Apéritif et sociabilité. Etude de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool( Télécharger le fichier original )par Anaà¯s Gayot Université d'Aix-en-Provence - Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle 2007 |
3ème partie - L'apéritif et ses normes socialesEn termes de données scientifiques et statistiques, l'apéritif est considéré comme une prise alimentaire, au cours de la journée, en dehors des trois repas principaux. Il s'intègre parfaitement à la dynamique des pratiques sociales, d'autant plus qu'il est plus ou moins institutionnalisé et soumis à des règles de ritualité. De ce fait, l'étude d'un moment tel que l'apéritif nous conduit indubitablement, à travers l'anthropologie sociale et culturelle, à des questions de temporalités, de rythmes, d'environnements, de genres, d'interdits et de licences, de contextes, de formes sociales et culturelles, de système de transmission. Si la littérature anthropologique reste encore mince, précisément sur ce sujet, il n'en demeure pas moins que l'apéritif est une coutume française très répandue. Un sondage rappelle que 90% des français déclarent prendre l'apéritif au moins une fois par semaine.120(*) En France, aller boire un apéritif est donc devenu une banalité connue et pratiquée par tous. Si l'apéritif se caractérise par des "lois" communes, les pratiques ne sont pas uniformes, dans la mesure où les circonstances varient selon les personnes avec qui on partage ce moment, selon le lieu, l'heure, la saison et l'objet de la rencontre apéritive. Quelles sont les normes auxquelles il convient de se tenir pour ne pas être dans l'interdit social ? Que révèlent-elles ? I - Un espace temps privilégié et divertissantLa société s'organise de façon homogène par l'intermédiaire de règles communes. Ces règles progressent dans le temps et s'adaptent aux nouvelles exigences socio-économiques. Le moment de l'apéritif suit les mouvements des rythmes sociaux induits par la standardisation des horaires de travail et par conséquent, par les heures de repas. Si l'apéritif se définit par sa place dans un temps déterminé, il prend des formes différentes selon les facteurs environnementaux.
A - "L'heure de l'apéritif"L'anthropologie du boire et de l'alimentation évoquent toutes deux la ponctuation de la journée par des activités contraignantes ou ludiques. La première discipline favorise l'analyse des "pauses cafés", la seconde préfère se concentrer sur l'évolution des prises alimentaires. L'apéritif entre en jeu dans ces conceptions, puisqu'il constitue autant une pause sommaire qu'un moment précédent le repas. Jean-Pierre Poulain dans une recherche auprès de personnes organisant des apéritifs, note que, devant la progression de la pratique, "l'apéritif est passé d'un produit consommé à un moment privilégié"121(*). L'apéritif est un acte répétitif qui vient ponctuer les moments charnières de la vie sociale. Il rythme le cérémonial du repas en l'amorçant. Il scinde la journée ordinaire de travail en soulignant les fins de demi-journées. Il annonce la fin de la semaine de travail. Ou encore de manière "extra" ordinaire il marque un évènement. En somme, il est le symbole des vacances, des moments de détentes et de loisirs.
a- Le temps de boire un verreComme le digestif lors d'un repas permet de bien se quitter, l'apéritif permet de bien commencer la réception. De la même manière que pour l'apéritif des étudiants, dont Jacqueline Freyssiney Dominjon et Anne-Catherine Wagner122(*) rapportent les propos, le guide de savoir-vivre de Sabine Denuelle123(*) précise qu'il aide à faire patienter en attendant les derniers invités et à instaurer l'ambiance. Les étudiants expliquent que l'apéritif désigne plutôt un type de boissons consommées tout au long d'une soirée, qu'un moment pour le boire. Il est alors dans ce cas lié à la fête. L'apéritif est autant un moment programmé collectivement qu'un moment spontané non réfléchi à l'avance. Véronique Nahoum-Grappe nomme ce second moment "le boire occasionnel". L'historienne et anthropologue expose le détour improvisé du buveur du XVIIIe siècle (que l'on peut restituer à notre époque). Il se permet de casser le rythme prévu de ses taches et de son itinéraire pour aller "boire un coup" : "une pause dans le travail, une rencontre lors d'une promenade, une fatigue ou une lubie peuvent entraîner le buveur à la consommation"124(*). L'heure à laquelle on s'arrête prendre un verre, coïncide généralement avec l'heure de l'apéritif, dans la mesure où l'on est soumis à l'ordre des activités sociales. Cette manière occasionnelle de boire est sans doute la plus caractéristique de la société urbaine occidentale. Devant la contrainte des emplois du temps chargés des citadins, elle offre une prise de pouvoir du sujet sur son temps, elle permet "un clivage d'avec l'organisation dominante du monde social"125(*). * 120 _ Enquête Sofrès auprès de 2000 personnes âgées de 15 ans et plus, en février 2005. Cité par POULAIN, Jean-Pierre. 2005. « Nouveau regard sur les français et l'apéritif », Rapport de presse de La Collective des Apéritifs à Croquer, [En ligne], URL : http://www.instantcroquant.com/upload/presse_20051125030.pdf, p. 1. * 121 _ POULAIN, Jean-Pierre. 2005. Ibid., p. 8. * 122 _ FREYSSINEY-DOMINJON, Jacqueline, WAGNER, Anne-Catherine. 2003. Op. Cit., p. 32. * 123 _ DENUELLE, Sabine. 1999. Le savoir-vivre : guide des règles et des usages d'aujourd'hui. Paris : Larousse, p. 68. * 124 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. « Les "santés" du crocodile en larmes, ou quelques hypothèses sur l'histoire du buveur ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : L'Harmattan, p. 111. * 125 _ NAHOUM-GRAPPE, Véronique. 1990. Ibid., p. 113. |
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