ou encore de prospérité immédiate. Pour ce faire, certains ont même mis sur pied leur propre chaîne de télévision, 23 Le cinéaste belge Gilles Remiche, Marchands de Miracles (film) est en réalité un périple à la découverte de cet univers ahurissant, où la violence des cultes reflète celle de la misère; où le discours tragi-comique des télévangélistes, répond à la naïveté désespérée des fidèles. Marchands des miracles décrit tant mieux que mal le contexte de christianisation au quotidien en milieux urbains congolais. http://www.cinergie.be/film.php?action=display&id=1081 (visité le 13/05 /2009). 22 au succès sans cesse croissant. Ainsi, les églises du réveil séduisent aujourd'hui la majorité des Congolais. Visiblement, bien des frustrations sont alternées par les structures des Eglises de Réveil notamment les temples, les groupes de prière, les amphithéâtres, les cliniques de Jésus, les messages véhiculés par la musique chrétienne contemporaine, les films religieux, les prédications médiatisées, les campagnes d'évangélisation, etc. Manifestement, les nouvelles communautés religieuses offrent des structures pour l'établissement des nouveaux réseaux sociaux, comme semble le décrire Nkeni : « le concept Eglise de Réveil prend le sens de regroupement de personnes qui sont indépendantes et qui se disent qu'ils sortent d'un sommeil quand elles étaient dans les Eglises traditionnelles qui sont leurs Eglises mères. Et pour montrer à l'opinion ce réveil, les adeptes prient à haute voix, consacrent la majorité de leurs temps aux activités de l'Eglise. C'est ce qui explique la grande animation des adeptes perturbant parfois la quiétude psychologique des voisins avec des instruments musicaux. »24 Ces activités sont facilités grâce à la montée en puissance de ce que nous qualifions à la suite du phénomène « le télévangélisme »25 Tout ce matraquage médiatique s'apparente sur le plan marketing, à des stratégies d'agressivité visant l'élargissement de la demande primaire et de la fidélisation de celle-ci. Puisque ces nouvelles églises tendent à parvenir à une demande égalée vis-à-vis des églises traditionnelles. De ce qui est du contenu des prédications des Pasteurs, Prophètes et archi-bishops des églises de réveil reprennent dans leurs cultes des versets de la Bible, interprétée à la manière d'un code de droit civil : on' y puise des réponses à toutes les préoccupations d'ordre tant social que spirituel. Comme le soulignent bien d'observateurs, « le recours à la Bible dans les sectes consiste à chercher des passages adaptés à la situation du requérant. En tant que livre de recours et source d'inspiration, la Bible donne lieu non pas à une lecture scientifique, mais à une lecture fondamentaliste et 24 NKENI, M., « Le phénomène des sectes à Kinshasa. Essai d'une analyse anthropologique ». Université de Kinshasa, Faculté des Sciences Sociales, 1999-2000. pp. 12-13. 25 BEN BARKA, un des spécialistes mondialement reconnus des médias religieux nord américains, nous livre la nature même du télévangélisme : « Le terme "télévangélisme", désigne à strictement parler, l'activité des prédicateurs les plus souvent fondamentalistes ou pentecôtistes, lors d'émissions religieuses à la télévision américaine. Mais pris au sens large, ce terme englobe l'ensemble des programmes radiodiffusés et télévisés, comprenant aussi bien des émissions purement cultuelles : sermons et prières, talk shows, spectacles de variétés, bulletins d'information, films, feuilletons, séries comiques, etc. » 23 littéraire. La Bible est alors interprétée d'après les situations. A leurs yeux tout ce qui vient de la Bible est sacré, est parole de Dieu et peu importe l'interprétation qu'il faut en tirer. »26 Selon KAMATE MBUYIRO, une analyse rigoureuse (et froide) permet de constater que l'interprétation de la Bible est une activité taillée sur mesure. A propos, une analyse flottante de quelques thèmes, qui constituent le centre de gravitation du discours des leaders des nouvelles Églises, est susceptible de favoriser la perception de cette réalité. 1. La semence au quotidien Face à la désarticulation du contexte social, le besoin ardent de se défendre contre les mauvais esprits, les envoûtements, les enfants sorciers, la désoccupation, le célibat prolongé, le sida, etc., demeure le mobile principal de la célébration des cultes des miracles. La volonté de « domestiquer » Dieu comme rempart, bouclier, forteresse sûre, reste vraisemblablement le centre de gravitation des groupes de prière. Au cours des cultes, des campagnes d'évangélisation, des réveillons de prière, les femmes amadouent Dieu, en déposant au pied du lutrin des objets de luxe : bijoux, gourmettes, colliers, bracelets, bagues en or, téléphone mobile, appareils électroménagers, etc. Bien des cultes des Églises de Réveil, rappellent l'épisode biblique du veau d'or dans le livre d'Exode. A Kinshasa, les cultes de Réveil célèbrent une divinité « gentille », courtoise, facilement fréquentable, peu conflictuelle, un ami, un collègue, un frère, bref un Dieu congolais ! Ce qui justifie que le Dieu vanté par ces églises de « réveil » perçoit sa dîme, sa semence ; à son tour, il réagit par la réalisation des prodiges au centuple : onction, travail, mariage, visa, voyage, prospérité, etc. Le Dieu d'Abraham et de Moïse réagit par des oracles, des châtiments, inonde la terre de déluge, promet le feu éternel ; alors que le « nouveau Dieu » porte ses enfants sur ses bras, les caresse sur les genoux. On le remercie par des cultes chaleureux : adoration, louange, invocations, témoignages, cantiques populaires, cris, slogans, danses exubérantes au rythme du tam-tam, ou à la guitare électronique27. 26 KONDE N., Les nouveaux mouvements : Évangélisation et Développement, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1997, p. 24. 27 Dans les nouveaux cultes, l'image du Christ est celui d'un guérisseur, faiseur des miracles, un Christ-Solution, le « Lion de la tribut de Juda ». Dans l'imaginaire des adeptes des cultes des miracles à Kinshasa, ce titre très médiatisé rappelle la bravoure d'un commandant sur le champ de batail. Celui-ci, combat pour 24 Dans l'acception des adeptes des Eglises de Réveil, si dans une communauté, existe des chrétiens qui récoltent très peu, c'est signe qu'ils ne sèment pas en suffisance. Il est question surtout de prendre en charge le « serviteur de Dieu », si on souhaite une récolte abondante, celle-ci est donc proportionnelle à la semence. Souvent, on sème des biens matériels en les déposants au pied du lutrin du pasteur ; la récompense pour le semeur viendra sous forme de travail obtenu, célibat brisé, stérilité anéantie, visa accordé, etc.
Il reste pourtant vrai dans les pratiques courantes de ces églises que si le jeûne est une technique de purification spirituelle, la semence s'avère plutôt une technique protéger son peuple contre le célibat, le chômage, l'envoûtement, les enfants sorciers, les maladies. L'offrande reste le moment privilégier pour attirer la sympathie de Dieu qui réagit par des bénédictions au centuple. 28 Quotidien Society, Kinshasa, février 2006. 25 privilégiée de captation de ressources matérielles auprès des fidèles. Preuves faites par les prêches de la plupart des pasteurs et autres dirigeants des églises de réveil. On citera pour ce faire, le prophète des nations, le pasteur Denis Lessie de l'Eglise « Arche de Noé », le pasteur Mbiye de la « Cité Bethel » de Kinshasa. Les exemples à ce sujet sont légions où l'on observe la montée en puissance de ce qu'il convient de qualifier de la « théologie de la prospérité et de la semence ». 4. Les aveugles voient, les sourds attendent, les boiteux marchent La visitation est également un des thèmes en vogue, dans les enseignements des Eglises des miracles à Kinshasa. On y rapporte que la Bible est jalonnée d'épisodes de visites de Dieu à son peuple, comme qui dirait que l'histoire du salut est avant tout une histoire de visitation. L'on croit qu'au cours de chaque culte et surtout à l'occasion des croisades évangéliques, que Dieu visite « en chair et en os », chaque fidèle pour le bénir au centuple. C'est ainsi que pendant les multitudes campagnes d'évangélisation dans les stades et autres lieux publics, Dieu intervient de manière spéciale pour opérer des prodiges : les aveugles voient, les boiteux marchent, les chaînes du chômage et du célibat sont brisées, des visa accordés, etc. Disons au terme de cette analyse de la pratique du marketing religieux par les églises que ces exemples de discours constituent ce que nous qualifions au niveau de notre étude de « nouveau paradigme » des prédications inaugurés par les Eglises de la prospérité. Des telles transmissions prennent la part du lion dans les médias évangéliques, qui déferlent sur Kinshasa et ses environs. Il devient plus que tout nécessaire de recentrer nos efforts sur ce nouveau phénomène religieux qui apparaît pour un Congo en marche vers sa nouvelle renaissance, un facteur d'a-normativité. Pour s'en convaincre, il importe de se placer dans cette thèse de José MVUEZOLO BAZONZI qui souligne : « les « églises de réveil » au Congo sont un phénomène récurrent et impressionnant, et une réalité prégnante liée à la mondialisation par le biais du mouvement néo-pentecôtiste. A mi-chemin entre l'Eglise traditionnelle protestante et le courant pentecôtiste originel, ces églises, sous la direction exemplaire de leaders locaux pugnaces et entreprenants - au sens de l'entrepreneurship américain - se sont forgé leur propre credo, credo parfois inqualifiable, insaisissable et proche de la dérive mercantiliste et fondamentaliste. Leur présence sur l'espace public congolais, avec l'implication de 26 leurs médias respectifs, procède d'un nivellement et d'une déconstruction culturels inédits dans l'histoire religieuse du pays. C'est pourquoi, étant donné l'impact de ces églises sur le corps social de Kinshasa et partant du Congo, il semble nécessaire qu'elles soient intégrées dans le processus de développement social, politique et économique durable du pays, en tant que partenaires et acteurs valables. En effet, ces structures religieuses réunissent en leur sein des fidèles nantis et dynamiques capables de soutenir des actions de développement communautaire. En outre, elles reçoivent d'une manière ou d'une autre le soutien des Eglises pentecôtistes et évangéliques américaines. Enfin, l'esprit de lucre et du gain instantané qui caractérise les leaders de ces églises ainsi que leurs adeptes, la tendance à une dérive vers l'intolérance et la loi du moindre effort, et la propension vers une culture fétichiste de la vie chrétienne, devraient interpeller l'autorité et toute la société congolaise » 29. D'où la nécessité de corriger pour ne pas dire d'encadrer le fonctionnement de cette nouvelle façon de vivre-Dieu et de servir-Dieu qui peut se poser comme un réel obstacle au développement intégral et intégré de la République Démocratique du Congo. Car sensiblement, le travail source de prospérité est entrain de céder la place à une prospérité divine. Cette théâtralisation de la vie quotidienne et religieuse peut malencontreusement hypothéquer les acquis de cette nouvelle renaissance sus-évoquée. Cela dans la perspective des efforts pour la reconstruction du pays que dans la sphère d'une cohabitation réelle inter-églises. En réalité, les églises traditionnelles, particulièrement Catholique sont loin de comprendre, mais surtout d'appliquer (ne serait-ce après reformulation) ce marketing religieux. On ne cessera de se dire, dans la configuration actuelle de l'espace religieux congolais et dans l'intérêt de protéger mieux de conserver leurs positions historiques, d'encadrer leurs oins, les églises traditionnelles à Kinshasa sont dans l'obligation de pratiquer ce nouveau concept : le marketing religieux. C'est-à-dire, d'avoir à l'esprit l'idée que leurs églises est à comparer à un produit qu'on emmène sur un marché de référence. Ce qui exige de celui-ci de se conformer au mix marketing : penser à une politique de 29 Lire à ce sujet : José MVUEZOLO BAZONZI, Les « églises de réveil » de Kinshasa à l'ombre du mouvement néo-pentecôtiste mondial : entre nivellement et déconstruction culturels, Kinshasa, Centre d'Etudes Politiques (CEP)/ Université de Kinshasa/ RD Congo, article électronique. Pdf 27 produit, à une politique de distribution, une politique de communication et enfin, à une politique du prix. Nous en venons à présent à circonscrire le profil du discours-enjeu nécessaire afin d'assurer la viabilité et la vitalité d'une organisation : son contours sémantique et sa nature. |
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