Apéritif et sociabilité. Etude de la consommation ritualisée et traditionnelle de l'alcool( Télécharger le fichier original )par Anaà¯s Gayot Université d'Aix-en-Provence - Master 1 d'anthropologie sociale et culturelle 2007 |
1 - Incorporer un alimentBoire et manger, c'est incorporer les propriétés des aliments mais aussi des symboles et de l'imaginaire. En ce sens, Claude Fischler explique que "l'incorporation fonde l'identité"105(*). Elle fonde l'identité individuelle par l'absorption d'aliments qui nous modifient de l'intérieur. Elle fonde l'identité collective et donc l'altérité par le partage d'une même nourriture au sein du groupe. De tous les aliments, l'alcool est certainement celui qui, dans "le principe d'incorporation", a la fonction symbolique et imaginative la plus puissante. Les effets psychotropes et l'histoire de chaque boisson permet à l'alcool d'accéder à ces fonctions. L'anthropologue nous donne l'exemple de la consommation de whisky. Cette boisson véhicule un imaginaire résultant de la littérature et du cinéma anglo-saxon de l'après guerre106(*). Cette intériorisation symbolique a par ailleurs favorisé la diffusion sociale du Scotch, en provoquant des différences au sein des classes sociales. Elle a instauré une hiérarchisation définie par la qualité et par le prix de la boisson. 2 - Les fonctions sociales de l'alimentationL'ethnographie, avec le fonctionnalisme britannique, mis l'accent sur les fonctions sociales de l'alimentation plutôt que sur les aspects religieux, précise Claude Fischler. Le rôle alimentaire, dans la socialisation des individus à l'intérieur d'un groupe, s'exprime à travers un système qui s'articule autour de règles et de normes alimentaires propre à chaque culture. Les règles d'ordonnancement des repas, la préparation culinaire, le service, les transgressions, les prescriptions et les prohibitions jouent un rôle sur les jugements moraux. Les manières de consommer sont des éléments qui contribuent à l'organisation sociale d'un groupe. En effet, l'alimentation est un fait social dont l'analyse, nous rappelle Jacques Barou, peut renvoyer "à la question de l'appartenance sociale, culturelle ou communautaire de ceux qui s'alimentent"107(*). Les pratiques alimentaires sont régies par la communauté et c'est socialement qu'elles prennent leur sens et leur fonction. Aussi, boire un apéritif seul ou en compagnie ne revêt pas la même fonction ni la même signification au niveau des représentations. Bien que boire un apéritif seul, pour décompresser de sa journée de travail, n'est pas mal jugé, le "boire ensemble" est plus valorisé. Le genre, dans ce cas de figure, est un facteur à prendre en considération. Tous ces modes et modèles nécessaires à la vie collective permettent, selon Claude Rivière, la "ritualisation du manger"108(*) et la transmission de valeurs morales, culturelles et sociales par la famille. De ce fait, les pratiques solitaires seraient-elles considérées comme "anomiques" ? * 105 _ FISCHLER, Claude. 2001. L'Homnivore : Le goût, la cuisine et le corps. Paris : Odile Jacob, p. 66. * 106 _ FISCHLER, Claude. 1990. « Note sur les fonctions sociales de l'alcool ». In G. Caro (dir.) : De l'alcoolisme au Bien Boire, tome 1. Paris : l'Harmattan, p. 163. * 107 _ BAROU, Jacques. 1997. « Dis-moi que manges... ». In J. Cuisenier (dir.) : Ethnologie Française, Pratiques alimentaires et identités culturelles. Paris : Colin, p. 7. * 108 _ RIVIÈRE, Claude. 1995. Les rites profanes. Paris : PUF, p. 197. |
|