Apéritif et sociabilité. Etude de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool( Télécharger le fichier original )par Anaà¯s Gayot Université d'Aix-en-Provence - Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle 2007 |
b- La pause des travailleursLes trois pauses au cabaret dans la longue journée de travail de l'ouvrier parisien ou lyonnais du XVIIIe siècle, ne sont plus de l'ordre de l'occasionnel mais de l'habituel. Gilbert Garrier décrit le rythme des consommations de l'ouvrier : "il ouvre à six heures par un gobelet de vin blanc, la coupe avec une chopine de clairet sur son frugal repas de midi et la clôt vers dix-neuf heures par un pot fraternellement partagé"126(*). L'alcool est parfaitement inséré à la journée de travail et au rythme quotidien de la vie urbaine. Cette habitude quotidienne se retrouve également chez les dockers havrais étudiés, à la fin des années 80, par Jean-Pierre Castelain. Leur journée est ponctuée par les pauses "casse-croûte" dans les débits de boissons. Elles s'intègrent parfaitement au déroulement du travail et à l'organisation des échanges sociaux. Ces pauses constituent le moment idéal pour échanger des informations127(*). L'apéritif, ici, se confond aux autres modes de consommations marquant la rupture du temps de travail. Nous pourrions continuer la liste des descriptions de ces pauses-café. Des militaires aux travestis algériens (évoqués dans Désirs d'ivresse : alcool, rites et dérive de Carmen Bernand), les chercheurs s'accordent sur le fait que l'apéritif, ou l'alcool, marque l'alternance entre le temps de travail et le temps de repos. Les ouvriers sont, dans la majorité des recherches, l'exemple le plus cité. Est-ce un moyen de montrer la corrélation entre les obligations utilitaires et matérielles qu'impliquent le temps de travail et les pauses méritées qui en découlent ? Est-ce que cette corrélation ne s'exprime pas chez des cadres supérieurs ? Je ne le pense pas. En tous cas, il est certain que cela suscite moins d'intérêts. Ou encore, est-ce une manière de souligner une alliance permettant de surmonter la fatalité des durs labeurs de la vie ? Un "coup de pouce" qui efface les inégalités sociales ? Nonobstant, quelque soit la profession, l'âge ou le sexe, la consommation de boissons alcoolisées structure socialement le temps et les relations interpersonnelles. Elle permet de créer des temps de sociabilité, des occasions collectives et de renforcer la solidarité des travailleurs et partenaires. Des préférences implicites, du moment pour boire, sont en harmonie avec les pratiques du groupe social. c- L'apéritif au sein du repasLa temporalité est souvent évoquée en anthropologie de l'alimentation. La prise alimentaire traditionnelle se définissant par un horaire défini, la question de la déstructuration des repas lié à la société moderne et industrielle se pose. Où se situe la place de l'apéritif dans ces formes de repas anomiques ? Si le temps de repas n'est plus respecté, l'apéritif pourrait se différencier totalement du repas. Mais il est encore trop tôt pour la bibliographie actuelle d'analyser la question. En effet, il ne s'agit encore que d'une légère progression vers des habitudes dites "anomiques". Claude Fischler explique qu'effectivement la majorité des français (environs 80% de la population) reste dans le schéma traditionnel dans lequel on mange à heure fixe128(*). * 126 _ GARRIER, Gilbert. 1998. Histoire sociale et culturelle du vin. Paris : Larousse, p. 189. * 127 _ CASTELAIN, Jean-Pierre. 1989. Manières de Vivre Manières de Boire : alcool et sociabilité sur le port. Paris : Imago, p.63. * 128 _ FISCHLER, Claude. 2001. L'Homnivore : Le goût, la cuisine et le corps. Paris : Odile Jacob, p. 215. |
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